François Biltgen, ministre de la Culture, entend soutenir la production et la diffusion cinématographiques
D’Wort: Monsieur le Ministre, la nouveauté du Filmpräis cette année est le Prix du public attribué aux films luxembourgeois ayant obtenu la plus grande audience, à savoir Der Neunte Tag, Heim ins Reich et La Revanche. Pourquoi était-il important à vos yeux d’impliquer le public?
C’est ce public qui contribue au succès de films luxembourgeois dans les salles, comme le montre les entrées des trois oeuvres retenues pour le Prix du public. Il me semblait donc important de l’associer à une fête du film luxembourgeois.
D’Wort: On constate que sont primés dans le Filmpräis des productions et des coproductions. Qu’entend-on par «film luxembourgeois»?
Au Luxembourg, on fait essentiellement des coproductions. Cela permet aux films non seulement de trouver des financements, mais aussi d’être diffusés au-delà des frontières luxembourgeoises. Dans le Filmpräis, la distinction entre production ou co-production luxembourgeoise se fait au niveau du lieu de résidence du principal producteur ou réalisateur du projet.
D’Wort: On compte au Luxembourg seize sociétés de production agréées par le Fonds national de soutien à la production audiovisuelle. Environ la moitié d’entre elles produit régulièrement des longs-métrages. Au total, plus de 600 personnes travaillent dans ce secteur. Mais celui-ci reste fragile et des sociétés de production sont au bord du dépôt du bilan. Survivraient-elles sans l’aide publique?
Non. Il est évident que l’aide publique est vitale pour ce secteur. Pour un film bénéficiaire, on en produit une dizaine qui sont déficitaires. Cela n’est pas propre à l’industrie cinématographique luxembourgeoise puisque le même constat peut être fait chez nos voisins.
D’Wort: Le système des certificats audiovisuels, qui vise à stimuler la production au Luxembourg, est-il toujours compétitif alors que beaucoup de pays européens ont adapté leur législation pour la rendre plus attractive?
Je sais que les producteurs luxembourgeois aimeraient améliorer le système pour mieux valoriser leur participation dans les coproductions. Nous comprenons leurs attentes et nous sommes actuellement en train de discuter avec l’association des producteurs sur une éventuelle modification de la législation actuelle. Mais il faut savoir que les systèmes d’aide sont dans le collimateur de la Commission européenne. Il faut donc rester circonspect, sachant que le cadre dont nous disposons actuellement a quand même fait ses preuves pour les coproductions.
D’Wort: Quel est l’intérêt pour l’État de soutenir un secteur qui n’emploie qu’un nombre limité de personnes?
D’un point de vue économique, l’impact est réduit puisque les dépenses d’investissement dans la production cinématographique représentaient 32,6 millions d’euros en 2004. Mais le soutien à cette activité permet d’offrir des perspectives professionnelles dans le pays à des jeunes Luxembourgeois intéressés par ce métier. Par ailleurs, il y a un aspect moins «visible», mais non moins important, à savoir l’image du pays que nous véhiculons à travers nos films. Les distinctions que nous recevons à l’étranger dans des festivals nous permettent de valoriser notre savoir-faire, mais aussi de diffuser notre culture. Le documentaire «Heim ins Reich», projeté en Belgique et distingué par le Prix de l’Unesco, ou encore «Der Neunte Tag», lauréat du «Prix de la paix» au festival de Munich, sont des vecteurs de notre histoire, qui est souvent ignorée à l’étranger. Dans un autre registre, «La Revanche» parle aussi de notre identité.
D’Wort: Vous parliez de rigueur budgétaire. Celle-ci n’épargne par le Luxembourg. Le niveau de l’aide directe (via le Fonspa) ou indirecte (les certificats) à la production audiovisuelle sera-t-il maintenu dans les années à venir? Qu’en est-il du prochain exercice budgétaire?
Je pense que nous avons désormais atteint un rythme de croisière et nous entendons le maintenir. Après une baisse de la dotation du Fonspa en 2004, Jean-Louis Schiltz et moi sommes parvenus à remettre le niveau de la dotation à 4,5 millions d’euros en 2005. Nous continuerons à oeuvrer dans ce sens.
D’Wort: On compte 25 salles de cinéma dans le pays. Du côté des nouvelles positives: le succès du groupe Utopia, coté en Bourse, et l’annonce de projets à Esch et Diekirch. Mais certaines petites salles gérées par des associations sont menacées de fermeture après une année 2005 marquée par une diminution du nombre d’entrées. Votre ministère entend-il les soutenir?
Nous réfléchissons avec le CNA (Centre national de l’audiovisuel, ndlr) et le CDAC (Centre de diffusion et d’animation cinématographique qui gère les petites salles non commerciales en région, ndlr) afin de les aider au niveau de la programmation et de l’animation.
D’Wort: Il n’y aura pas de soutien financier?
A priori non. Nous envisageons actuellement une assistance professionnelle prise en charge par le CNA.
D’Wort: L’aide aux cinémas associatifs n’est-elle pas une concurrence déloyale par rapport à l’offre des sociétés commerciales?
Notre idée n’est pas de concurrencer les salles commerciales. Mais nous pensons que le cinéma doit être accessible à tous. Ce n’est pas évident par exemple pour les jeunes ou les personnes âgées de se déplacer pour aller au Kirchberg. Dans la déclaration gouvernementale, nous avons annoncé un projet de loi sur l’animation culturelle régionale. Mon idée est d’offrir à tout public une offre culturelle régionale minimale. Le cinéma fait partie de cette offre minimale et si l’offre commerciale n’est pas rentable, l’État doit prendre le relais.
Interview: Marie-Laure Rolland
D’Wort, du 14 octobre 2005