A l’occasion de la visite à Luxembourg de Jakob Kellenberger, président du Comité international de la Croix-Rouge, le ministre de la Coopération et de l’Action humanitaire, Jean-Louis Schiltz développe dans cette contribution ses vues sur les enjeux de l’action humanitaire.
En 2006, le Luxembourg a consacré plus de 31 millions d’euros à l’action humanitaire, contribuant ainsi à une centaine de programmes dans une quarantaine de pays en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Si par-ci et par-là certaines cgses humanitaires font la une des médias, l’action humanitaire luxembourgeoise se déroule dans la majorité des cas hors du champ des caméras.
En procédant de la sorte le Luxembourg entend se départir d’une certaine pratique poursuivie par d’aucuns et qui veut que le montant de l’aide varie avec le degré de médiatisation d’une crise.
Ainsi, les acteurs humanitaires ont par exemple eu à leur disposition plus de 7.000 dollars pour venir en aide à chaque personne touchée par le tsunami, alors qu’ils n’ont, le plus souvent, que 2 ou 3 dollars pour sauver des vies dans de nombreux conflits armés en Afrique, par exemple. Par ailleurs, la série des crises humanitaires mal connues semble sans fin. Qui parle et qui se soucie aujourd’hui de l’Ethiopie, de l’Erythrée, de la Somalie, du Tchad, du Soudan, du Kenya, du Burundi, du Malawi, de l’Angola, de la République Centrafricaine, de l’Uganda, du Myanmar, du Bangladesh, de la Colombie et de la Corée du Nord? La liste est longue et trop nombreuses sont les crises qui tombent à travers les mailles de l’action humanitaire et de la couverture médiatique.
Rien que d’évoquer l’envergure du problème et ces centaines de millions d’êtres humains cruellement touchés pousse à se demander comment on a pu les oublier, alors que cet oubli relève en réalité du domaine de l’irréel et de l’inimaginable. Ne ferme-t-on pas les yeux pour ne plus voir ce qui est insoutenable? N’est-ce pas poussé par un sentiment d’impuissance face à la misère que l’on a ignoré ou choisi d’ignorer les cris étouffés et les besoins les plus urgents?
La réalité des “crises oubliées” est aujourd’hui pleinement intégré dans notre processus décisionnel. C’est l’un des critères qui guident notre action. Mais notre action se limite pas à cet enjeu là, enjeu fondamental s’il en est. Notre action exige tout autant professionnalisme que réalisme et c’est à la réalisation de ces objectifs que nous nous attachons au jour le jour.
Impartialité, neutralité et indépendance
Concrètement, l’action humanitaire luxembourgeoise oriente son action suivant trois axes d’intervention: soit directement, par le biais d’une aide humanitaire bilatérale exécutée en collaboration avec la Protection Civile luxembourgeoise, l’Unité de Secours de la Croix-Rouge luxembourgeoise et la “Luxembourg Air Rescue”, soit en partenariat avec différentes agences onusiennes ou le Mouvement International de la Croix-Rouge, soit encore par le biais des ONG humanitaires luxembourgeoises.
Pour certains, l’aide humanitaire est la gestion d’un échec. Pour d’autres, c’est un outil qui sert à rétablir les conditions de base pour toute activité de développement.
Il y a sans doute dans chacune de ces positions une part de vérité, alors que l’action humanitaire est la première forme d’expression de la solidarité internationale. L’aide fournie doit viser en premier lieu à sauver des vies humaines, à alléger la souffrance des victimes et à rétablir aussi rapidement que possible des conditions de vie humainement dignes. Il s’agit à cet égard avant tout de fournir une assistance médicale de base, une aide alimentaire en denrées et en eau potable et des abris. Elle repose sur le respect des principes de l’impartialité elle ne fait aucune distinction entre les bénéficiaires – de la neutralité – elle ne favorise aucune victime par rapport à une autre – de l’indépendance – elle est totalement détachée de toute considération politique, économique ou militaire – et de l’humanité – elle met l’être humain au centre de son action.
