«La Famille est un vaste domaine»

Depuis 1995, Marie-Josée Jacobs est à la tête du ministère de la Famille et de la Promotion féminine/Égalité des chances.
Visiblement, l’infirmière de formation, la syndicaliste et ancienne présidente des Femmes chrétiennes-sociales se sent à l’aise au ministère de la Famille, dont les ressorts ministériels portent ses empreintes politiques. Entretien avec le journaliste Jean Rhein du Quotidien

Les ressorts gouvernementaux dont vous assumez la responsabilité sont vastes. Sont-ils dessinés selon vos désirs? 

Pas particulièrement. Pourtant, les départements me conviennent parfaitement. Au fur et à mesure des gouvernements successifs, des départements sont venus s’ajouter. Comme la Jeunesse, par exemple, qui est intégrée au ministère de la Famille et qui fut un ministère à part entière, auparavant. C’est un domaine qui m’apporte beaucoup de satisfactions; je constate avec un grand plaisir que beaucoup de jeunes (et d’adultes) s’engagent de façon bénévole pour réaliser des projets qui intéressent les jeunes gens. 

Un autre département qui gagne beaucoup d’importance est celui de l’lntégration. Au début, nous nous préoccupions seulement des demandeurs d’asile, en particulier de leur hébergement, et il ne restait guère de ressources. Aujourd’hui, le département devient l’une des grandes priorités du gouvernement. Le projet de loi y relatif pourrait passer en octobre à la Chambre des députés. L’envergure du département augmentera certainement dans les années à venir – sachant que 40 % des habitants du pays ne sont pas luxembourgeois alors que seulement 6 % des étrangers ne sont pas des ressortissants de l’Union européenne. 

Pensez-vous qu’on devrait regrouper, à l’avenir, tous les aspects politiques qui concernent l’intégration sous un seul ministre? 

Je pense que cela comporterait quelques avantages. On dit souvent qu’lmmigration et Intégration vont de pair. Pourtant, les deux dossiers sont difficiles et je préfère que les compétences ministérielles soient séparées. Et que les responsabilités soient assumées par des ministres appartenant à des sensibilités politiques différentes au sein de la coalition gouvernementale. En matière d’intégration, il y a bien d’autres aspects qui doivent être considérés : le marché du travail, l’éducation nationale… Le projet de loi instaure un comité interministériel, dans lequel la Santé, le Logement… sont présents, associant tous les partenaires pour faire un travail convenable. Il s’agit d’associer également les communes, puisqu’elles sont le premier point de contact de ces personnes. Je me réfère à un projet intéressant dans la commune de Kiischpelt, qui a désigné des «ambassadeurs locaux» dont la mission est l’assistance des citoyens dans la langue de leur choix. L’intégration est une tâche d’assistance permanente. 

Êtes-vous une partisane de la double nationalité? 

Oui. J’espère qu’avant tout beaucoup de concitoyens portugais profiteront de cette opportunité. 

Pensez-vous que la langue luxembourgeoise est le point de départ de l’intégration ou le point d’aboutissement? 

C’est une question très difficile et j’estime qu’on ne devrait pas opposer les deux points de vue. Lors d’une conférence sur les formes alternatives de logement de personnes âgées, une représentante néerlandaise revendiquait la création d’une maison de retraite particulière pour personnes néerlandophones. Il est évident que nous ne pouvons pas ériger pour 93 nationalités des centres pour les personnes âgées. Cependant, la revendication contient un fondement justifié, dans le sens de la compréhension linguistique – ces personnes n’ont plus d’attaches dans leur pays d’origine et pas suffisamment de connaissances de luxembourgeois. Il importe, par conséquent, de favoriser l’apprentissage de la langue dès l’arrivée de ces personnes au Luxembourg. 

Je pense que l’apprentissage de la langue luxembourgeoise dès le début est un facteur de cohésion sociale important. Même pour la compréhension entre les personnes de provenances linguistique et culturelle différentes. 

Pourriez-vous vous imaginer occuper au prochain gouvernement un autre ressort, par exemple la culture, l’agriculture, l’armée ou les finances? 

J’ai déjà occupé les postes de ministre de l’Agriculture et de ministre déléguée à la Culture. Pour ce qui concerne l’Armée et les Finances, certainement pas. Et le Sport non plus. Même si je suis attentivement le Tour de France, avec le même intérêt que tous les Luxembourgeois, actuellement. 

