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Le président de la commission spéciale “Réorganisation territoriale”, Michel Wolter, sur la nécessité d’adapter les structures administratives du pays aux exigences d’aujourd’hui

A 44 ans, après avoir été ministre de l’lntérieur entre 1995 et 2004, Michel Wolter est président du groupe parlementaire du CSV. Il dresse ici une nouvelle carte du pays. Entretien avec Josée Hansen dans le “d’Lëtzeburger Land”, 9 février 2007

La commission spéciale « Réorganisation territoriale du Luxembourg » de la Chambre des députés, créée en 2004 et que vous présidez, discute actuellement des « moyens nécessaires pour l’accomplissement des missions des communes ». Est-ce que ces futures missions sont déjà assez clairement définies pour pouvoir discuter des moyens à mettre en œuvre ?

Bientôt. Actuellement, nous sommes en train de discuter, de tout mettre à plat et de sonder les approches des différents membres de la commission et de leurs partis. Nous nous sommes fixé un délai jusqu’après les vacances de Pâques pour cet exercice-là, avant d’en passer aux conclusions. Parmi les membres de la commission, les approches vont de l’option zéro – le statu quo sur la situation actuelle – jusqu’à l’option cent pour cent de changement, qu’il faudrait moderniser les structures communales afin d’entrer enfin au XXI e siècle. Cependant, j’ai l’impression que peu à peu, une majorité de membres se prononce pour la nécessité d’une réforme.

Les missions des communes se diversifient et se multiplient. Or de nombreuses communes ne sont plus à même de les maîtriser toutes. Regardez par exemple le « pacte logement » adopté il y a deux semaines par le gouvernement : à mon avis, seule une douzaine de communes seraient prêtes aujourd’hui à répondre aux défis que ce pacte leur pose. Les autres n’ont ni les moyens humains, ni les moyens financiers pour le réaliser. Le parlement a adopté une loi sur l’aménagement général du territoire en mai 1999, une autre sur l’aménagement des communes en 2004, mais leurs effets se font attendre, comme beaucoup de communes sont dépassées par les implications de ces lois…

Ou, encore un autre exemple : comment pourraient-elles répondre aux questions pratiques que posera la transposition en droit national de la directive européenne sur la gestion de l’eau, sur laquelle nous sommes en train de travailler ? Au lieu de cela, certains passent leur temps avec des querelles de personnes entre membres du conseil communal au lieu de se consacrer aux défis politiques qui leur sont posés. Il est encore temps d’essayer de redresser la barre et de construire le modèle pour la commune du futur. . .

Définir les missions des communes d’abord

Justement, il semble y avoir un certain consensus quant aux domaines pour lesquels les communes sont conscientes qu’une organisation régionale s’impose – comme la gestion de l’eau, des déchets ou de l’énergie… Quels sont les champs politiques qui, selon les membres de la commission, devraient par contre rester de la compétence exclusive de la commune, dans le cadre de l’autonomie communale que les maires défendent bec et ongles ?

Mais qu’est-ce que ça veut dire « autonomie communale » ? Gérer les domaines de décision conférés par l’État aux autorités locales en toute indépendance : il nous faut donc d’abord définir les missions des communes, ce que nous attendons d’elles, et parler ensuite des moyens qu’elles doivent avoir pour les réaliser.

Si nous estimons par exemple que des questions sociales, de lutte contre le chômage ou de garde d’enfants doivent faire partie des compétences communales, en toute logique, il faudra alors leur donner les moyens pour le faire. En toute autonomie, donc sans ingérence exagérée de la part de l’Etat. Toutefois, un principe essentiel dans cette réflexion doit être que toutes les communes du pays doivent pouvoir offrir le même service, sur tout le territoire et à tous leurs habitants.

Que ce soit pour le logement, la garde des enfants ou l’organisation scolaire, comme l’introduction des classes du précoce, les communes revendiquent que les nouvelles missions qui leur sont octroyées soient liées à un soutien financier équivalent à ce service de la part de l’État. . .

C’est une revendication légitime, car comment voulez-vous qu’une commune réalise une maison-relais par exemple, si elle n’a pas les moyens de la financer ? J’estime que si l’État délègue certaines charges aux communes, il est évident qu’elles doivent en parallèle recevoir les moyens financiers pour pouvoir les assumer. Ce qui m’inquiète davantage, c’est que les petites communes n’ont pas la masse critique nécessaire, pas de « socle » de compétences sur lequel elles pourraient construire quelque chose de nouveau. Voilà le vrai débat, voilà le vrai défi : Comment arriver à résoudre les défis du XXI e siècle avec les moyens appropriés ?