Rétablir la cohésion sociale
Mais l’action humanitaire ne se limite pas à répondre aux urgences. Elle doit en deuxième lieu contribuer à jeter les bases pour la reprise de l’activité de développement, voire économique. C’est ainsi qu’il faut, dans bien des cas, réhabiliter et reconstruire, non seulement les infrastructures, mais également les structures étatiques, les bases sociales, voire les fondements des Etats. Il s’agit aussi trop souvent – et c’est là une tâche gigantesque mais d’une importance capitale – de rétablir la cohésion sociale et de mener à bien les processus de réconciliation. Il va sans dire que cela ne peut se faire que dans un climat de sécurité et de respect des droits de l’Homme.
Une population unie, en paix avec elle-même, réconciliée avec son passé pourra se retrouver autour d’une école détruite pour la reconstruire, mais une population divisée finira toujours par détruire ce que d’autres ou quelques-uns parmi les anciens protagonistes auront reconstruit pour elle et à sa place.
Depuis trois années, le Luxembourg consacre une partie importante de son budget humanitaire à la mise en œuvre de programmes de réhabilitation et de reconstruction. En septembre 2005, la Commission de Consolidation de la Paix a été créée au sein des Nations Unies. Il s’agit pour cette nouvelle commission de mettre en commun les moyens et le savoir faire de la communauté internationale en vue de gérer de manière efficace l’aprèscrise et la transition vers la reprise du développement. Depuis le 6 février de cette année, le Luxembourg est membre de cette commission et notre engagement dans ce domaine fait désormais partie intégrante de l’action extérieure du gouvernement.
Nous avons plus récemment décidé de compléter notre cadre d’action par une troisième composante qui est celle de l’action préventive.
Aide, assistance et prévention
Prévenir une crise humanitaire, c’est sauver des centaines de milliers de vies, c’est contribuer à éviter la souffrance et les déchirures. Mais c’est aussi éviter d’avoir à consacrer des millions d’euros à une aide humanitaire d’urgence post-crise.
La prévention n’est pas une activité spectaculaire, puisque ses succès sont largement invisibles, mais l’expérience des dernières années a montré qu’il est possible de prévenir un grand nombre de crises et de se préparer efficacement par rapport à celles qui sont inévitables. Le tsunami – et dans ce cas précisément l’absence de mécanismes de prévention – est sans doute l’exemple le plus parlant, parce que le plus dramatique pour illustrer la pertinence d’un volet préventif dans l’action humanitaire. Dans le cadre de cette action préventive, la mitigation des effets d’une catastrophe naturelle, l’entremise offerte à des parties adverses, prêtes au conflit, l’assistance donnée à un gouvernement qui doit faire face à une catastrophe naturelle, la mise en place de systèmes d’alerte précoce, le pré-positionnement d’équipements de secours et de biens de première nécessité, la sensibilisation et la formation de populations particulièrement vulnérables et de tous les acteurs humanitaires concernés, l’amélioration des flux d’information, de la coordination, de la planification et de l’identification des besoins, l’ouverture à des idées et des techniques nouvelles sont autant de moyens efficaces que la Coopération luxembourgeoise contribue à mettre en place, ensemble avec ses partenaires au Luxembourg, au niveau de l’Union européenne et au sein des Nations Unies.
Devant la triste réalité de voir 50 pour cent des pays qui émergent d’un conflit armé, retomber dans la violence dans les cinq ans qui suivent, devant la cadence accélérée des catastrophes naturelles à répétition, il devient évident que des réponses morcelées, au cas par cas, et – pire encore – non coordonnées et insuffisantes ne peuvent donner satisfaction. C’est pourquoi les trois piliers l’aide humanitaire d’urgence, l’assistance à la transition et la prévention – porteront désormais ensemble l’action humanitaire luxembourgeoise. Ils constituent les bases de la solidarité des Luxembourgeois face aux crises et enjeux humanitaires.
Jean-Louis Schiltz, Ministre de la Coopération et de l’Action humanitaire
Source: tageblatt, 5 juin 2007
Site internet du Ministère de la Coopération