Luc Frieden au sujet de la place financière du Luxembourg
Source: L’Echo
L’Echo: L’économie du Luxembourg reposant en grande partie sur la finance, le modèle luxembourgeois a-t-il été mis en danger par la crise ?
Luc Frieden: Non, la place financière du Luxembourg s’est relativement bien développée malgré la crise internationale. Ca tient surtout au fait que les banques luxembourgeoises sont des banques qui agissent dans un cadre relativement conservateur et qu’elles sont des filiales de banques étrangères. En d’autres termes, beaucoup des opérations très risquées qui ont posé des problèmes aux établissements bancaires n’ont pas eu de répercussions notables à Luxembourg. Evidemment la situation économique générale, la baisse des marchés boursiers, les problèmes des crédits interbancaires ont concerné les banques luxembourgeoises comme toutes les banques. Mais là encore je note qu’actuellement la situation est en train de s’améliorer considérablement. Donc je crois que la place financière du Luxembourg n’a pas été fondamentalement affectée. Mais il est évident que les banques subissent une phase très difficile. Ce qui aura sans aucun doute des répercussions sur leur résultat et donc aussi sur les recettes de l’Etat.
L’Echo:Vous avez multiplié ces derniers mois les signatures de conventions de transfert d’informations avec d’autre pays. Ca vous paraissait si important que le Luxembourg puisse sortir rapidement de la liste grise de I’OCDE ?
Luc Frieden: Bien sûr, la place financière de Luxembourg se distingue de beaucoup d’autres places financières dans la mesure où c’est une place vraiment internationale alors que les autres sont beaucoup plus axées sur le marché national. Nous avons estimé que les règles internationales déclarées en tant que standards internationaux – soit l’échange de renseignements sur demande – devaient être aussi appliquées par nous. Nous avions d’ailleurs annoncé cela avant que la liste grise ne sorte. Et nous avons pu le faire, sans dommage pour la place de Luxembourg, dans la mesure où toutes les autres places financières sérieuses qui sont en concurrence avec la nôtre ont effectué la même démarche au même moment. C’est un élément très important pour assurer qu’il n’y ait pas de fuite de capitaux de l’Union européenne vers d’autres pays. Comme tous les pays ont fait ce pas au cours des derniers mois, la démarche du Luxembourg était importante pour renforcer encore sa compétitivité. Et le fait que nous ayons été les premiers de tous les centres financiers à nous conformer à ce standard témoigne de la façon dont nous traitons ces dossiers. Nous avons pris un engagement, nous avons négocié et nos partenaires ont rapidement compris que notre engagement était sérieux.
L’Echo: C’est un peu la fin du secret bancaire. Est-ce que ça ne risque pas, à terme, de mettre à mal le système luxembourgeois ?
Luc Frieden: Il est important que la protection de la vie privée soit respectée par les Etats. Mais tous ceux qui croient que les clients ne viennent à Luxembourg qu’à cause du secret bancaire se trompent. La preuve par le fait que la signature de ces conventions n’a pas entraîné de fuite des capitaux. La plupart des clients de la place de Luxembourg recherchent des produits internationaux, un conseil focalisé sur le marché international, un know-how qui s’est établi sur de très nombreuses années, une très forte stabilité politique. Je crois que les épargnants qui n’avaient cherché Luxembourg que pour des raisons fiscales sont partis il y a très longtemps. Je rappelle également que depuis quelques années nous avons une retenue à la source qui fait que l’argent des non résidents à Luxembourg est aussi soumis à une taxation. Donc l’aspect fiscal n’est qu’un aspect parmi tant d’autres qui attire les non résidents vers la place de Luxembourg. Mais le gouvernement continuera à attacher une grande importance à la confidentialité des données bancaires. Il faut donc un certain nombre d’éléments pour assurer que le capital soit taxé de manière juste et d’autres pour une certaine protection des données personnelles.
L’Echo: Dans la dernière déclaration gouvernementale, vous avez lancé des pistes de diversification pour le système financier. C’était vital ?
