La ministre de la Famille et de la Coopération, Marie-Josée Jacobs, aborde la préparation du plan d’action national pluriannuel d’intégration et de lutte contre la discrimination.
Parmi les publics visés, il y a bien sûr les jeunes mais surtout les femmes et les personnes âgées qui ont des besoins plus spécifiques d’intégration. La ministre Marie-Josée Jacobs sait également qu’un autre public reste inaccessible : les frontaliers. Entretien avec Geneviève Montaigu dans les colonnes du Quotidien
Geneviève Montaigu: Le plan devrait entrer dans sa première phase d’application au second semestre de cette année. Où en sont les travaux?
Marie-Josée Jacobs: Nous avons eu des réunions en novembre dernier avec nos partenaires, que sont les communes et les associations, et quelques personnes privées intéressées par le sujet. Pas moins de 200 personnes ont participé à ces rencontres et elles avaient jusqu’à février pour affiner leurs propositions. Le plan d’action sera à l’ordre du jour au Conseil de gouvernement avant les vacances d’été. L’intégration concerne tout le monde, j’entends par là les autres ministères et toutes les communes. Avant le vote de la loi en 2008, nous avions déjà eu des réunions avec le Syvicol et je dois dire que cela se passe très bien. Nous observons un intérêt croissant de la part des bourgmestres. Nous signons actuellement des pactes d’intégration, selon un modèle développé par l’ASTI, cofinancés par les communes et le ministère. De nombreuses communes le sollicitent et, parmi elles, Luxembourg et Esch-sur-Alzette. Il y avait déjà un intérêt, et le vote de la loi en 2008 a accentué cette prise de conscience pour la politique d’intégration. Il est évident que dans une ville comme Luxembourg, où 60% des enfants scolarisés ne sont pas luxerhbourgeois, la commune, tout comme le ministère de l’Éducation nationale, doivent jouer un rôle important. Mais le ministère de la Famille est concerné au premier chef également avec les structures d’accueil.
Geneviève Montaigu: Quel est le public cible qui vous préoccupe le plus, sachant que les enfants ont déjà l’école ou les maisons relais comme structures d’intégration?
Marie-Josée Jacobs: Il y a les enfants, bien sûr, mais surtout les parents et, plus particulièrement, les femmes et les personnes âgées. Il y a des catégories de personnes qui ont davantage le besoin de s’intégrer. Comment toucher les femmes non luxembourgeoises? Le soir, bien souvent, elles travaillent ou elles s’occupent de leur famille car les charges de travail domestique ne sont pas toujours partagées dans certaines cultures. Ces femmes n’ont pas le temps d’aller assister à des réunions ni de participer à l’activité d’un club. Mais vous les trouvez là où sont leurs enfants. Elles se rendent à la maison relais, à la crèche, à l’école et c’est pour cette raison qu’il est important pour nous de créer des relations dans ces structures. Il était important pour moi de faire une différence entre la structure d’accueil et l’école. À l’école, il existe une certaine pression pour réussir, alors que la maison relais est le lieu idéal pour nouer des contacts et atteindre différemment les femmes. Nous avons mené des projets déjà dans ce sens. La commune dEll, par exemple, a réalisé, avec les parents, la cour de récréation de leur maison relais. D’autres ont organisé des cours de cuisine avec toutes les communautés qui passaient à tour de rôle derrière les fourneaux. Il y a des relations qui se créent ainsi par de petites initiatives et chacun apprend tellement de l’autre. Nous avons une richesse à partager. Et les enfants l’apprennent dès leur plus jeune âge à l’école. C’est important pour les enfants étrangers et ça l’est tout autant pour les enfants luxembourgeois. Il n’y a pas de recette miracle pour réussir l’intégration mais des tas d’éléments rentrent dans ce plan d’action et c’est une des raisons pour lesquelles nous avons également introduit les chèques-service. On en parle trop peu de ces efforts fournis par l’ensemble de la société qui finance, par exemple, les chèques-service et les structures d’accueil.
