La Tour de Pise fait bouger les choses

Claude Wiseler: “Si l’étude PISA a eu un effet positif, cela aura certainement été celui de faire prendre conscience des problèmes de l’enseignement national.”
Ne pas être, pour une fois, ni parmi les meilleurs ni même parmi les bons élèves de la classe européenne, cela remet en question des certitudes faciles et rassurantes.

Cela dérange également, parce que cela oblige à s’interroger sur des démarches pédagogiques bien rodées ayant fait leurs preuves. L’étude PISA de l’OECD a eu le grand mérite de déranger et de poser de nombreuses questions, aux responsables politiques évidemment, mais pas seulement à eux. Elle s’adresse au monde scolaire en général: enseignants, élèves, parents d’élèves, directeurs d’écoles, syndicats, voire même aux entreprises luxembourgeoises.

Voilà que, pour une fois, on ne mesure pas la réussite d’une politique à l’input – en l’occurrence aux sommes élevées consacrées à l’éducation nationale – mais à l’output et plus précisément aux compétences et au savoir-faire acquis en formation (et non aux pourcentages de diplômes «produits» par le système, ce qui aurait d’ailleurs rendu difficile des comparaisons internationales).

Cette façon de procéder, si elle est lourde à mettre en place, est certainement payante et son application à d’autres domaines, tels la Santé, les Transports, les Sports, l’Aide au Tiers Monde, pour ne citer que ceux-là, serait une opération «vérité» hautement intéressante.

Des déficiences évidentes

Nombreux sont par ailleurs ceux qui, à la publication du test en question, ont analysé les résultats avec beaucoup de réserves, arguant du fait que les élèves luxembourgeois ont dû effectuer le test dans une langue qui n’est pas leur langue maternelle ou encore qu’ils étaient confrontés à un genre de test qui ne se pratique guère dans le système scolaire national. Ajoutons à cela les conditions parfois difficiles dans lesquelles le test a été effectué ou encore le fait que, selon les aveux de beaucoup d’élèves, les épreuves n’ont pas été abordées avec le sérieux nécessaire. Toutes ces allégations, si elles sont vraies, ne sont pas concluantes pour autant.

Des conditions idéales auraient, le cas échéant, pu améliorer notre score, nous faire gagner l’une ou l’autre place : cela nous aurait toujours situés loin dans la deuxième moitié du peloton et donc à une place largement insatisfaisante.

L’étude PISA nous a confrontés à un certain nombre de réalités dont deux me semblent avoir une portée toute particulière:

Tout d’abord, il s’est avéré que nos élèves ont des déficiences très importantes au niveau du savoir-faire, du solutionnement pratique de problèmes, de la créativité et de la compréhension de la langue. Le test en question n’a pas mesuré le bagage de connaissances théoriques abstraites dont disposaient les candidats et ne donne aucun renseignement sur ce que je qualifierais de connaissances «mémorisées».

Par ailleurs, l’étude documente clairement qu’en lecture par exemple, seulement 1,7% des élèves luxembourgeois ont réussi à atteindre le niveau de compétences le plus élevé, correspondant à de très bonnes performances. Par contre, 35,1% des élèves luxembourgeois se situent au niveau de compétences le plus bas. Ce pourcentage inquiétant est deux fois plus élevé que celui de la moyenne des autres pays de l’OCDE, qui s’élève à 18,3%.

Un concept global est nécessaire

Réagir s’avère donc une nécessité. Cela ne signifie pas qu’il faille organiser le chambardement général de notre système éducatif national: l’école a besoin d’une réforme en profondeur s’effectuant dans le calme et la sérénité. Cela signifie cependant qu’il faut identifier les véritables problèmes de l’école luxembourgeoise et développer une conception globale et cohérente pour s’attaquer à la tâche. «Vendre» des réformes partielles ou des mesures isolées comme une politique susceptibles de remédier aux problèmes mis en exergue par l’étude PISA, n’est que du plâtrage pouvant cacher un manque de véritable concept.

Si la réforme de la division supérieure de l’enseignement secondaire a certainement son utilité, elle n’est cependant d’aucune façon une réponse à l’étude de l’OCDE. Conçue bien avant la sortie des résultats de cette dernière et s’adressant à des élèves ayant dépassé l’âge du test PISA, cette réforme n’apporte que de légères modifications structurelles à une partie du système d’enseignement, alors que celui-ci aurait besoin d’un nouveau souffle.

Une nouvelle méthode d’alphabétisation dans l’enseignement primaire ainsi que l’apprentissage du luxembourgeois dans les systèmes d’enseignement précoce et préscolaire sont d’une importance certaine mais ne représentent que le début d’une réponse qui semble avoir des difficultés à s’articuler.

La motivation

La place réservée à un article thématique de moyenne envergure ne permettant guère de prétendre à la formulation d’une réponse exhaustive, il importe du moins d’esquisser quelques éléments d’une réflexion à approfondir.

