Interview France Inter

Jean-Claude Juncker invité de l’émission “Jardin secret”

À 7 h 45, nous partons dans le jardin de Jean-Claude Juncker ce matin, le Premier ministre et ministre des Finances du Luxembourg. Il a présidé l’Union européenne pendant le premier semestre de l’année. Il est actuellement à la tête de l’Eurogroupe, qui réunit les ministres des Finances de la zone euro. Très occupé par ses fonctions européennes, il n’a pas beaucoup de temps libre comme il l’a confié à Quentin Dickinson.

Jean-Claude Juncker: Je n’ai jamais compté mes jours de travail, mais j’ai parfois, puisque mon entourage me le demandait, compté mes jours de congé. Ça fait 10, 13, 14, 15 journées par année. J’aime travailler, oui.

Quentin Dickinson: Et au cours de ces 13, 14, 15 jours par an, vous faites quoi ?

Jean-Claude Juncker: Rien, sauf que je lis avec une ferveur qui à chaque fois me surprend, je ne peux pas vivre sans lecture. J’ai une très nette préférence pour les biographies, les autobiographies, non seulement d’hommes politiques, mais de philosophes, d’écrivains, de penseurs, de faiseurs de choses, de scientifiques. J’aime beaucoup ce genre qui mélange l’observation aux constats qui furent ceux de l’époque qui est traitée par les biographies et par les autobiographies. Je crois que j’ai lu 13, 14, 15 biographies de Churchill, sans jamais pouvoir réaliser la véritable mesure de celui que de Gaulle a appelé le grand Churchill. Je ne suis pas un lecteur passion. Si sur les 100 premières pages, je ne sens pas une émotion forte, j’abandonne et je prends autre chose.

Quentin Dickinson: Vous pratiquez du sport de temps à autre ou est-ce que c’est rigoureusement exclu ?

Jean-Claude Juncker: Je le faisais, mais après un assez grave accident de voiture en 89, j’ai la jambe gauche qui ne fonctionne pas convenablement, donc je fais très peu de vélo, alors que j’en faisais beaucoup. Je jouais au foot, je jouais au handball, je jouais au volleyball, je jouais au tennis de table. Il me reste le tennis de table que je pratique pendant les vacances d’été, tout comme la natation. Pour le reste et en cours d’année, je pratique avec un fanatisme pervers le flipper.

Quentin Dickinson: Jean-Claude Juncker, est-ce que vous êtes encore aujourd’hui le jeune homme pressé, le fort en thèmes, l’enfant chéri de votre génération politique au Luxembourg? Est-ce que vous avez évolué ? Est-ce que cet accident de voiture dont vous parliez, est-ce qu’il y a eu un avant et un après ?

Jean-Claude Juncker: Cet accident de voiture, dont je n’aime pas trop parler, je l’ai eu en 89. J’étais dans le coma. Depuis 14 ans, j’ai une idée de ce qu’on voit si on regarde derrière le rideau et ça m’a beaucoup changé. Je ne pourrais pas vous dire en détail où et comment ce regard oblique dans l’au-delà, si vous me permettez cette expression, m’a changé, mais je sens profondément que je ne suis plus le même homme. Parfois, je me dis que je suis devenu plus sérieux, plus réfléchi, plus retenu. À d’autres occasions, je me dis que je suis devenu plus joyeux, plus hilare, plus regardant. Je prétends, mais c’est aux autres de le dire, que j’ai développé plus le souci de l’autre. Si on s’éloigne de soi-même pour un bref moment, on découvre l’importance des autres.

Quentin Dickinson: Vous voyez comment l’avenir ? Est-ce que vous voyez une coïncidence entre votre destin personnel et l’un de ces grands portefeuilles européens?

Jean-Claude Juncker: Je suis devenu ministre à l’âge de 28, 29 ans. Je fais cela depuis plus de deux décennies. Je suis Premier ministre depuis 11 ans. La politique n’est pas tout. J’aime écrire comme tout un chacun qui aime lire. En allemand, j’ai une plume qui parfois sait s’exprimer avec talent, en français, moins. Je me verrais bien, si la vie me donnait cette occasion, m’exprimer régulièrement par écrit dans les journaux d’expression allemande.

France Inter du 8 août 2005