Luc Frieden: «Lutter contre l´abus du droit d´asile»

Dans une interview accordée à La Voix, Luc Frieden s’explique: pourquoi faut -il recourir à ces expulsions et pourquoi les procédures administratives en la matière durent-elles si longtemps?

Dans le cadre des retours forcés de réfugiés monténégrins n’ayant pas obtenu le droit d’asile, le ministre de la Justice est souvent critiqué. Certains parlent d’une politique d’immigration trop restrictive et inhumaine. Dans une interview accordée à La Voix, Luc Frieden s’explique: pourquoi faut-il recourir à ces expulsions et pourquoi les procédures administratives en la matière durent-elles si longtemps?

M. le ministre, dans une certaine presse luxembourgeoise, on vous présente comme un “monstre», qui ordonne des expulsions de demandeurs d´asile sans état d´âme. Comment réagissez-vous face à de tels reproches?

Tout d´abord je dois dire qu´humainement, le dossier des expulsions constitue le plus difficile que j´ai jamais dû traiter. Contrairement à ce que l´on raconte, il n´est pas facile pour moi de renvoyer ces gens, notamment lorsqu´il s´agit de familles. Je suis d´avis qu´il faut sauvegarder à tout prix le droit d´asile. Dans ce sens, il ne faut pas en abuser et l´attribuer seulement à ceux qui en ont vraiment besoin, c´est-à-dire aux réfugiés politiques.

Comment se fait-il que parmi les expulsés, il y a des personnes qui se trouvent au pays depuis deux ans, voire plus? Est-ce dû à une lenteur au niveau des administrations responsables?

Laissez-moi d´abord expliquer le chemin administra-tif des demandeurs d´asile: d´abord, ils font une demande auprès du ministère de la Justice qui décide si le statut de réfugié leur est attribué ou non. Les personnes qui s´en occupent se basent sur la convention de Genève de 1951. Il faut savoir que chaque individu qui demande l´asile doit être accueilli.

Actuellement, le ministère de la Justice a besoin de six mois avant de prendre une décision. En cas de réponse négative, les demandeurs d´asile peuvent contester cette décision, d´abord au tribunal administratif, ensuite devant la cour administrative. Bien sûr, ils bénéficient d´un avocat.

Cette longue durée d´attente, est-il prévu de l´écourter? Par quels moyens?

Effectivement, le temps qui passe entre la demande d´asile et l´expulsion est long. Or, il ne faut pas oublier que les personnes expulsées par la force font tout pour prolonger les procédures administratives. En clair: ils savent dès le départ qu´ils n´ont aucune chance de se voir attribuer le statut de réfugié. Alors ils misent sur l´argument d´être au pays depuis plus de deux ans pour pouvoir rester au pays.

A partir du mois de janvier de l´année prochaine, quatre personnes supplémentaires s´occuperont des nouvelles demandes d´asile, ce qui amènera le temps d´examen de ces dossiers de six à trois mois. Deux juges supplémentaires ont d´ailleurs été engagés au tribunal administratif, ce qui a déjà permis de gagner du temps.

Comment se déroulent ces expulsions?

Depuis un certain temps, elles deviennent de plus en plus problématiques: lors des retours forcés de mardi par exemple, sept des douze personnes concernées étaient introuvables. On me reproche assez souvent d´expulser des familles. Il faut dire que les célibataires sont beaucoup plus flexibles. Les policiers ont parfois beaucoup plus de mal à les retrouver. En Belgique et aux Pays-Bas, les réfugiés sont placés dans des camps fermés qu´ils ne doivent pas quitter pendant la nuit.

Je tiens à souligner qu´avant la venue des policiers, les individus déboutés de leur droit d´asile sont invités par écrit de quitter le pays. On leur propose d´organiser de la meilleure façon possible leur départ. De plus, ils reçoivent une aide financière. Or, il n´y a que dix pour cent qui acceptent. Les expulsions, aussi regrettables qu´elles soient, constituent le dernier moyen de faire respecter la loi et d´empêcher que des personnes abusent du droit d´asile.

Il y a actuellement plus de trois mille demandeurs d´asile au Grand-Duché. Êtes-vous surpris par cet afflux massif de ressortissants d´ex-Yougoslavie?

Oui, je suis surpris. Leur nombre est d´environ 3.600. La moitié d´entre eux sont déboutés de leur droit d´asile, le reste attendent la décision des autorités. La plupart de ces demandeurs d´asile ont affirmé qu´ils sont venus au Luxembourg parce qu´ils ont peur de Milosevic. Or, ils ne sont pas repartis chez eux au moment où ce dernier a été arrêté.

Y a-t-il des limites d´accueil de réfugiés au Luxembourg?

Selon des textes internationaux, chaque gouvernement doit accueillir et loger les demandeurs d´asile. Depuis la guerre au Kosovo, le ministère de la Famille a eu beaucoup de problèmes de trouver des logements pour toutes ces personnes. Nous voulons éviter que de telles situations se reproduisent.

Pour assurer le droit d´asile et donc un logement adéquat pour les gens poursuivis pour leur race, leur religion ou leur opinion politique, le départ de ceux à qui le droit d´asile n´a pas été attribué est nécessaire. Je répète que le droit d´asile doit être sauvegardé à tout prix. Or, ceci n´est possible que si nous luttons contre toute forme d´abus.

Certains critiquent que le gouvernement, d´un côté, cherche de la main d´œuvre dans les pays de l´Est et que, de l´autre côté, renvoit des individus munis d´une promesse d´embauche.

Il est vraiment triste que de telles rumeurs erronées circulent. Le fait est que le nombre de demandeurs d´asile qui pourraient occuper des emplois pour lesquels il n´y a pas de résident luxembourgeois est très limité. Le gouvernement n´entend pas faire venir de la main d´œuvre des pays de l´Est, notamment dans le cadre de la situation économique actuelle.

Il ne faut d´ailleurs pas mélanger accès au marché du travail et droit d´asile.

On entend parfois parler d´une politique “inhumaine» en matière d´immigration…

Le gouvernement luxembourgeois mène une politique favorable aux étrangers. Les communautés italiennes et portugaises par exemple se sont parfaitement intégrées dans la société luxembourgeoise. En principe, ces personnes respectent la législation en vigueur. Il faut que chacun le fasse. Nous ne voulons pas que les étrangers qui se trouvent au Luxembourg ne soient plus acceptés de la même façon par la population luxembourgeoise, juste parce que certains se trouvent au Grand-Duché de façon illégale.

En outre, il faut savoir qu´au cours des huit premiers mois de cette année, huit cents nouveaux demandeurs d´asile sont arrivés au Luxembourg. Je répète que je ne suis pas pour les retours forcés, mais, en vue de la situation actuelle, il s´agit d´une mesure nécessaire.

Avez-vous eu des discussions avec des associations ou organisations qui soutiennent les demandeurs d´asile?

Oui, j´ai eu des pourparlers avec plusieurs organisations non gouvernementales sur l´organisation des retours des personnes qui acceptent de partir volontairement. Je regrette cependant que certaines associations donnent de faux espoirs à ceux dont la demande d´asile a été refusée.

Propos recueillis par Ralph di Marco/La Voix

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