Pour une politiques proactive du maintien sur le marché de l’emploi

François Biltgen, ministre de l’Emploi, préconise dans le Wort “une politique proactive d’anticipation des restructurations”

«Maintien de l’emploi» est devenu une expression à la mode. Malheureusement, ni le terme ni la volonté politique qui se cachent derrière elle ne semblent faire l’unanimité, alors que, au stade actuel, tout le monde l’interprète à sa manière.

Le ministre du Travail et de l’Emploi avait saisi, il y a plus de deux ans et demi déjà, le Comité de coordination tripartite d’une note sur cette nouvelle politique. Les partenaires sociaux voulaient d’abord en négocier bilatéralement. Face à l’échec de ces négociations, certains syndicalistes croyant qu’un arsenal législatif pourrait apporter la panacée universelle à tout licenciement, et certains représentants patronaux craignant que de telles initiatives ne diminuent l’attractivité du Luxembourg par un renforcement des contraintes de droit du travail, le programme gouvernemental d’août 2004 a annoncé les pistes à suivre.

Le paquet de réformes que le Gouvernement entend discuter avec les partenaires sociaux, pour garantir l’innovation et le plein emploi comprendra des propositions en ce sens. Or, si le but demeure évidemment de proposer une nouvelle législation, il n’en reste pas moins vrai que le ministre du Travail et de l’Emploi peut et veut d’ores et déjà accompagner de manière constructive des restructurations qui s’avèrent inéluctables dans certains domaines de l’économie.

Les restructurations sont inéluctables

Rappelons tout d’abord le constat à la base des restructurations qui frappent notre pays et continueront à le faire à l’avenir. Un pays à haut niveau de salaires et de protection sociale des salariés, tel que le nôtre ne peut rester compétitif que s’il offre des produits et des services à forte valeur ajoutée. Notre pays doit non seulement continuer à se soumettre aux principes énoncés ci-avant, mais il doit y souscrire, alors que nous ne saurions être compétitifs sur une base de compétition salariale ou sociale.

Or un produit qui est innovateur aujourd’hui ne l’est plus forcément demain. Des adaptations régulières sont de mise. Cela nécessite des investissements continus dans la recherche, l’innovation et la formation et une adaptation constante des outils et méthodes de production. Dés lors il serait faux et contreproductif de vouloir retarder les restructurations. Bien au contraire, il faut les anticiper et les accompagner!

Lors de la réunion informelle des ministres du Travail et de l’Emploi à Luxembourg les 7 et 8 avril 2005 à Luxembourg, la présidence luxembourgeoise avait imposé comme sujet la question de l’anticipation et de la gestion intelligente des restructurations. Lors de cette réunion, le ministre du Travail et de l’Emploi avait proposé un arsenal complet quant aux différents volets politiques permettant de gérer tes restructurations. Il ne suffit plus de mettre en avant une politique défensive (plans sociaux combinant préretraites, indemnités de départ, indemnités de chômage…..), ce qui malheureusement est encore et toujours le plus souvent à l’ordre du jour. Il faut bien au contraire élaborer non seulement une politique active (maintien sur le marché de l’emploi), mais également une politique proactive d’anticipation des restructurations!

Ne pas se contenter d’éteindre les incendies…

Pour le moment, le ministre du Travail et de l’Emploi et ses services s’évertuent à proposer au lieu de la politique passive une politique active, appelée «maintien sur le marché de l’emploi». La «job
security» ne peut plus être garantie dans le monde post industriel et globalisé. Mais au lieu de la remplacer par la précarité, il faut la remplacer par «l’employment security». Il faut cependant se garder de la fausse illusion qu’il suffirait dans tous les cas de créer une «cellule de maintien de l’emploi» au sein de l’entreprise concernée aux frais du contribuable et que dès lors tous les emplois en proie à la restructuration pourraient être sauvés!

En effet, le maintien artificiel et à charge du contribuable dans une relation de travail à son tour artificielle, du moins si elle se fait sans perspective réelle ni débouché concrets dans un laps de temps raisonnable, conduirait à un simple «parquage» les personnes touchées par un licenciement collectif, les berçant dans un sentiment de sécurité le cas échéant non fondé.

