Fin septembre 2004, le Premier ministre, Jean-Claude Juncker, a participé aux « Semaines sociales de France » qui étaient placées cette année sous le thème de l’Europe, une société à inventer ». Lors de son intervention, Jean-Claude Juncker a insisté sur la nécessité de développer l’Europe sociale
Fin septembre 2004, le Premier ministre, Jean-Claude Juncker, a participé aux « Semaines sociales de France » qui étaient placées cette année sous le thème de l’Europe, une société à inventer ». Lors de son intervention, Jean-Claude Juncker a insisté sur la nécessité de développer l’Europe sociale. (Source : Service Information et Presse)
« Parlons de l’Europe et des relations entre l’Europe et ses citoyens. Parlons des citoyens et de leur Europe. Ce fossé qui existe entre les deux ne fait que refléter les nombreux fossés qui existent entre les opinions publiques nationales, leurs classes politiques et leurs gouvernements nationaux. Ce fossé est dû au fait que ceux qui la font, ceux qui prétendent l’inspirer, ceux qui la représentent, ne savent pas parler de l’Europe lorsqu’ils en parlent aux citoyens.
En règle générale, nous faisons une démonstration de l’Europe qui ne correspond ni à l’image que les citoyens se font de l’Europe ni aux espoirs qu’il arrive aux citoyens de caresser lorsqu’ils pensent à l’Europe.
Puisque nous parlons de l’euro, nous parlons également de compétitivité, nous parlons du processus de Luxembourg, de Cardiff, de Göteborg et de Lisbonne. Nous parlons de toutes sortes d’ajustements nécessaires, mais nous ne parlons jamais de l’apport que l’Europe peut avoir pour la vie quotidienne des citoyens. Or j’ai la faiblesse de croire que la politique est là pour servir. Comme l’Europe est une invention, une construction politique à l’œuvre, l’Europe doit servir ceux qui l’habitent, et pas seulement ceux qui l’habitent.
Si l’on veut réconcilier les citoyens avec l’Europe, il ne faut pas leur parler de double majorité, de vote à majorité qualifiée, de coopération renforcée, des processus d’ici et de là. Au contraire, il faut leur parler des choses qui comptent, de choses essentielles, de choses vitales.
Il faut être fier de l’Europe
En évoquant ce qui compte vraiment, avec un peu de pédagogie avancée à cet exposé, on pourrait permettre aux Européens d’être fiers de l’Europe. En fait, les Européens sont les seuls planétaires qui ne sont pas fiers de leur continent en dépit du fait que nous avons su faire énormément de choses ensemble. Aucun de ces exploits n’aurait pu être fait si nous ne les avions pas faits ensemble.
Plus on regarde l’Europe de loin, plus on arrive à l’aimer. Je suis toujours un fier Européen lorsque je suis à Washington. Je suis fier de l’Europe et d’être Européen. Je le serai également quand je me rendrai au Vietnam pour co-présider la réunion entre les chefs d’État et de gouvernement asiatiques et européens, puisque le Premier ministre néerlandais vient malheureusement de tomber malade. Je suis très fier de l’Europe lorsque je peux parler de l’Europe en Asie, petit Luxembourgeois que je suis, au nom de l’Europe.
Sur quel continent un petit Luxembourgeois pourrait-il parler au nom de tout un continent et du plus vieux d’entre eux ? C’est cela l’Europe. Il faut être fier de l’Europe.
Je suis fier de l’Europe parce que je suis fier de ma mère et de mon père. C’est la génération qui a vécu et connu la guerre, une génération qui a fait l’Europe. Cette génération n’est pas la nôtre. Ce n’est pas quelqu’un comme moi, né en décembre 1954, qui a fait l’Europe. Je suis l’héritier de l’héroïsme de ceux qui ont su dire non à ce funeste décret de l’histoire qui voulait que à tout jamais, l’Europe règle ses problèmes entre les différentes nations de l’Europe par les moyens de la guerre. Je suis fier de mes parents qui ont su dire non à cette logique. Où est l’autre continent pour ceux qui, pendant des siècles, se sont affrontés pour avoir le courage de dire non à cette stupidité, à ce non-humain ? L’Europe est la seule place au monde où la paix a une valeur qui persiste et qui sera dorénavant profondément enracinée dans ses profondeurs.
