Jean-Claude Juncker Premier ministre, ministre d’Etat

Jean-Claude Juncker en interview dans l’Echo de l’industrie

Echo de l’industrie: « Monsieur Juncker, sur le plan économique, il y a lieu de constater que certains indicateurs macro-économiques (inflation, taux de chômage) se sont détériorés tout au long de l’année sous revue. Comment voyez-vous dans ce contexte le bilan économique de l’an 2005 et quelles sont, selon vous, les perspectives conjoncturelles pour 2006? »

Jean-Claude Juncker : «A première vue, l’année 2005 apparaît comme un excellent crû avec une croissance de quelque 4%, confirmant le tournant réussi par notre économie en 2004. A y regarder plus près, on arrive à un constat plus nuancé. Le Luxembourg a surtout profité de la demande extérieure sa progression malgré la création nette de nouveaux emplois. Le gouvernement est décidé d’agir tant en soutenant les efforts de formation qu’en analysant les différents mécanismes de soutien aux demandeurs d’emploi. Il s’agit de s’assurer qu’ils remplissent en effet leur rôle, c’est-à-dire d’aider les concernés à retrouver au plus vite leur place dans le monde du travail. »

Echo : « L’année 2005 a posé à nouveau un important défi en matière d’inflation. Le prix du brut a continué sa progression, atteignant des sommets à plus de 67 dollars par baril, 25 dollars de plus qu’au début de l’année. L’imposition plus faible des produits pétroliers au Luxembourg permet certes d’avoir des prix plus avantageux, mais résulte aussi dans un impact plus important des variations du cours du brut dans l’inflation locale. Pour 2006, beaucoup dépendra à nouveau de l’évolution des prix du pétrole. Même si les dernières prévisions s’annoncent plus optimistes qu’il y a quelques mois encore, la prudence s’impose. »

Jean-Claude Juncker : « L’environnement international s’annonce favorable pour 2006, et, en ce qui concerne l’Europe, meilleur que l’année dernière. Surtout la perspective d’une reprise conjoncturelle en Allemagne est importante pour le Luxembourg. C’est vrai tant pour les secteurs économiques orientés à l’expert que pour la confiance des consommateurs. On doit en effet constater que l’ambiance morose véhiculée ces dernières années par les médias allemands n’est pas restée sans influence au Luxembourg.»

Echo : « Malgré les signes d’une amélioration de la situation conjoncturelle, un certain nombre de malaises structurels continuent à peser sur la compétitivité des entreprises luxembourgeoises. Parmi les solutions qui viennent d’être esquissées dans le cadre du plan national pour l’innovation et le plein emploi, quelles sont celles que le gouvernement compte mettre en œuvre prioritairement afin de redresser la compétitivité de l’économie luxembourgeoise? »

Jean-Claude Juncker : «Le gouvernement s’est résolument engagé en faveur de réformes visant à combattre le chômage et d’assurer le maintien de la compétitivité économique à moyen et long terme afin de pouvoir continuer à garantir la cohésion sociale. Le Plan national pour adressée à son économie. L’excellent développement sur la place financière est dû avant tout à une conjoncture boursière internationale particulièrement favorable. L’industrie exportatrice s’est aussi bien défendue, bien qu’on doive y mettre, surtout au premier semestre, un bémol pour la sidérurgie. La demande intérieure reste par contre hésitante. Les résultats dans le commerce sont ainsi en retrait par rapport à la croissance à laquelle on s’était habitué.

La situation sur le marché du travail constitue la principale déception dans l’évolution économique 2005. Le chômage a continué l’innovation et le plein emploi trace un certain nombre de pistes, certaines dans une approche à plus court terme, d’autres avec une vision à plus long terme. Elles seront explorées plus en détail à la tripartite.

Il n’existe pas un remède miraculeux qui résoudrait à lui seul tous les problèmes qui se posent à nous. Je mets dès lors en garde devant une approche qui se focaliserait sur une mesure spécifique pour juger les réformes. Notre objectif est de constituer un paquet de réformes équilibré. Ceci veut dire aussi qu’au début des négociations, il ne s’agit pas d’imposer telle ou telle mesure. Nous avons des objectifs que nous voulons atteindre. Les voies à suivre peuvent varier, tant que dans leur ensemble elles mènent au but sans pour autant sacrifier l’essentiel.

