La ministre à la Simplification administrative auprès du Premier ministre, Octavie Modert expose dans les colonnes de paper Jam ses priorités pour la législation en cours. Avec en ligne de mire la volonté de toujours servir au mieux les entreprises
Jean-Michel Gaudron: Madame Modert, vous avez en charge la simplification administrative dans le nouveau gouvernement. Quel bilan établissez-vous de ce qui a été fait au cours de la précédente législature?
Octavie Modert: Il faut d’abord avoir à l’esprit que la simplification administrative est un processus permanent. Il ne sera jamais vraiment terminé et il sera toujours possible de dire qu’il n’en a pas été assez fait. De nombreuses choses ont déjà été mises en œuvre, mais elles ne sont pas forcément toujours perceptibles. Cela ne concerne parfois qu’un certain nombre d’entreprises ou bien un secteur parmi d’autres. Lorsqu’une action ne concerne pas l’économie dans son ensemble, cela peut laisser les gens sur leur faim. Mais encore une fois, c’est un travail de longue haleine.
Jean-Michel Gaudron: Comment ce concept de simplification s’inscrit-il dans le fonctionnement au quotidien des administrations?
Octavie Modert: Il faut introduire un esprit d’innovation permanente et susciter des changements de réflexes. Chaque nouvelle décision prise doit être soumise à une analyse approfondie pour savoir quelles sont les charges administratives supplémentaires qu’elle crée et leurs impacts.
Du reste, en ma qualité de ministre déléguée à la Fonction publique et la Réforme administrative, j’ai introduit un cours de formation obligatoire pour les nouveaux fonctionnaires et employés de l’Etat sur cette notion de simplification administrative. J’ai aussi rencontré les stagiaires de l’Institut national d’administration publique pour les inciter à avoir ce réflexe systématique dans toutes leurs démarches futures, et notamment dans l’application de textes.
Jean-Michel Gaudron: La responsabilité de la simplification administrative, qui dépendait jusqu’alors du ministère des Classes moyennes et du ministère de l’Economie, a été transférée au ministère d’Etat, signe de l’importance donnée à cette matière par le Premier ministre. Quelles sont les priorités qui ont été définies?
Octavie Modert: Le chantier majeur concerne la simplification des grandes procédures publiques dans les domaines de l’aménagement communal et du développement urbain, de la protection de la nature et des ressources naturelles, des marchés publics, de la législation relative à l’évaluation des incidences sur l’environnement, de l’eau, de la prévention et de la gestion des déchets ainsi que des établissements classés. Ce chantier implique des modifications législatives majeures qui vont prendre du temps, car en allant trop vite, nous risquerions d’être incomplets.
A côté de cela, il y aura évidemment toujours un certain nombre de petites modifications sur lesquelles nous pouvons agir au quotidien. Ce sont, là aussi, des démarches à continuer, car l’œuvre de simplification administrative est une œuvre permanente, qui implique par ailleurs un changement de paradigme par une approche de qualité.
Nous voulons également harmoniser autant que faire se peut les consultations publiques et arriver vers une consultation publique unique qui permette d’éviter les doubles emplois, voire les recoupements de procédures dans les domaines que je viens de mentionner. Nous réfléchissons aussi à la faisabilité de la mise en place de certains échanges interadministratifs de données. Là aussi, c’est complexe, car nous sommes confrontés à des problématiques liées à la protection des données à caractère personnel. Il s’agit de faire les arbitrages utiles et nécessaires, car simplification ne veut pas dire abandon d’Etat.
D’une manière générale, il est important de garder en tête le principe du ‘think small first’, qui permet de vérifier, pour chaque nouvelle proposition législative ou réglementaire, s’il s’avère utile de prévoir des exemptions suivant la taille de l’entreprise et/ou son secteur d’activité. C’est là notre souci principal.
Les grandes entreprises sont évidemment aussi visées, mais elles ont tout de même d’autres moyens. Il faut être capable de mettre sur pied quelque chose qui s’adresse aussi bien à des structures de 50 ou 100 personnes qu’à des entreprises unipersonnelles.
Jean-Michel Gaudron: L’introduction d’un guichet unique, aussi bien électronique que physique, à la fois pour les entreprises et pour les citoyens, constitue-t-elle le pilier majeur de la simplification administrative telle qu’elle est actuellement menée?
