«Je suis certain que des jeunes vont entrer au gouvernement»
Le président du Parti chrétien-social compte batailler jusqu’à la dernière seconde pour placer le CSV en position de gouverner le pays. Marc Spautz a la hantise d’une coalition Gambia II.
Marc Spautz pourrait se reposer sur les sondages comme sur des lauriers, mais il n’est pas tranquille. Ni les phrases fortes d’Alex Bodry ni les querelles qui s’étalent au grand jour entre les partenaires de la coalition ne sont suffisantes pour le rassurer. Il sait pourtant que le CSV de 2018 n’est plus celui de 2013.
La déclaration d’Alex Bodry la semaine dernière dans une interview accordée à reporter.lu selon laquelle il n’existerait plus de projet de l’actuelle coalition tricolore vous a-t-elle agréablement surpris?
Marc Spautz : Quand Claude Wiseler a déclaré il y a six mois que ce gouvernement n’avait plus de plan, tout le monde dans la majorité a poussé des cris en affirmant le contraire. Aujourd’hui, Alex Bodry vient confirmer qu’il n’y a plus aucun plan de la part de ce gouvernement. C’est un homme politique expérimenté et je ne peux pas croire qu’il ait dit ça sans arrière-pensée.
Qu’avez-vous lu comme arrière-pensée?
Il a voulu rassurer la base en ce qui concerne son attachement aux valeurs des socialistes et désigner les verts comme partenaires contre le libéralisme des autres. Mais ce dont je suis sûr, c’est que cette majorité va rester soudée si elle arrive à avoir 32 sièges aux prochaines élections.
Pourquoi en êtes-vous si sûr? Il y a des tensions tout de même au sein de ce gouvernement qui s’étalent sur la place publique…
Parce que j’entends les réactions de M. Etienne Schneider et des autres leaders qui tiennent à continuer à trois. Il y a des tensions chez les socialistes avec un Alex Bodry plus près de la base et les autres qui essaient de sauver ce qui peut l’être, du moment qu’ils conservent leurs fauteuils respectifs. On constate effectivement dans le dossier Knauf à Sanem et pour la fabrique de yaourts à Bettembourg ou encore le dossier Google que des tensions existent entre le ministère de l’Économie et celui du Développement durable. Il y a eu aussi des désaccords dans le dossier sur l’assurance dépendance et le dossier Revis qui a révélé des divergences entre le ministère du Travail et celui de la Famille. Mais il y a toujours eu des tensions entre les différents ministères dans les gouvernements précédents, sauf que les problèmes se réglaient en Conseil de gouvernement et pas sur la place publique.
Vous voulez dire que le Premier ministre, Xavier Bettel, ne sait pas tenir les troupes aussi bien que son prédécesseur?
C’est quand même au Premier ministre d’éviter qu’il y ait des bagarres au sein de son gouvernement, mais pour cela il faut connaître les dossiers pour pouvoir arbitrer. Des ministres qui règlent leurs comptes en public, ce n’est pas le “modèle luxembourgeois”.
Le modèle CSV a-t-il beaucoup changé entre 2013 et 2018?
Le CSV de 2018 n’a plus rien à voir avec celui de 2013. Nous avons modifié nos statuts, renouvelé nos candidats, changé notre personnel, mais nous restons fidèles à la ligne politique du parti.
Un parti qui a pour principal credo la volonté d’empêcher toute alliance des trois formations qui forment le gouvernement actuel…
Étienne Schneider a quand même dit que le LSAP voulait repartir à trois, c’est quand même une déclaration du vice-Premier ministre! Xavier Bettel et Dan Kersch ont dit la même chose. Quant à Alex Bodry, il n’exclut plus une coalition à trois.
Félix Braz l’a déjà dit aussi, même si les verts sont prêts à discuter avec nous, mais cela dépend du résultat.
Il est donc capital pour le CSV que ces trois partis obtiennent moins de 30 sièges. C’est un de nos objectifs, car c’est lia seule manière pour nous d’être sûrs de revenir au gouvernement.
Si vos jeunes candidats obtiennent plus de voix que les anciennes vedettes, ont-ils toutes les chances de se retrouver dans un gouvernement avec le CSV?
Il est évident qu’un renouveau est nécessaire. Je suis certain que des jeunes vont entrer au gouvernement et à des postes à responsabilités. D’abord il faut avoir une compétence, ensuite obtenir un bon résultat et je suis sûr que beaucoup d’entre eux vont réunir ces deux conditions.
Il y a les voix de Jean-Claude Juncker dans le Sud et de Luc Frieden dans le Centre à redistribuer, pensez-vous pouvoir les conserver?