La politique active de maintien sur le marché de l’emploi que nous voulons propager, tout en admettant qu’elle ne peut résoudre tous les problèmes créés par les restructurations, pourra néanmoins éviter un certain nombre de licenciements. Dans cet ordre d’idées le ministère du Travail et de l’Emploi s’est doté d’une ligne budgétaire appelée «maintien de l’emploi», qui, en attendant une nouvelle loi, permet d’accompagner de façon intelligente des restructurations. Si des salariés sujets à restructuration ont des chances de retrouver un emploi soit à l’intérieur de l’entreprise soit dans une autre entreprise, l’Etat peut co-financer le temps de transition. Depuis quelque temps déjà le ministère du Travail et de l’Emploi offre cette possibilité aux partenaires sociaux.

Un des exemples à ce jour le plus concluants de la politique préconisée concerne le secteur du gardiennage où près de 170 salariés d’une société étaient menacés de licenciement alors qu’une autre firme avait obtenu par voie d’adjudication publique un marché public. Grâce aux efforts soutenus du ministère du Travail et de l’Emploi et de l’Alega, la fédération des entreprises de gardiennage, un accord a pu être trouvé sauvegardant l’ensemble des emplois, moyennant une formation nouvelle des agents (alors que les différents gardiens ont aussi des qualifications différentes et ne sont donc pas interchangeables). La formation est prise en charge à 80 % par le Fonds pour l’emploi.

Ce succès s’explique d’abord grâce à une responsabilité sociale du secteur concerné. Deuxième élément: une telle solution est plus facile à mettre en œuvre si on se trouve dans le cadre d’un secteur regroupant plusieurs entreprises, ce qui n’est pas toujours le cas. Troisième élément: les licenciements n’étaient pas encore décidés et le ministère du Travail et de l’Emploi pouvait agir en conséquence et avant tout de façon précoce.

Les enseignements de cette expérience pourraient cependant être appliques a d’autres cas, ce que nous avons par exemple offert aux partenaires sociaux des restructurations en cours. Bien sûr les circonstances ne sont pas les mêmes et le succès ne saura être total.

Dans tous les cas de restructurations actuels, le ministre du Travail et de l’Emploi se sent comme un sapeur-pompier sollicité de toutes parts. Et tout le monde, employeurs et syndicats, attendent de lui d’éteindre tout feu sans le moindre dommage. Ne serait-ce cependant pas plus efficace encore d’éviter les incendies en développant une politique proactive d’anticipation des restructurations?!

…mais les éviter

Or, le ministre du Travail et de l’Emploi et ses services n’ont pas à eux seuls les moyens de cette politique,- qui nécessite la mise en œuvre de clignotants permettant de déceler en temps utile la nécessité de restructurations. Une telle politique nécessite certainement une information plus complète du Gouvernement par les entreprises elles-mêmes; la collaboration efficace des partenaires sociaux dans le cadre des conventions collectives; malheureusement seulement 20% des conventions collectives sectorielles parlent des questions de l’emploi bien que la loi les y oblige; d’où l’idée de cofinancer des audits sociaux pour renforcer te dialogue social en matière de politique d’emploi; la promotion de la formation professionnelle continue au profit des salariés, notamment moins ou pas qualifiés; d’où l’urgence de la mise en œuvre législative de l’accord interprofessionnel des partenaires sociaux sur l’accès individuel des salariés à la formation professionnelle continue.

Cet accord montre d’ailleurs que, du moment que les partenaires sociaux sont prêts à le faire, la nouvelle loi sur les conventions collectives de 2004 leur permet d’agir de façon plus efficace et bien plus rapide que la procédure législative.

En plus il faut investir dans la recherche à moyen et long terme. Dans ce contexte il importe que le Gouvernement continue à investir dans la recherche publique organisée en partenariat avec le secteur économique. En effet, les entreprises elles-mêmes, surtout celles dépendant de centres de décision établis à l’extérieur du Luxembourg, sont davantage intéressées par l’innovation que par la véritable recherche; D’où l’intérêt de public private partnerships entre la recherche publique (Université, CRP) et les entreprises pour développer à moyen terme de nouveaux produits qui créeront de nouveaux emplois.

Le récent accord avec la TDK est exemplaire à cet égard, même si malheureusement les résultats de cette recherche ne pourront générer de nouveaux emplois industriels que dans quelques années. La compétence du ministre du Travail et de l’Emploi actuel au niveau de la Recherche publique et de l’Enseignement supérieur favorisera cette démarche.

Bref, l’Etat peut et veut offrir un cadre innovateur pour éviter des licenciements. Une base législative sera proposée dans le cadre du plan de réformes que le Gouvernement est en train d’élaborer. Mais ce cadre ne sera efficace que si les partenaires sociaux seront ensemble d’accord à le remplir de vie.

François Biltgen, ministre du Travail et de l’Emploi

Source: Wort, 27 mars 2006