Alors soyons fiers de cette Europe qui a su enfin faire la paix sur le continent. Ce n’est pas une évidence. Il faut travailler chaque jour à la paix en Europe. C’est d’abord l’effort de ceux, connus ou anonymes, qui avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale ont fait l’Europe. Ils étaient presque tous des hommes de prison, des hommes des camps de concentration, des hommes qui, comme mon père, qui bien que Luxembourgeois, furent obligés par les Allemands à servir dans l’armée allemande et à combattre les armées qui étaient en train de libérer leur pays, des Européens qui sont revenus des champs de bataille et des camps de concentration, qui étaient en prison comme Léon Blum dont on ne parle plus quand il s’agit de l’Europe, ou comme Spinelli qu’on a trop vite oublié, comme Adenauer et comme d’autres. Tous étaient en prison. C’étaient des hommes auxquels on avait enlevé ce qu’il y a de plus précieux, la liberté. Ils ont, enfermés, emprisonnés comme ils l’étaient, retrouvé la liberté et la force de rêver à une Europe enfin pacifiée.
Il faut être fier de cette Europe. Il faut être fier d’une Europe qui se laisse souvent aller à l’eurocentrisme, à l’euronombrilisme, à l’euro-égoïsme d’avoir su, par un revirement incroyable de l’histoire, réconcilier les deux parties de l’Europe. Il s’agit d’une réconciliation entre l’histoire et la géographie européennes, comme Jacques Delors l’a dit un jour. Au même moment où d’autres, qui nous observent de loin, nous avaient prédit que la fin de l’histoire était arrivée, les peuples d’Europe ont refait l’histoire. Ce n’est pas l’histoire qui a été faite contre les peuples d’Europe, ce sont les peuples d’Europe eux-mêmes qui ont su faire l’histoire à un moment où on avait cru que l’histoire était terminée.
Le fait que nous soyons arrivés à réconcilier l’histoire et la géographie européennes, chose que personne n’avait cru possible, chose qu’aucun autre continent n’a su faire, le fait d’avoir été à même de réussir cette réconciliation, c’est une raison pour être fier de l’Europe.
La monnaie unique : « Une œuvre de pacification continentale par d’autres moyens »
Soyons fier de cette Europe enfin réunifiée ! L’Europe est capable des plus grandes performances lorsqu’elle a des idées claires sur le parcours à emprunter, lorsqu’elle est animée par une conviction forte et lorsqu’elle a des institutions qui fonctionnent et qui sont au service des idées claires et des convictions fortes.
Je veux parler de la monnaie unique. Jacques Delors est orfèvre en la matière. Je suis un apprenti qui grandit. Mais je suis le seul signataire du traité de Maastricht encore en fonction. L’euro et moi sommes les seuls survivants de Maastricht. J’ai assisté à la genèse de la monnaie unique qui est une œuvre de pacification continentale par d’autres moyens. La monnaie n’est jamais neutre. Elle est au service d’un grand projet. Personne n’avait cru, personne n’avait estimé que l’Europe serait capable de disposer un jour de la monnaie unique. Jacques Delors y a cru, mon lointain prédécesseur Pierre Werner y a cru. J’avais la faiblesse d’y avoir cru dès le début. J’ai présidé la conférence intergouvernementale sur l’Union économique et monétaire (UEM) en 1991. J’étais jeune, j’avais 36 ou 37 ans à l’époque. Lorsque nous avons signé en 1991 le traité à Maastricht, nous étions très sincèrement convaincus qu’en 1999, nous ne serions que quatre, cinq ou six à adopter la monnaie unique. Maintenant nous sommes douze, ou onze et quelque, puisqu’il y a une lourde contestation sur l’un des pays membres de la monnaie unique.
Mais il ne faut pas insulter la Grèce. Même si les Grecs n’ont pas rempli tous les critères, ils ont beaucoup souffert pour entrer dans la zone économique monétaire européenne. Je salue amicalement les Grecs qu’on est aujourd’hui en train de critiquer, de vilipender dans toute la presse européenne, comme si chaque Grec pris individuellement avait fauté contre l’Europe. Ce n’est pas vrai. Ce sont des gens très courageux, qui ont très souvent une vie très difficile.
Nous-mêmes nous n’avons pas cru que nous allions réussir. Les autres n’y ont pas cru. Je me rappelle d’un jour où j’étais à Washington. J’étais alors déjà Premier ministre et également ministre des Finances. Je le suis toujours parce que je n’aime pas perdre de temps à m’entretenir ou avoir de belles controverses avec mon ministre des Finances. J’aime le dialogue avec moi-même et donc je cumule les deux fonctions. J’étais alors chez le président Clinton et chez le secrétaire d’État au Trésor, le ministre des Finances américain. Ils me demandaient ce que l’on faisait en Europe. Je racontais ce que nous étions en train de faire pour mettre en place la monnaie unique. Cela ne les intéressait point. « Non, non, nous voulions entendre votre avis sur la Turquie. » J’essayais de rediriger la conversation vers le sujet de la monnaie unique. Il y avait un sourire apitoyant, condescendant.
