La Ministre de la Culture, Octavie Modert, au sujet du Musée de la forteresse, du Mudam, de la BNL et de la culture en général
Luxemburger Wort, Gaston Carré
La Culture, fin 2006, quand François Biltgen conféra à Octavie Modert pleins pouvoirs en la matière, était résolument en marche au Luxembourg, et il incomba à madame Modert, Secrétaire d’Etat, d’en baliser l’avancée, d’huiler ses rouages et d’assigner les ressources disponibles. Elevée à la dignité d’une ministre dans le nouveau gouvernement Juncker, Octavie Modert devra mobiliser une détermination accrue pour gérer quelques dossiers en suspens et une conjoncture nouvelle. Quelles sont les lignes directrices de la ministre de la Culture?
Luxemburger Wort: La Culture vous avait connue en secrétaire d’État, vous voilà titulaire de son ministère. Un ministère autonome?
Octavie Modert: Oui, parfaitement. Je suis libre de mes choix, et j’ajoute que cette liberté m’avait été octroyée dans ma fonction de secrétaire d’État déjà. On ignore trop souvent que notre système institutionnel est tel qu’un secrétaire d’État, avec délégation de compétences, se voit doter de prérogatives ministérielles. Je suis libre aujourd’hui et, je le répète, je l’étais hier déjà.
Luxemburger Wort: Au lendemain des élections, les initiateurs du "pacte culturel" avaient fait part à Jean-Claude Juncker de leur préoccupation quant à la place accordée à la culture par le gouvernement nouveau. Pouvezvous les rassurer aujourd’hui?
Octavie Modert: J’aurais pu les rassurer hier déjà, s’ils avaient bien voulu s’adresser à moi. Notre déclaration gouvernementale montre sans ambiguïté aucune que la culture conservera une place éminente. Pourquoi cette inquiétude?
Il me semble que la culture a été bien servie durant les cinq années passées comme durant les cinq années précédentes, et rien ne devrait laisser croire qu’elle sera moins bien lotie lors de la législature nouvelle.
Luxemburger Wort: Cette "éminence" sera-t-elle entérinée sur le plan budgétaire?
Octavie Modert: Oui, absolument. A l’opposé d’une idée trop répandue encore, le budget de la culture est en progression, et n’a jamais cessé de croître. Cette progression ne sera pas remise en cause pour le budget nouveau, quand bien même en situation de crise la solidarité est requise, sous condition que les efforts d’économie soient mis en oeuvre par tous.
Luxemburger Wort: Aucune institution ne sera confrontée à une coupe budgétaire?
Octavie Modert: Aucune!
Luxemburger Wort: Revenons au Pacte culturel. Dans quelle mesure tiendrez-vous compte de ses recommandations?
Octavie Modert: J’avais d’emblée dit mon intérêt à ses signataires. Je salue d’autant plus volontiers leurs suggestions que nos points de vue concordent largement. J’ajoute qu’une information plus précise quant à ce qui était mis en pratique leur aurait permis de s’aviser que certaines de leurs doléances étaient d’ores et déjà satisfaites.
Luxemburger Wort: Des exemples de concordance?
Octavie Modert: La culture en tant que facteur de cohésion sociale. Le libre accès à la culture pour tous, porter la culture dans les écoles, dans les maisons de retraite, dans les milieux défavorisés – il s’agit là d’une visée essentielle, qui nous est commune. Le principe de la transversalité, de même, nous est très cher. La culture ne saurait évoluer en vase clos. Des synergies doivent être mises en oeuvre, de même que des efforts en vue de dégager des plusvalues réciproques.
Luxemburger Wort: La culture peut-elle générer une telle plus-value pour le secteur touristique, sans pour autant faire jouer André Rieu à la Philharmonie?
Octavie Modert: Nos disposons, dans le champ culturel, de nombreux atouts susceptibles de catalyser le secteur touristique. Il faudra à cet effet miser sur nos infrastructures, mais aussi sur la qualité des programmes. C’est par le biais de la culture que le Luxembourg pourra corriger le cliché d’un pays limité à de grands boulevards bancaires.
Luxemburger Wort: Le statut de l’artiste sera-t-il révisé?
Octavie Modert: J’ai pris acte des recommandations de la commision ad hoc, qui pour partie était constituée d’artistes aussi. Or il apparaît qu’il n’y a pas lieu de modifier la loi en cours, même si quelques aménagements sont envisageables, notamment en matière de congés de maternité ou de maladies graves.
Luxemburger Wort: Les artistes luxembourgeois disposeront-ils d’une instance de promotion à l’étranger, par-delà les services des ambassades?
Octavie Modert: Oui. Une agence d’export est en voie de constitution. La promotion de nos créateurs à l’étranger aussi fait partie de nos priorités.
Luxemburger Wort: Vous parliez de cohésion sociale. Or une institution telle le Mudam, loin de susciter le consensus, engendre une sorte de nouvelle querelle entre les Anciens et les Modernes…
Octavie Modert: A chacun ses goûts, à chacun ses couleurs. Toute prédilection est respectable, et il appartient à chacun de respecter les préférences de chacune. Quoi qu’il en soit, il était nécessaire de disposer d’un lieu où la création contemporaine puisse s’exprimer. L’art est innovant par définition et par vocation, et il convient de l’accueillir dans ses expressions les plus nouvelles.