Je suis admirative devant l’engagement dont fait preuve le personnel de ce ministère. Il est vrai que les dossiers sociaux que nous avons à traiter avancent bien, ce qui est très motivant : l’exclusion sociale, la pauvreté, le handicap, les personnes âgées… 

Travaux préparatifs sur les chèques-services

Le modèle des maisons relais semble être un succès. Comment se présente son avenir? 

Nous nous préoccupons de l’amélioration de l’interaction entre les acteurs concernés : les enseignants, les éducateurs et surtout les parents, en plaçant l’intérêt des enfants audessus de tout. 

Les travaux préparatifs sur les chèques-service avancent bien. Nous y avons associé le Syvicol. En tout cas, il ne s’agira pas d’un chèque négociable portant sur une certaine valeur pécuniaire. 

Quelle est la coopération avec le ministère de l’Éducation nationale, par exemple en ce qui concerne la journée continue (Gesamtschoul)? 

Nous ne sommes pas en concurrence. La philosophie des deux projets est différente. L’éducation nationale est obligatoire – et les projets de journée continue s’insèrent dans cette optique. Le problème majeur que les projets-pilotes de journée continue n’ont pas résolu est celui des périodes de vacances. 

La maison relais ne doit pas devenir une «école bis». Les enfants devront pouvoir y trouver une alimentation appropriée, une assistance aux travaux scolaires à domicile; le but de la maison relais n’est pas d’occuper les enfants avec des travaux scolaires. 

Quel est le dossier le plus sensible qui vous préoccupe actuellement? 

Il s’agit de celui des adoptions, dans lequel nous partageons la compétence avec le ministère de la Justice. Il n’y a aucun dossier qui a autant d’implications pour la vie des gens que l’adoption : tant pour l’enfant,- les parents adoptifs, mais aussi les parents naturels. 

Comment réformerez-vous la législation concernant l’adoption? 

Nous devrions créer, au Luxembourg, une forme unique d’adoption pour tous : l’adoption plénière. Indépendamment des structures familiales qui peuvent se présenter : je connais des situations familiales dans lesquelles des hommes vivant seuls sont parfaitement en mesure d’éduquer un enfant; il en est de même pour les femmes, qu’elles vivent seules ou en couple. 

L’adoption d’un enfant est-elle un droit? 

Il n’y a que l’intérêt de l’enfant qui est valable : son entourage doit reposer sur une situation stable. Il ne peut y avoir un droit d’adopter de la part de candidats susceptibles à l’adoption. 

Les deux sexes doivent être associés à l’éducation : à mon avis, il importe que le parcours de l’enfant ne lui fasse pas seulement rencontrer des femmes, au préscolaire et à l’école primaire, et qu’il ne rencontre dans sa formation pour la première fois des hommes, en tant que professeurs, que dans l’enseignement postprimaire. Dans le cadre d’une procédure d’adoption en France, ayant fait l’objet d’un arrêt de la Cour, qui concernait un couple de lesbiennes, l’intéressée avait fait valoir que son père s’associerait à l’éducation de l’enfant. 

Je dis clairement que les hommes doivent être associés à l’éducation des enfants. 

Est-ce que vous menez ce discours comme membre du CSV dans la perspective des prochaines élections, en considération des revendications de I’AHL? 

Nous avons des contacts réguliers. Tout en n’étant pas toujours du même avis. J’écoute leurs arguments. Il y a certainement des situations où la justice n’a pas été du côté des hommes. 

Faudra-t-il favoriser à l’avenir les adoptions nationales? 

Beaucoup d’enfants font l’objet de placements au Luxembourg. Je me demande en effet, si l’adoption n’était pas préférable, parfois, au placement dans une maison pour enfants. Les questions d’adoption sont très complexes. Nous avons demandé au Comité national d’éthique et au Comité pour les droits des enfants de nous transmettre leurs avis. 

Votre prise de position sur la médecine palliative à la Chambre était-elle motivée par votre formation et expérience professionnelle? 

Cela a certainement conduit à cette intervention, Je ne cache pas que je suis catholique et pratiquante. J’ai travaillé pendant 22 ans dans le milieu hospitalier et longtemps en service de réanimation. Pendant toutes ces années, aucun patient ne m’a jamais sollicitée pour lui donner la mort. Le débat est plus aisé à mener, autour d’une table, lorsqu’on est en bonne santé; dans les moments ultimes, les questions peuvent se poser autrement. L’instinct de survie prédomine chez la plupart des gens; j’admets qu’il peut y avoir des attitudes différentes chez certaines personnes. 

Je respecte les positions des auteurs de la proposition de loi. 