Deux années plus tard, je suis de nouveau à Washington, et le ministre des Finances américain m’appelle dans mon hôtel pour me dire : « Écoutez, on pourrait discuter de la monnaie unique? » Cela s’appelait l’euro puisqu’on avait appelé l’enfant « euro » au Conseil européen de décembre 1996 à Madrid. Je me dis : « Voilà, ils commencent tout de même à y croire ! », et moi j’étais très fier d’être Européen. Je lui disais : « Monsieur le ministre, je n’ai pas le temps ce soir. » Nous nous sommes donc rencontrés pour le petit-déjeuner le lendemain, un dimanche matin. Je me suis dit : « si le ministre des Finances américain invite le ministre des Finances luxembourgeois pour parler de l’euro un dimanche matin à sept heures et demie, on va réussir ! ». Je suis très fier que nous ayons réussi parce que personne ne nous croyait capable de réussir.
« Attacher une importance accrue à la perfection de la gouvernance économique en Europe »
Si nous voulons rester fiers de l’Europe, et la fierté n’est jamais définitivement acquise, nous devons parfaire les politiques que nous avons commencé à réussir partiellement. Il manque à la logique du système économique et monétaire, comme Jacques Delors vient de le préciser, la sculpture du pôle économique nécessaire pour que l’ensemble ne se compose pas de deux parties distinctes, mais forme un véritable bloc. Il faudra donc que nous attachions une importance accrue à la perfection de la gouvernance économique en Europe.
Je ne critiquerais jamais la Banque centrale européenne et son indépendance. Pourquoi le ferais-je ? J’étais parmi ceux qui, au moment de la rédaction du traité, n’hésitaient pas à plaider contre vents et marées pour l’indépendance de l’autorité monétaire en Europe. C’est essentiel et nécessaire. Lorsque je serai Monsieur Euro en janvier, je perds un peu de ma liberté de parole en ce qui concerne la Banque centrale. Je ne vais donc en dire que du bien aujourd’hui. Mais il est évident que vous ne pouvez pas gouverner un marché intérieur, que nous devons à Jacques Delors, prolongé par sa dimension monétaire, si vous ne mettez pas en place des instruments pour exercer la gestion collective et solidaire de la monnaie unique.
Je ne plaiderai jamais pour le gouvernement économique comme notre ami Pierre Bérégovoy l’avait fait avec de très bons arguments, parce que les Allemands n’aiment pas ce texte qui est d’ailleurs intraduisible en allemand.
En revanche, je plaide pour une meilleure coordination de nos politiques économiques, puisque les économies nationales n’existent plus, ni les égoïsmes nationaux, ces économies recroquevillées sur elles-mêmes, ces économies nationales qui ne pensent qu’à leur propre essor, très souvent au détriment des économies voisines.
Toutes les économies européennes doivent se fondre dans un ensemble économique européen plus large qu’il faut organiser et dont il faut canaliser les tendances qui peuvent traverser ce territoire économique. Nous ne pouvons pas gérer convenablement la monnaie unique si nous ne prenons pas en considération les choix des autres au moment de la préparation au niveau de nos gouvernements nationaux des budgets nationaux de l’année à venir. Pour pouvoir les prendre en considération, il faut les connaître. Donc, les douze ministres de l’Eurogroupe doivent se parler ouvertement des choix pour lesquels ils s’engagent pour que les uns puissent réagir aux choix des autres. La politique économique ne sera jamais la même partout. Elle sera toujours imparfaite du moment que la politique économique, et la partie nationale qui lui reste, ne peut pas prendre en considération les choix des autres.
Si nous voulons parfaire le système monétaire européen, il faudra que s’instaure entre la Banque centrale et le pôle économique de l’Union européenne enfin mieux organisée, un dialogue. Ce dialogue ne consiste pas à donner des leçons les uns aux autres, mais vise à faire savoir à l’autorité monétaire ce que l’autorité politique est en train de faire, et à faire en sorte que l’autorité politique sache quelles peuvent être les réactions possibles, souhaitables, imaginables de l’autorité monétaire à l’action politique qui doit être mieux coordonnée pour être plus visible.
