Endetté à jamais?
Les lois en matière sociale sont destinées à rééquilibrer certaines inégalités, à améliorer la situation de certaines catégories de personnes. De ce fait, elles sont toujours perfectibles. La législation sociale est ainsi une législation en constante évolution. Ce n’est pas parce qu’une loi précise en la matière aurait été mal faite qu’il faut périodiquement légiférer en ce domaine. Non, il faut périodiquement légiférer pour s’attaquer à de nouvelles inégalités, pour gommer des inégalités dont la loi n’a pas tenu compte antérieurement. Il faut bien sûr aussi légiférer pour tenir compte des expériences faites en des domaines particuliers, pour adapter la législation à l’évolution de la société au sens social du terme. Ce principe de base s’applique aussi à la matière de surendettement.
Il n’existe pour l’heure aucun texte de loi qui s’attaquerait de manière coordonnée et conséquente à ce fléau social. Faut-il attendre pour légiférer jusqu’à ce qu’on ait fignolé un projet de loi détaillé et pointilleux destiné à couvrir toutes les situations théoriquement envisageables ? Assurément que non!
Le problème du surendettement est un problème de société réel. Rappeler ce constat relève du domaine de l’évidence. Le législateur est amené à intervenir rapidement. C’est surtout pour les petits débiteurs qu’il convient de mettre un terme à la course à l’exécution, la course aux saisies à laquelle sont quasiment obligés de se livrer les créanciers et qui en définitive n’arrange personne. Les procédures sont trop complexes (on pense par exemple ici aux répartitions en matière de saisies- arrêts sur salaires), souvent coûteuses (les frais excèdent des fois l’enjeu de l’affaire) et elles conduisent à des résultats peu satisfaisants (le créancier touche des broutilles, le débiteur trouve ses avoirs et revenus largement bloqués pendant des années).
Le Conseil d’Etat vient de proposer un texte de loi largement amendé par rapport au projet initial.
Ce texte (tout comme d’ailleurs le texte antérieur) est le reflet d’une approche coordonnée et conséquente de la matière du surendettement. Il est aussi a priori de nature à gommer ou atténuer très substantiellement les avatars que connaissent actuellement les débiteurs surendettés, et leurs créanciers. L’application pratique du texte révélera, nul doute, les imperfections de celui-ci. Ainsi, et à titre d’exemple, seule l’expérience permettra de dire s’il a été judicieux d’abandonner dans la nouvelle mouture du texte la notion du « débiteur malheureux et de bonne foi ».
Une loi dont l’objectif avoué – et il faut s’en féliciter – est le respect de la dignité humaine ne peut être une loi éternellement valable. Ainsi, et toujours à titre d’exemple, une inflation au niveau des taux d’intérêts bancaires risque de faire exploser le nombre de personnes surendettées. Il faudra sans doute dans un tel cas aborder le problème d’une manière différente, nouvelle.
La pratique montrera aussi dans quels cas la loi n’est pas adaptée pour permettre de redresser certains types de situations. Il faudra à ce moment-là voir comment aborder concrètement de telles situations. Vouloir dès l’ingrès mettre en place un texte à vocation universaliste (destiné à couvrir toutes les situations théoriquement imaginables) relève de l’illusion, même si une telle approche perfectionniste peut a priori paraître séduisante.
Une chose est sûre cependant : beaucoup de temps a été perdu en ce domaine et le législateur doit intervenir maintenant, très rapidement. L’objectif en matière de surendettement doit être l’anéantissement du cercle des « endettés à jamais ». Cela ne se fera pas en un jour, en un trait de plume, avec une seule loi. Il faut agir progressivement. Il s’agit d’un travail de Sisyphe, d’une politique de petites victoires. Mais – et cela est essentiel – chaque « endetté à jamais » qui deviendra un « ex-endetté » constitue une telle victoire ! C’est de cette façon qu’on pourra réduire les inégalités et éradiquer le fléau du surendettement.
Jean-Louis Schiltz secrétaire général