Luxemburger Wort: Puis-je en déduire que l’approche initiée par Marie-Claude Beaud et poursuivie par Enrico Lunghi n’est pas à remettre en cause?
Octavie Modert: Absolument!
Luxemburger Wort: Cette réponse va être lue par certaines personnes aux yeux de qui le Mudam se voue à ce qu’elles appellent "égal wat"..
Octavie Modert: Je répète qu’on ne peut ignorer l’art contemporain. Au demeurant, pourquoi tenter ce en quoi nous ne saurions exceller, et pourquoi aurait-on voulu acheter ce qui n’était pas achetable? Pourrions-nous acquérir un lot de Picasso? Et dans quel but? Cela dit, une fois admis le principe d’un art contemporain et non pas «moderne», j’ai toujours dit au Mudam qu’il y avait lieu de s’ouvrir plus encore à la création contemporaine luxembourgeoise, d’exposer l’art international certes mais de promouvoir au mieux aussi la création autochtone.
Luxemburger Wort: Du Mudam, passons aux Trois Glands. Le "Musée de la Forteresse" sera intégré au Musée national d’histoire et d’art. Pourquoi?
Octavie Modert: Pour faire bénéficier le "Musée de la Forteresse" du savoir-faire acquis par le MNHA dans les domaines de la muséographie, de la scénographie, de la gestion muséale. La raison est là, elle est d’ordre pragmatique et il n’y en a pas d’autre.
Luxemburger Wort: La Forteresse conservera-t-elle toutefois une certaine autonomie?
Octavie Modert: Les Trois Glands resteront au Kirchberg, et ne seront pas transférés au Marché-aux-poissons!
Luxemburger Wort: Le dossier Forteressse est devenu le dossier d’une calamité. Qui en porte la responsabilité?
Octavie Modert: Je ne pense pas qu’il y ait un responsable en particulier, dans une problématique aussi complexe. J’avais tout fait, quant à moi, pour aboutir à une ouverture fin 2007. Or il a été constaté que le budget – qui sans doute fut originellement sous-évalué – serait dépassé et j’ai dès lors tout arrêté. Voilà deux ans qu’on n’y travaille plus et je ne peux que le déplorer. Le nouveau projet de loi vient cependant de recevoir l’avis du Conseil d’Etat, qui comme vous le savez ne ménage pas ses mots ["préparation insuffisante du projet", "gestion insuffisante du chantier", "différence béante entre estimé initial et coût effectif", ndlr].
Luxemburger Wort: La consternation face au dérapage budgétaire s’est compliquée d’une certaine perplexité face au concept muséal. Ce concept a-t-il varié?
Octavie Modert: Non. Le concept muséal est resté constant, depuis le début du processus.
Luxemburger Wort: Pourquoi alors cette perplexité? Votre ministère s’est-il insuffisamment expliqué?
Octavie Modert: On ne m’a pas souvent interrogée. On n’a pas lu mes explications au Conseil d’Etat, qui soulignent que jamais le concept ne fut révisé
Luxemburger Wort: Ce concept suscite-t-il des réticences «idéologiques»?
Octavie Modert: Rappelons qu’il s’agira du premier musée luxembourgeois appelé à documenter l’histoire et la complexion identitaire de ce pays éminemment complexe, ceci à travers une exposition permanente.
Luxemburger Wort: Cette complexion identitaire estelle à décliner au pluriel?
Octavie Modert: Certainement. Et il n’y a pas lieu de s’en inquiéter ou de s’en offusquer. Toute identité nationale est complexe, plurielle et mouvante. Le Luxembourg est doté de nombreuses identités, qui de surcroît ne sont jamais statiques. Nous ne serions pas ce que nous sommes sans l’apport de tous ceux qui se sont établis et s’établissent chez nous de manière durable ou simplement quotidienne.
Luxemburger Wort: Où trouverons-nous la nouvelle Bibliothèque nationale?
Octavie Modert: La BNL est mal lotie, c’est un fait. Or nous en aurions d’ores et déjà une nouvelle si en 1990 tout le monde s’était accordé à s’exiler du centre-ville. Ceci dit, la directrice Monique Kieffer ayant eu la sagesse d’affirmer sa préférence pour une unité de lieu plutôt que pour une Bibliothèque «éclatée», il s’avère que l’emplacement le plus adéquat serait la Place de l’Europe, qui pourrait devenir une sorte de Place de la Culture. Hélas, le bâtiment susceptible de l’héberger n’est pas près de se libérer, de sorte qu’avec Claude Wiseler, le ministre des Travaux publics, nous avons envisagé une construction nouvelle, qui impliquerait qu’il faille faire déménager le Parlement européen plus tôt que prévu. Une alternative est à l’étude pour le cas où l’on ne parviendrait pas à progresser en ce sens.
Luxemburger Wort: A Luxembourg-ville?
Octavie Modert: Oui.
Luxemburger Wort: Les Archives nationales seront-elles bien logées à Esch-Belval?
Octavie Modert: Oui. On travaille toujours mieux dans un bâtiment neuf et fonctionnel, quand bien même les Archives ne sont pas aussi mal loties que la BNL.
Source: Luxemburger Wort, 15 October 2009, Gaston Carré