Estimez-vous que le débat sur le droit de mourir en dignité a été conduit sereinement? 

Je pense qu’il a été mené sereinement à la Chambre des députés. Je me demande si les gens ne confondent pas euthanasie avec l’arrêt de l’acharnement thérapeutique, ou l’euthanasie avec un traitement contre la douleur dans le cadre de la médecine palliative. Si la question est posée directement : «Est-ce que vous consentiriez à une piqûre létale pour votre conjoint?», la réponse est un «non» catégorique. 

Le débat est rendu difficile par la multitude de termes qui sont utilisés (acharnement thérapeutique, traitement déraisonnable…). 

Il y a quelques jours, j’ai discuté avec mon collègue sarrois qui émettait l’avis que l’ouverture de la porte conduirait à une banalisation. C’est un reproche que je ne fais pas aux auteurs et à ceux qui ont voté la proposition de loi. Au CSV, nous pensons qu’il s’agit seulement d’une réglementation de cas exceptionnels et qu’il n’aurait pas fallu légiférer à propos de cas d’exception. 

Que pensez-vous de l’assistance au suicide? 

Je m’y oppose. Je ne pourrai jamais assister à un tel acte. J’admets qu’une personne qui se pend doit avoir été dans une détresse atroce pour passer à l’acte. Je ne peux pas savoir ce qui se passerait s’il y avait une assistance au suicide. 

La prévention du suicide fait-elle partie des compétences de votre ministère? 

Il s’agit plutôt d’une tâche qui incombe au ministère de la Santé. Pourtant nous sommes concernés par les activités que nous menons pour les jeunes. Je dois admettre que je ne sais pas dans quelle mesure une aide préalable est une prévention efficace. 

Faut-il adapter la loi sur l’interruption volontaire de grossesse? 

Je pense qu’il n’y a pas lieu de modifier la législation existante. La loi n’est pas aussi restrictive qu’on le pense, même si la pratique, dans certains établissements hospitaliers, est assez restrictive. 

Je me fais du souci que les jeunes soient si mal informés. Il devrait y avoir davantage de multiplicateurs dans les écoles. Des moyens contraceptifs existent; il y a la pilule du lendemain. Le Planning familial ne devrait pas être la seule institution qui en est chargée. 

Vous êtes connue comme partisane du modèle suédois.

Parmi tous les mauvais modèles, c’est celui qui est le moins mauvais. Il n’y a pas de bon modèle. Le risque de la clandestinité est généré par ce modèle. D’ailleurs je trouve très sympathique que les auteurs socialistes d’une proposition de loi vont dans le bon sens. 

Repères

Marie-Josée Jacobs est née en 1950 à Marnach. Après des études secondaires à l’école privée Sainte-Anne à Ettelbruck, elle a poursuivi des études d’infirmière (1969) et d’infirmière anesthésiste (1973), profession qu’elle a exercée jusqu’à sa nomination comme ministre. Marie-Josée Jacobs est membre du syndicat chrétien LCGB. Entre 1980 et 1992, elle est présidente de la section des employés privés et de 1981 à 1992, vice-présidente du même syndicat. 

Marie-Josée Jacobs débute sa carrière politique en 1967 au sein du CSV. Elle a été présidente du comité de la région du Nord et présidente des Femmes chrétiennes-sociales. Elle a été élue vice-présidente du CSV. 

En 1984, Marie-Josée Jacobs est élue pour la première fois députée de la circonscription Nord. Elle est réélue en 1989 et en 1994. En 1987, elle entre au conseil communal de la Ville de Luxembourg. 

Le 9 décembre 1992, Marie Josée Jacobs a été nommée ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural, ainsi que ministre déléguée aux Affaires culturelles. Réélue aux élections législatives du 12 juin 1994, Marie-Josée Jacobs se vit confier à nouveau les mêmes portefeuilles ministériels dans le gouvernement formé par le Premier ministre, Jacques Santer. 

Marie-Josée Jacobs est nommée ministre de la Famille, ministre de la Promotion féminine, ministre aux Handicapés et aux Accidentés de la vie, suite à la nomination de Jacques Santer au poste de président de la Commission européenne. 

Dans le gouvernement 1999-2004, Marie-Josée Jacobs a exercé la fonction de ministre de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse et ministre de la Promotion féminine. 

Marie-Josée Jacobs est nommée ministre de la Famille et de l’lntégration, ministre de l’Égalité des chances à l’issue des élections législatives du 13 juin 2004. 

Source: Le Quotidien, 28 juillet 2008, Jean Rhein