Le gouvernement a pris la décision de discuter les différentes pistes avec les partenaires sociaux, ce que nous sommes en train de faire. Les heures que nous nous prenons maintenant pour nous concerter avec les partenaires sociaux, nous permettront de gagner des mois quand il s’agira de mettre en œuvre les réformes décidées.»

Echo : « Malgré une croissance économique de près de 4,4% (prévision Commission européenne), le budget de l’Etat pour 2006, affiche un accroissement de près de 9% des dépenses totales, face à des recettes totales dont l’accroissement prévu pour 2006 n’est évalué qu’à 6,2%. Face à ce déséquilibre entre l’évolution des recettes et les dépenses budgétaires, il est indispensable que l’Etat procède à des économies au niveau de ses dépenses courantes. Quels sont, selon vous, les moyens à mettre en œuvre afin de ne pas mettre en péril la stabilité des finances publiques en général?

Jean-Claude Juncker: «Après le ralentissement économique de 2001, le gouvernement avait poursuivi une politique volontariste de soutien à la conjoncture, politique rendue possible grâce aux réserves mais aussi en acceptant consciemment des déficits. Or, avec la reprise et alors que notre économie tourne à un rythme proche de sa croissance potentielle, il n’est plus normal ni conforme à une logique de développement durable d’accuser des déficits budgétaires aussi élevés que le fait le Luxembourg. Il s’avère donc indispensable de revoir en profondeur les dépenses de l’Etat quant à leur finalité, leur efficacité et leur équité.

Il faut cependant faire attention quand on parle de dépenses courantes. Les dépenses au budget de l’Etat ne sont pas une à une comparables avec les frais généraux d’une entreprise. On ne coupe pas dans les transferts sociaux, instruments élémentaires de solidarité, comme dans un budget publicitaire. Puis il y a les investissements dans nos infrastructures, qui représentent cette année 2,7% du PIB, en progression appréciable.

Notre objectif, notre obligation en fait, consiste à retrouver en ces temps de forte croissance un budget proche de l’équilibre. Le gouvernement fera des propositions qu’il discutera avec les partenaires sociaux. Il ne s’agira pas de procéder à des coupes claires sans discernement, mais d’avancer avec détermination afin d’assurer la pérennité des systèmes qui assurent la cohésion sociale du Luxembourg.

Des efforts seront exigés à tout un chacun, mais je suis confiant que les Luxembourgeois sauront répondre aux défis posés.»

Echo : « Récemment, le gouvernement a répété sa volonté de respecter les engagements ambitieux pris dans le cadre du protocole de Kyoto. Par ailleurs, en ce qui concerne la directive européenne Emission Trading, le deuxième plan national d’allocation devra être soumis à la Commission européenne pour la mi-2006. Sachant que les solutions possibles en la matière affecteront les finances publiques et l’orientation des politiques industrielle et énergétique, la FEDIL estime qu’il est urgent de définir une véritable stratégie gouvernementale en matière de politique de changement climatique. Est-ce que vous partagez ce point de vue et quelle seraient les pistes que vous préconisez? »

Jean-Claude Juncker: «Les travaux en vue d’une stratégie nationale de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont en cours. Notre pays a pris des engagements qu’il se doit de respecter. Nous savons dès maintenant que ce ne sera pas facile. Les travaux d’analyse des différentes options qui s’offrent à nous sont bien avancés. Ces discussions continueront en concertation notamment avec les milieux industriels.

L’industrie a fait d’importants efforts en matière d’émission. Il est exclu de lui faire subir seul le fardeau. Les efforts nationaux, aussi dans l’industrie, devront bien sûr se poursuivre. Mais le gouvernement est conscient que le potentiel de réduction
d’émissions domestiques est limité. Il apparaît donc dès maintenant que nous devrons sans doute avoir recours aux différents mécanismes de flexibilité prévus dans le protocole de Kyoto pour atteindre les objectifs fixés.»

Interview parue dans « Echo de l’industrie » au 31. janvier 2006