Notre enseignement manque souvent de motivation. Cela ne veut aucunement dire que les enseignants luxembourgeois soient tous démotivés. Cela veut dire que la rigidité de notre système rend difficile le maintien de la motivation à un niveau élevé tout au long d’une carrière. L’engagement pédagogique, le travail autour de l’école, l’acceptation des tâches difficiles, tout cela n’a de place dans notre enseignement que sur initiative personnelle. La formation continue reste facultative et n’est guère considérée comme une «valeur pédagogique ajoutée»; il en est de même de la participation à des projets d’école. Basé uniquement sur l’ancienneté, notre système freine tout ce qui est engagement et initiative. Avec des conséquences parfois difficiles à accepter comme p. ex. le fait que souvent les classes pédagogiquement difficiles sont délaissées par les enseignants qualifiés et expérimentés – tant dans le primaire que dans le secondaire – pour des classes, peut-être plus intéressantes au niveau scientifique, mais certainement plus faciles au niveau pédagogique. Ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres pour montrer qu’une réflexion sur la tâche de l’enseignant, sur sa motivation, s’impose. Les implications sur la motivation des élèves et sur celle de leurs parents semblent évidentes.

La flexibilité

Notre enseignement manque souvent de flexibilité. La rigidité des programmes et des filières tient de moins en moins compte d’une population scolaire de plus en plus diversifiée. La différenciation de l’enseignement devient dès lors de plus en plus une nécessité incontournable. Les résultats de l’étude PISA nous ont montré que notre enseignement doit faire des efforts tant au niveau des élèves faibles qu’à celui des élèves doués, voire surdoués. La différenciation est donc une évidence et les efforts consentis dans l’intérêt des uns et des autres se présentent comme les deux faces d’une même médaille. Soucieuse de la nécessaire cohérence de notre société, cette différenciation ne saurait se faire qu’au sein d’un enseignement primaire égal pour tous.

Au niveau de l’enseignement secondaire, les travaux préparatoires qui ont été entamés en vue de moduler les exigences en langues par l’introduction d’une 1e et d’une 2e langue sont des débuts de solution permettant de mieux adapter un enseignement peu flexible aux besoins d’aujourd’hui. Ils méritent d’être poursuivis et, si nécessaires, élargis.

Autonomie, transparence et évaluation

Toujours est-il que la motivation et la flexibilité ne sortent pleinement leurs effets que si elles prennent appui sur l’autonomie qui en est le complément indispensable. Il faut à nos écoles plus d’autonomie, pas seulement administrative mais également pédagogique. Car flexibilité va de pair avec décentralisation et l’autonomie oblige à la responsabilisation qui est une condition de la motivation.

Encore faut-il être conscient du fait que l’autonomie scolaire, avec toutes les conséquences qu’elle comporte, ne sera acceptable et acceptée que dans la pleine transparence. Et cette transparence implique la nécessité d’une évaluation permanente de la qualité de l’enseignement au niveau des établissements scolaires. Voilà encore un chantier d’importance que la politique éducative des années à venir devra faire démarrer.

Programmes recentrés sur l’essentiel

Enfin, ajoutons à cela l’impérieuse nécessité de revoir les contenus de nos matières d’enseignement. Les auditions organisées par la Chambre des Députés ont montré que tous les partenaires scolaires s’accordent à dire que nos programmes d’enseignement doivent être élagués, recentrés sur l’essentiel et davantage orientés sur l’apprentissage d’un certain savoir-faire que sur la mémorisation de savoirs. Cette réflexion, pour être vraie, n’est cependant guère nouvelle. Depuis de nombreuses années elle se présente comme le credo de la politique de l’éducation, credo qui ne semble se traduire que difficilement en réalité. On a souvent l’impression que les discussions ne deviennent passionnées que lorsqu’elles tournent autour des grilles horaires, de l’importance relative de chaque branche par rapport à d’autres et du difficile équilibre à trouver pour l’ensemble.

Si nous savons ce que nous voulons, il faudra nous donner les moyens de notre ambition. Une réflexion sur l’élaboration, la validation et l’évaluation des programmes de notre enseignement s’impose et, dans ce contexte, si la collaboration des enseignants est une nécessité de tous les instants, le besoin d’une plus grande professionnalisation des organismes responsables des programmes devient de plus en plus évidente.

Voilà quelques lignes directrices d’une réflexion qu’il sera nécessaire de mener dans les mois à venir.

Si l’étude PISA a eu un effet positif, cela aura certainement été celui de faire prendre conscience des problèmes de l’enseignement national. Cela aura également été celui de rendre possible une discussion difficile car pleine d’a priori, souvent polémique et bloquée par des acquis impossibles à remettre en cause.

Et pourtant, il faudra mener cette discussion et surtout il faudra avoir le courage d’en tirer les conclusions qui s’imposent.

Claude Wiseler

député