Octavie Modert: C’est, en tous les cas, celui qui a le plus de visibilité. Il permet de trouver, à partir de n’importe où, les renseignements que l’on cherche. Mais encore faut-il alimenter ce guichet par du contenu. C’est ce contenu qui, évidemment, est important. Le guichet, en lui-même, n’est que le vecteur qui permet de transmettre cette information. L’interactivité électronique est évidemment essentielle et nous devons encore l’améliorer afin de permettre l’introduction de dossiers par voie électronique ou encore la saisie de plus en plus de formulaires. J’ai d’ailleurs aussi, en tant que ministre déléguée à la Fonction publique et la Réforme administrative, la responsabilité du programme e-Luxembourg…
Jean-Michel Gaudron: Quel est l’obstacle majeur à la mise en œuvre de la simplification?
Octavie Modert: A vrai dire, tout est compliqué. Citons le cas du principe général que nous voulons introduire et qui veut que le silence d’une administration, en réponse à une demande d’autorisation dans un délai défini, équivaille à un accord. Il est évident que cela ne sera pas toujours possible, car certaines de ces autorisations sont assorties de conditions individuelles ou spécifiques. Il faut donc analyser avec précision où il est possible, ou pas, d’appliquer ce principe, sachant qu’il faut aussi tenir compte des aspects de sécurité juridique. Il n’est pas question, sous prétexte de simplifier, d’introduire une quelconque insécurité juridique.
Jean-Michel Gaudron: Le programme gouvernemental mentionne un grand nombre de chantiers. Lesquels vous paraissent plus prioritaires que d’autres?
Octavie Modert: En ce qui concerne les modifications administratives, les domaines des procédures transversales sont prioritaires et je souhaite arriver à les modifier par le biais d’une loi unique. Il n’est donc pas possible de donner une importance à l’une ou à l’autre de ses composantes. Le chantier est immense. Il faut y arriver et nous voulons y arriver. Nous nous sommes fixé l’objectif, dont j’ai informé en automne 2009 la Commission européenne, d’une réduction de 15% des charges administratives supportées par les entreprises dans quatre domaines précis: la sécurité sociale, l’environnement, l’aménagement communal et le développement urbain ainsi que la TVA.
Jean-Michel Gaudron: Comment allez-vous concrètement évaluer cette réduction?
Octavie Modert: Nous sommes en train d’implémenter la méthode dite du modèle des coûts standard. Cette évaluation se fera à l’aide d’un prestataire externe, avec qui nous analyserons, pas à pas, toutes les procédures qui découlent des lois. Un échantillon d’entreprises sera interviewé, pour voir quels sont leurs coûts administratifs par rapport à ces procédures légales et réglementaires. Une fois que nous aurons évalué ces coûts, il sera possible de déterminer quel pourra être le gain envisagé en modifiant tel ou tel paramètre de la loi ou des procédures.
Il n’y a pas vraiment de tradition au Luxembourg de mesurer ou de chiffrer de tels coûts. Une mesure objective est donc essentielle, ne serait-ce que pour déclencher une prise de conscience.
Jean-Michel Gaudron: Quels moyens comptez-vous mettre en œuvre pour travailler sur tous ces chantiers?
Octavie Modert: Nous souhaitons y arriver avec les moyens qui sont déjà en place, en espérant que la simplification profite aussi directement à l’administration. Actuellement, le Comité à la simplification administrative fonctionne avec trois personnes et un budget de 200.000 euros qui a été doublé entre 2008 et 2009, en raison des coûts d’études liés à la mise en place du modèle des coûts standard. Un juriste est en cours de recrutement, mais ce processus-là prend du temps. Ecrire des lois importantes et complexes aussi… ce ne sera pas facile. Evidemment, les moyens sont susceptibles d’évoluer et nous nous attellerons à les faire évoluer quand il le faudra. Il y a des domaines qui vont prendre une telle importance que l’on ne peut pas faire fi d’un besoin en personnels nouveaux. Mais notre défi sera aussi de ne pas laisser exploser les coûts. C’est une question de crédibilité. De plus, nous avons déjà fait l’expérience que ce n’est pas toujours avec plus de personnes que l’on peut arriver à réaliser plus de choses.
Jean-Michel Gaudron: Quelle est la prochaine échéance majeure en matière de simplification?
Octavie Modert: D’ici à quelques jours, nous aurons terminé l’analyse des procédures où il est possible d’introduire le principe du silence qui vaut autorisation. Mais il est difficile de donner des échéances précises quant à la mise en application du résultat de ces analyses. Cela peut paraître paradoxal vis-à-vis de la volonté de simplifier les choses, mais encore une fois, l’analyse de l’ensemble de la législation existante ne se fait pas d’un coup de baguette magique.
Source: Paperjam, 1 février 2010, Jean-Michel Gaudron