Le CSV peut compter énormément sur les voix de liste. Beaucoup d’électeurs ont panaché pour donner une voix à Jean-Claude Juncker et ensuite ils ont voté à gauche ou à droite. Le plus faible résultat des voix de liste pour le CSV a toujours été dans le Sud à cause de Jean-Claude Juncker. Si 10 % des électeurs de Jean-Claude Juncker décident de choisir toute la liste CSV, nous obtiendrons plus de voix que les 67 000 de Jean-Claude Juncker aux dernières élections. Chez les socialistes avec Jean Asselborn et Mars Di Bartolomeo, c’est le même constat.
Vous parliez d’un Premier ministre qui ne connaît pas les dossiers…
Oui et même la presse internationale le dit, comme Le Figaro qui avait dressé un portrait de Xavier Bettel en précisant qu’il n’était pas un homme de dossier, surtout sur le plan européen.
Le même article disait aussi qu’il était une “bête politique”. Qu’estce que cela signifie pour vous?
C’est une bonne question. Je dirais que Xavier Bettel est capable de se vendre, il est partout, il est populaire. Je me rappelle l’avoir accompagné il y a une dizaine d’années de la Chambre jusqu’au boulevard Royal, mais nous avons mis dix minutes pour arriver à la Grand-Rue parce que Xavier Bettel saluait tout le monde et embrassait à tout-va.
C’est son caractère, mais cela n’a rien à voir avec une compétence politique. Avec notre système électoral, c’est ce qui fonctionne le mieux.
Vous défendez l’idée d’une circonscription unique?
Personnellement oui, mais ce n’est pas un avis que partage le Parti chrétien-social. Les petites circonscriptions surtout craignent de n’avoir aucune chance d’être représentées à la Chambre des députés.
Comment expliquez-vous la progression de I’ADR à l’Est?
C’est la circonscription de Robert Mehlen qui jouit d’une forte popularité en tant que membre fondateur du parti et le président Jean Schoos a occupé le terrain et s’est bien fait connaître au cours de ces cinq dernières années. On voit en revanche dans le Nord, où I’ADR est en recul, qu’il manque un leader charismatique dans cette circonscription.
Craignez-vous que le mariage entre I’ADR et l’association de plus en plus identitaire Wee 2050 puisse engendrer un bon résultat?
En tôut cas, ils se sont bien trouvés. On les savait proches l’un de l’autre à travers leurs idées et cette union n’est qu’une confirmation pour les observateurs. L’ADR a trouvé quelques personnalités, dont certains bons nationalistes comme Tom Weidig ou Fred Keup. Si vous me demandez ce que pense le CSV d’une coalition avec I’ADR, je peux déjà vous dire que nous sommes incompatibles sur de nombreux points, à commencer par la politique européenne.
Le CSV est-il rancunier?
En 2018 nous ne sommes plus en 2013 et le CSV, qui s’est fait éjecter des négociations il y a cinq ans, est prêt à discuter avec les trois partis actuellement au pouvoir selon les résultats. D’abord, il faut voir qui va gagner ces élections.
Les verts paraissent être une bonne option pour vous et c’est aussi ce que pense une partie des personnes sondées. Que pensez-vous de l’arrivée de Claude Turmes au gouvernement?
D’un point de vue électoral, c’est une décision très compréhensible.
Les électeurs en 2013 ont donné plus de 10 000 voix à Camille Gira, arrivé en tête chez les verts, et près de 4 000 voix à Christiane Wickler, deuxième sur la liste, qui a abandonné son poste de députée après quelques mois. Il fallait un poids lourd pour tenter de conserver ces 14 000 voix et le seul qui pouvait y prétendre était Claude Turmes, arrivé en troisième position aux élections européennes avec près de 70 000 voix. Son résultat dans le Nord était appréciable. Je pourrais encore ajouter que le CSV avait été pointé du doigt par les verts il y a neuf mois quand Viviane Reding a annoncé son retour à la politique nationale. Je constate qu’ils font aujourd’hui la même chose.
Vous-même, M. Spautz, êtesvous d’ores et déjà certain de faire partie du futur gouvernement?
(Il rit) Je n’ai pas encore réfléchi à ça, je veux gagner les élections.
Vous rêvez d’une majorité absolue?
Il faut rester réaliste. Ce n’est pas sain pour un gouvernement d’avoir une majorité absolue.
LE QUOTIDIEN du lundi 18 juin 2018 / Geneviève Montaigu
Élections, Luxembourg, Interview