Geneviève Montaigu: Le Premier ministre a annoncé récemment que les étrangers pourraient à l’avenir accéder au poste de bourgmestre et d’échevin mais il n’est pas favorable à une inscription d’office des étrangers sur les listes électorales. N’est-ce pas une forme de discrimination contre laquelle le plan national doit précisément lutter?
Marie-Josée Jacobs: Le processus d’intégration induit forcément une réciprocité. J’ai entendu le Premier ministre dire effectivement qu’il n’était pas favorable à l’inscription d’office des étrangers sur les listes électorales. Oui, on peut relever une certaine discrimination mais, d’un autre côté, il faut avoir le consensus dans la population. Nous avons décidé, lors des discussions menées dans le cadre du programme de coalition, de permettre aux non-Luxembourgeois d’accéder aux plus hautes fonctions communales. Je comprends bien les associations qui revendiquent toujours plus mais, pour l’instant, il serait intéressant de voir le résultat de cette ouverture supplémentaire. Y aura-t-il des personnes intéressées à devenir bourgmestre ou même à s’inscrire comme candidat sur une liste? Nous avons bien vu par le passé que la motivation n’était pas énorme.
Geneviève Montaigu: Pourtant, d’importantes campagnes de sensibilisation ont été menées…
Marie-Josée Jacobs: Quand on discute avec les gens, certains vous disent qu’ils n’ont jamais participé à une élection dans leur pays d’origine. Quand on voit le taux de participation aux élections dans d’autres pays, c’est un peu la même chose. Si les Luxembourgeois n’étaient pas obligés de le faire, je ne sais pas s’ils seraient nombreux à participer. Et si aller voter est devenu une tradition plus qu’une obligation, on sait que les traditions peuvent se perdre. Les jeunes de 18 ans, si on ne les oblige plus à aller voter, iront-ils aux urnes? Je crois qu’il est important de motiver les gens à participer aux élections et à la vie politique. On a fait des évaluations sur la participation des résidents non luxembourgeois alors que certaines communes avaient ouvert leurs bureaux exceptionnellement les samedis matin, pour permettre à tout le monde de venir s’inscrire sur les listes électorales. On peut encore offrir plus de possibilités aux gens mais cette discussion doit aussi avoir lieu avec les partis politiques. Et lors de la prochaine conférence sur l’intégration, nous organiserons une table ronde avec les partis politiques. Ils sont concernés en premier lieu, je crois! Je viens moi-même d’un parti et je sais que c’est parfois très difficile de trouver des candidats. C’est déjà difficile d’en trouver pour les listes européennes, aussi bien luxembourgeois qu’étrangers, mais encore davantage pour composer les listes aux élections communales. Avec les associations, le CLAE et l’ASTI, qui ont une longue expérience, nous allons travailler sur les moyens d’approcher les étrangers pour les faire participer au vote.
Geneviève Montaigu: L’emploi est un élément clé du processus d’intégration, mais le marché luxembourgeois est précisément hypercloisonné. Comment intervenir dans ce domaine et comment toucher les frontaliers qui sont une cible de ce plan national d’intégration?
Marie-Josée Jacobs: Oui, nous avons un cloisonnement important dans le monde du travail. La particularité du Grand-Duché est bien sûr le nombre important de frontaliers qui ne passent que leur journée dans le pays. Nous, j’entends par là le gouvernement dans son ensemble, n’avons aucune possibilité d’intervenir où que ce soit et de quelque manière que ce soit pour toucher ce public particulier que sont les frontaliers. C’est un souci que nous avons depuis de longues années. À l’époque, lors d’une conférence nationale des étrangers, nous avions organisé un atelier pour les frontaliers : il n’y avait personne. On a organisé la fête des frontaliers, il n’y avait pas plus de monde. Je les comprends aussi. Imaginez que vous ayez un trajet d’au moins une heure à faire pour rentrer. On est content d’arriver à la maison auprès de sa famille et même simplement dans sa localité. Les frontaliers sont membres de la fanfare de leur village et pas d’une association à Luxembourg, leurs enfants sont dans les écoles françaises, belges et allemandes et ça fait une grande différence. Je crois que les syndicats sont les seuls, en fait, qui peuvent toucher les frontaliers.