Si nous voulons parfaire l’Europe actuelle, il faudra que la capacité décisionnelle de l’Europe augmente en intensité. Je suis tout à fait d’accord avec Jacques Delors que ceux qui font l’Europe sont en train de la défaire puisqu’ils ne disent que du mal de l’Europe.
Les Luxembourgeois ont ce terrible désavantage que nous devons parler les langues des autres, non seulement parce que notre territoire est petit, mais encore parce que la planète se refuse obstinément à parler le Luxembourgeois. Ce qui fait que nous lisons au quotidien les journaux allemands, belges (quand ils sont francophones) et français. Nous regardons les chaînes de télévision françaises, allemandes, belges, britanniques. Lorsque je rentre de Bruxelles, ma femme me dit : « C’était comment ? » Je le lui explique. En regardant la télévision, le programme allemand dit le contraire. Regardant le journal de France 2, Chirac dit le contraire de ce que dit Schröder. La BBC ? Blair dit exactement le contraire du contraire de ce que l’autre avait dit ! On n’a jamais l’impression, quand on est un modeste Luxembourgeois prenant des notes et ne parlant que lorsqu’il a quelque chose à dire, d’avoir assisté à ces réunions ! Les véritables réunions sont les conférences de presse qui les suivent. Il faut cesser ce petit jeu de retourner dans sa capitale nationale pour dire : nous avons gagné contre les autres. Ceux qui veulent gagner en Europe sont en train de la faire perdre.
« Donner des jambes à l’ambition sociale »
Ensuite, il faut compléter le projet en donnant une vie à sa dimension sociale. Il faut donner des jambes à l’ambition sociale pour qu’elle puisse courir.
Il ne faut pas dire que le social aurait été absent de la réflexion européenne. C’est une grave erreur d’appréciation. Sous l’impulsion de Jacques Delors et sous l’empire de l’Acte unique, nous avons pris plusieurs décisions sur les conditions de travail, d’hygiène et de sécurité que certains ont tendance à ne pas prendre très au sérieux. C’est la vie quotidienne des travailleurs qui était en jeu, le besoin qu’il y ait des minima de santé et de sécurité d’hygiène au travail. Il ne faut pas dire ces choses. C’est 24 heures sur 24 que le travail en Europe évolue sous ces régimes qui est soit harmonisé, soit devient un enjeu d’une économie malsaine entre les éléments restants des économies nationales. Cependant on devrait pouvoir faire plus. Avec Martine Aubry, maire de cette ville de Lille, où le mot travail a encore un sens, à Lille et en dehors de la France, nous avons essayé de faire cela notamment au moment du sommet pour l’emploi que j’ai présidé en 1997 à Luxembourg.
Il y a 20 millions de chômeurs en Europe. C’est le 26e État membre de l’Union européenne. Qui le représente ? Qui est le Premier ministre de retour dans sa capitale qui va dire qu’il a gagné pour le 26e État membre de l’Union européenne ? Il faudrait que les Vingt-cinq se déclarent un jour vainqueur de ce terrible fléau du chômage. Nous devons y travailler. Non pas en développant la même politique partout. Cela ne fonctionnera pas. Il faudrait placer l’homme sans travail dans sa dignité au centre de nos préoccupations politiques.
« Nous ne pouvons pas accepter en Europe que les travailleurs soient la seule variable »
Nous vivons dans un grand marché intérieur gouverné par des règles qui permettent aux commerces et aux échanges intra-européens de fonctionner convenablement. Or on a toujours fait du social une exception, une zone à laquelle on ne devrait pas toucher. Il y a très peu de textes de droit du travail européen. Cependant il existe une directive sur le contrat de travail qui stipule que le contrat de travail doit être fait par écrit. S’il ne l’est pas, le travailleur peut généralement prouver par tous les moyens qu’il a tout de même existé.