Dans son papier stratégique sur la réforme territoriale, qu’il a présenté en avril 2005, le ministre de l’lntérieur, Jean-Marie Halsdorf (CSV), esquisse justement trois possibilités de collaboration entre petites communes : la communauté urbaine, la communauté des communes ou, en dernière instance, la fusion. Pour quelle option penchez-vous ?

Une nouvelle fois, il faudrait d’abord poser ici une question de principe : Quelle est la taille minimale, en territoire, en habitants ou en personnel administratif et politique, qu’une commune doit avoir pour pouvoir assumer toutes les missions que le citoyen d’aujourd’hui est en droit d’attendre ? Une fois qu’on aurait défini cette taille minimale, on pourrait opter pour une fusion des petites communes jusqu’à ce qu’elles atteignent au moins cette taille-là. Audelà, la loi de 1999 sur l’aménagement du territoire offre un certain nombre de collaborations, par exemple par le biais des syndicats intercommunaux ou des coopérations régionales. Finalement la commission est en train d’explorer d’autres pistes de collaboration entre communes, avec l’État et même avec le secteur privé.

Pour rester sur le point des finances communales : comment l’État peut-il attribuer de nouvelles aides aux communes alors qu’il a décrété une politique d’austérité et que ses caisses sont vides aussi ?

C’est une question que j’entends souvent, mais je la trouve mal posée. Nous vivons dans un seul pays. On a beau différencier entre « l’État » et « les communes », mais en fait, on parle toujours de « nous », citoyens et contribuables. L’art consiste dans le fait de répartir les moyens disponibles entre les divers acteurs qui sont destinés à les développer sur le terrain. Au profit de nous tous.

Certes, mais l’État a aussi une mission de redistribution des richesses : il peut par exemple encaisser des taxes et impôts dans les communes qui sont plus riches grâce aux industries et autres entreprises implantées sur leur territoire et donner cet argent aux communes les plus pauvres.

Vous savez, si nous avions moins de communes, une cinquantaine par exemple, elles auraient presque toutes une zone industrielle et elles seraient toutes équitablement riches. Au Luxembourg, nous avons tendance à nous bagarrer pour ou contre quelque chose, alors que cela se trouve à trois kilomètres seulement du territoire d’une commune. Du temps oùj ‘étais ministre de l’lntérieur, nous avions déjà posé les jalons pour une organisation régionale des zones industrielles, mais cela ne fonctionne toujours pas. C’est ridicule.

Il est temps que nous en venions à une pensée tridimensionnelle en matière d’organisation territoriale, que nous prenions en compte tous les facteurs qui entrent enjeu et qui, souvent, sont interdépendants. Autrement, nous n’arriverons jamais à réaliser I’IVL, les plans sectoriels et les plans d’aménagement que cela implique – je pense par exemple aussi au transport public et son ambitieux modelsplitde 25 pour cent de transport en commun.

Deux critères pour fixer la taille idéale d’une commune

Il y a actuellement encore 116 communes au Grand-Duché, quel serait le chiffre idéal pour atteindre cette efficacité que vous prônez ? Le ministre de l’lntérieur a fixé le seuil ou la « masse critique » à quelque 3 000 habitants. Nous faudraitil réduire k nombre de communes à quarante, cinquante, soixante… ?

Il y a, à mes yeux, deux critères pour fixer la taille idéale d’une commune : d’une part le territoire et de l’autre le nombre d’habitants, sachant que dans les communes suburbaines, il faudrait plus d’habitants pour atteindre une certaine masse critique qu’en zone rurale. Si on pouvait arriver à un consensus politique sur ces dimensions, l’exercice suivant serait plus facile, on pourrait alors dresser une carte du pays en divisant le territoire par le nombre de communes voulues. On pourrait même envisager une phase transitoire d’une dizaine d’années pour mettre en place cette nouvelle organisation territoriale, ce qui laisserait le temps aux maires et échevins en place de terminer leurs mandats en beauté.

Il y a eu, depuis la dernière législature, plusieurs fusions déjà réalisées, et d’autres s’annoncent pour les années à venir, notamment au centre et dans le nord du pays. La révolution serait-elle en marche ?