Et on remarque aussi un phénomène particulier sur le marché du travail : dans les banques ou les entreprises en général, où on trouve des frontaliers parmi les dirigeants, ils ont tendance à embaucher des gens de leur commune. Je vois ça chez Goodyear, par exemple, que je connais bien, où travaillent des bourgmestres des communes belges voisines et qui ont fait embaucher presque toute leur commune! Il faut voir comment cette région belge s’est développée.
Les frontaliers représentent un groupe important mais je ne sais pas ce que l’on pourrait faire de plus pour les atteindre. Il faut étudier les possibilités avec les syndicats, sinon ce sont des gens qui restent au Grand-Duché pour leur travail et qui sont aussi les premiers touchés en cas de crise économique.
Geneviève Montaigu: Vous avez déclaré que les personnes âgées étrangères composent un public plus vulnérable…
Marie-Josée Jacobs: Une dame néerlandaise nous a dit qu’il fallait construire une maison de retraite pour les néerlandophones. Je lui ai dit que cette idée allait à contresens de toute politique d’intégration. Elle m’a répondu quelque chose qui m’a beaucoup frappée. Elle m’a dit qu’il y avait des personnes néerlandaises au Luxembourg qui ont passé toute leur vie ici mais qui ne parlent pas le luxembourgeois. Elles n’ont plus de relation dans leur pays, elles commencent parfois à être démentes. Comment voulez-vous communiquer avec ce public-là? Lors d’un récent atelier, les participants ont attiré notre attention sur un public encore plus vulnérable que sont les veuves non luxembourgeoises. Si leur famille ne les prend pas en charge, elles n’ont presque pas de possibilité de sortir. Nous avons des projets avec différentes associations pour motiver les personnes âgées à participer à des activités. Nous devons rompre cet isolement. Nous avons engagé une personne pour s’occuper de ce public particulier, pour connaître ses besoins spécifiques.
Geneviève Montaigu: Il n’y a pas beaucoup de mixité dans les maisons de retraite au Luxembourg…
Marie-Josée Jacobs: Il y a une très faible mixité car il y a une très faible demande de la part des étrangers. Je ne vais pas critiquer ce fait car je crois que si on a la chance de pouvoir rester à la maison, c’est toujours mieux. C’est une tradition heureuse pour ces personnes-là. Maintenant, je vous dirais qu’on m’a déjà proposé de bâtir une maison de retraite pour personnes âgées portugaises. Nous avons contribué à financer une maison de retraite au Portugal mais je ne suis pas d’accord pour en faire autant à Luxembourg. On tomberait définitivement dans le cloisonnement que nous voulons précisément combattre. Dans les maisons de retraite, il y a beaucoup de personnel d’origine portugaise et on peut toujours s’arranger…
Geneviève Montaigu: Cela signifie-t-il que tes étrangers feraient bien d’apprendre très vite te luxembourgeois?
Marie-Josée Jacobs: Je ne dis pas qu’il faut apprendre absolument le luxembourgeois mais c’est important. Si vous ne l’apprenez pas quand vous êtes encore jeune comment voulez le faire plus tard? C’est surtout dans l’intérêt des étrangers d’apprendre le luxembourgeois. Chez moi, dans mon village, il y a beaucoup d’étrangers et ils sont nombreux à vivre dans les petits villages. Je crois que c’était notre chance de ne jamais avoir cloisonné les communautés et les associations ont ici un grand mérite, car cela fait longtemps qu’elles se sont organisées pour s’occuper des enfants et des adolescents. Mais d’autres publics doivent être touchés aujourd’hui et les personnes âgées tout comme les femmes en font partie.
Source: Le Quotidien, 12 avril 2010, Geneviève Montaigu