Pour que ce marché intérieur fonctionne convenablement, pour que soit respectée la dignité des hommes, pour que le social ne devienne pas l’ajustement remplaçant la différenciation monétaire qu’il y avait avant que nous aurions la monnaie unique, il faut que nous disposions en Europe d’un socle de droits sociaux minima. Ces droits sociaux doivent être applicables dans les 25 États membres, en tenant compte des différentes situations nationales. Obliger l’Europe entière à accepter le niveau allemand ou luxembourgeois ne serait pas raisonnable. Il faut faire en sorte qu’à partir d’un certain moment, il y ait des seuils minima que les gouvernements nationaux ne peuvent pas corriger vers le bas pour donner un avantage économique national. Nous ne pouvons pas accepter en Europe que les travailleurs soient la seule variable. Je suis donc convaincu qu’il faut que beaucoup d’arguments plaident pour une déréglementation saine. Il faut que nous mettions un terme à cette frénésie « déréglementatrice » sans gêne qui considère les salariés comme étant l’ennemi de l’emploi. Les salariés ne sont pas l’ennemi de l’emploi. Il ne faudrait pas que nous, les Européens, donnions l’impression au travers de l’Europe que le projet n’est plus d’actualité et que c’est un projet qui s’impose à eux. Il faut arrêter cette forme malsaine de pensée unique qui veut que tout soit déréglementé et flexibilisé à outrance.
« Notre devoir est aussi dans le monde »
Finalement, si on veut réconcilier les citoyens, et particulièrement les jeunes, avec l’Europe, il faudrait qu’on arrive à faire rêver les Européens. Comme nous sommes empêtrés dans cet euronombrilisme, il ne faudrait pas, après avoir chassé les égoïsmes nationaux, que nous les remplacions par un égoïsme continental qui n’aurait pas de regard ni de sentiment pour les autres. L’Europe n’est pas un projet pour les seuls Européens.
Je viens de vous dire que l’Europe est belle lorsqu’on l’observe de loin, ainsi que la planète entière s’est accordée pour dire que l’Europe entière est un modèle pour les autres, sans que les Européens n’en soient devenus fiers. Mais la partie essentielle de l’Europe se trouve localisée hors d’Europe. Plus précisément, tant qu’il y a la faim et la famine, tant qu’il y a la pauvreté, tant qu’il y a cette profonde injustice qui continue à caractériser le système économique international, tant que des milliards d’hommes et de femmes vivent avec un dollar par jour, n’ayant pas d’eau ni d’électricité, tant que toutes ces situations de désespoir, berceau de tant de malheur du monde, perdurent et continuent à exister, l’Europe n’aura pas accompli son devoir.
Notre devoir est ailleurs en Europe. Il est en Europe, mais il est aussi dans le monde. Si nous, Européens, voulons être un modèle, il faut que nous fassions de la politique active, perceptible de nos ambitions les plus profondes. Nous arriverions, je le crois profondément, à enthousiasmer les jeunes d’Europe pour l’Europe si l’Europe se donnait pour projet d’éradiquer la faim, de mettre fin à ce scandale qui reste et qui dure depuis trop longtemps.
« Inventons un nouveau projet qui ne concerne pas seulement l’Europe »
Je me suis souvent posé la question de savoir pourquoi je n’étais jamais invité au G7. En effet, le Luxembourg est un des cinq pays du monde qui met à la disposition de sa politique de coopération plus de 0,7 % de son PIB. Dans le G7, il n’y a pas un seul pays qui peut se vanter d’une contribution de 0,7 % de son PIB. Alors je suis fier d’être « un 0,7 % » sans faire partie du G7. Enfin, c’est la dernière fois que je peux faire cette remarque, parce que dorénavant, en tant que Monsieur Euro, je devrai obligatoirement assister à la réunion de ceux qui font un apport insuffisant en matière de coopération.
Je dis qu’après avoir fait la paix, ardente obligation qui demeure, après avoir construit le marché unique, après avoir donné à l’Europe une monnaie unique qui la protège contre les malheurs de la globalisation et qui permet à l’Europe de traduire en bénéfice les aspects de la mondialisation, inventons un nouveau projet qui ne concerne pas la seule Europe.
Permettons à l’Europe et aux jeunes de rêver un monde meilleur et faisons de l’Europe un serviteur de cette cause. Je ne suis pas pessimiste. N’ayons pas peur. Je veux croire que nous pourrons faire en sorte que le monde de demain soit un monde meilleur. Nous pouvons le faire parce que nous sommes Européens. Nous devons le faire sans arrogance et si ce n’est pas l’Europe et les Européens qui nourrissent et transportent cette ambition, personne d’autre ne le fera.
Pour le reste, Dieu, qui est patient, nous observe, mais il risque de perdre patience avec les Européens qui n’ont pas compris l’essentiel. Je crois qu’il aime ceux qui luttent contre la réalité lorsqu’elle est dure, et qu’il aime ceux qui rêvent des rêves lorsqu’ils sont doux, mais apprécie encore plus ceux qui de leurs rêves doux en font des réalités moins dures. »
(Source : Service Information et Presse)