De plus en plus d’édiles communaux à travers le pays se rendent à l’évidence qu’on ne peut pas gérer le futur avec les moyens du passé. Ils préfèrent y participer et contribuer à façonner la carte de leur région.

Une plus grande commune avec plus d’habitants, un plus grand territoire et de nouvelles missions, cela veut aussi dire plus de travail pour le maire et son équipe. Nombre d’élus locaux demandent une augmentation du congé politique auquel ils auraient droit, voire une professionnalisation du poste de maire. Estce que cette revendication fait partie des discussions de votre commission ?

C’est un des thèmes, mais certainement pas le plus important. J’étais assez agacé quand les confédérations des élus socialistes, mais aussi ceux du CSV, ont relancé cette discussion il y a deux mois, car ils donnent l’impression de ne penser qu’à soi – une tendance typiquement luxembourgeoise d’ailleurs. J’estime qu’il faut d’abord définir la commune et ses missions et tirer les conclusions qui s’imposent sur l’envergure de la tâche par la suite. On ne va quand même pas professionnaliser le maire d’une commune de 300 habitants ! Par contre, si une commune équivaut à une tâche complète, il faudra alors faire le prochain pas et interdire le cumul des mandats, rompre le lien entre le député et le maire.

Pour ne pas laisser de vide, il est nécessaire ici aussi d’innover. Ma vision de l’organisation politique idéale du pays est la suivante : J’imagine tout à fait le député national du futur passer deux jours par semaine à Bruxelles ou Strasbourg, travaillant sur des thèmes européens, car l’Europe va prendre une importance croissante dans notre politique. Ces députes ne se consacreraient alors plus qu’aux questions nationales et européennes. La cinquantaine de maires qui auraient des communes d’envergure à gérer par contre ne se consacreraient plus qu’à cela et seraient regroupés dans une sorte de Chambre communale qui dialoguerait avec les ministres concernés sur les questions locales et régionales. Le gouvernement se composerait de personnes issues de deux voies. Mais je suis conscient que j’ai peu de chances de trouver une majorité pour cette idée à l’heure actuelle. Mais les visions d’avenir ont besoin de temps en temps d’une période de gestation.

Dénominateur commun difficile à trouver

Politiquement, les communes sont aussi des bastions importants pour certains partis, par exemple ceux qui ne sont pas dans la majorité parlementaire, pour rééquilibrer le rapport de force. Certains représentants du LSAP, du DP, des Verts ou de I’ADR craignent une tendance à la centralisation et une mainmise du CSV sur les communes par le biais de cette réforme territoriale. Leurs craintes sontelles justifiées ?

Selon que je parle avec le maire de Préizerdaul ou avec celui de la Ville de Luxembourg, les demandes et les revendications sont diamétralement opposées, alors que les deux sont membres du même parti, du DP. Ceci est vrai pour les autres partis aussi. Les communes sont actuellement des entités tellement différentes qu’il est difficile de trouver un dénominateur commun. Les membres de la commission spéciale formulent actuellement souvent leurs propres vues, qui sont basées sur leur vécu, mais après Pâques, il nous faudra devenir concret et présenter des conclusions. Si une majorité s’oppose au changement, qu’on le dise clairement et on en arrête là.

Avez-vous un calendrier, des dates auxquelles vous voulez ou devez rendre des conclusions, par exemple au ministre de l’lntérieur ? Ou, autrement dit, y a-t-il une chance d ‘aboutir à un résultat avant les prochaines élections législatives de 2009 ou communales de 2011 ?

Non, nous n’avons pas d’échéancier. Mais il m’importe de conclure assez rapidement, je veux que les partis prennent leurs responsabilités et se prononcent. Si la politique suivait, on pourrait avoir terminé les travaux d’ici 2008, j’en suis convaincu. Car on ne commence pas à zéro, beaucoup de travaux préalables ont été réalisés, il y a plusieurs concepts possibles, il faudra juste se décider pour un des modèles esquissés. Pour le grand public, cette discussion est des plus rébarbatives. Ce qui intéresse les citoyens, c’est que leur commune leur offre un certain nombre de services, les mêmes sur tout le territoire du pays, dans des conditions qui correspondent à leur style de vie. À nous, politiques, d’y répondre en réformant les structures.

Source: d’Lëtzebuerger Land, 9 février 2007, Josée Hansen

Réorganisation territoriale : les réflexions du Ministère de l’Intérieur