Luc Frieden: Il faut en permanence diversifier les activités de la place. Mais cette diversification ne se fera pas aux dépens des autres grandes activités du centre financier que sont la gestion de patrimoine et les fonds d’investissement. Ces deux piliers seront assurés par un renforcement du cadre juridique là où c’est nécessaire. Mais par ailleurs, nous avons continué à élargir l’activité à un certain nombre de domaines comme les investissements socialement responsables, le financement des écotechnologies, la philanthropie et la microfinance. S’ajoute à la diversification des produits une diversification géographique. Alors qu’historiquement les clients des banques au Luxembourg provenaient surtout des pays avoisinants, nous avons pu constater au cours des dernières années un élargissement de la zone géographique. Les fonds d’investissement luxembourgeois sont aujourd’hui bien connus en Asie par exemple.
L’Echo: Pour cette année, vous prévoyez un déficit des finances publiques, ce qui est assez rare pour le pays. Comment le gouvernement a-t-il décidé de réagir par rapport à cela ?
Luc Frieden: Comme tous les autres pays de la zone euro, le Luxembourg connaîtra un déficit au cours des années 2009 et 2010. C’est logique dans la mesure où les recettes de l’Etat diminuent fortement d’un côté et que, de l’autre, le gouvernement luxembourgeois a décidé de laisser jouer les stabilisateurs automatiques. Les dépenses d’investissement de l’Etat ne seront donc pas freinées pendant la crise. Nous essayons de soutenir le mieux possible l’économie luxembourgeoise en avançant un certain nombre de projets, notamment dans le secteur de la construction. Nous sommes donc dans une situation difficile mais qui n’est pas différente de celle des autres Etats de la zone Euro. Sauf que, contrairement à eux, notre dette publique a été historiquement très basse. Alors que certains de nos pays voisins affichent une dette publique de près de 100% du PIB, la nôtre est de 14% du PIB. Or, les critères de l’Union économique et monétaire permettent jusqu’à 60% d’endettement. Il existe donc une certaine marge pour le Luxembourg. Je ne dis toutefois pas que nous allons augmenter notre endettement jusqu’à ce niveau, ce serait une faute, mais que pendant la durée de la crise nous pouvons mener une politique anticyclique. Mais le gouvernement est déterminé à réduire rapidement le déficit à l’issue de la crise. Nous sommes aussi très actifs au niveau des discussions européennes sur les stratégies de sortie de crise. Il nous semble essentiel de préserver la compétitivité de l’économie européenne et luxembourgeoise. Le déficit doit rester passager, mais comme dans tout pays la réduction des dépenses sera un exercice politique très difficile à réaliser.
L’Echo: Il pourrait être envisagé de toucher au système fiscal ?
Luc Frieden: Durant la crise, le gouvernement luxembourgeois n’augmentera pas les impôts et ne les diminuera pas. Nous ne voulons rien faire durant la crise qui rende plus difficile l’effort d’investissement des entreprises et l’effort de consommation des personnes.
L’Echo: La Belgique a lancé l’idée de faire payer la crise aux banques. Ca vous semble judicieux ?
Luc Frieden: Il faut voir ce que signifie le fait de faire payer les banques. Je considère que les idées qui circulent sur une taxation des transactions financières ne peut fonctionner que si, dans un monde globalisé, la même taxation s’applique partout. Par ailleurs, en ce qui concerne le Luxembourg, les banques participent largement au financement des dépenses de l’Etat dans la mesure où la finance représente près d’un tiers du PIB et que l’activité financière, au sens large, génère près d’un tiers des recette fiscales de l’Etat. Donc, les banques au Luxembourg payent déjà beaucoup. C’est normal, mais je ne crois pas qu’il faille exiger d’elles un effort supplémentaire. S’il faut un effort supplémentaire, il doit être généralisé. Mais le gouvernement luxembourgeois estime qu’il faut d’abord réduire les dépenses avant d’augmenter les impôts. Je souhaite que les entreprises étrangères tout comme les entreprises nationales continuent à choisir le Luxembourg pour leurs développements futurs. Une imposition trop élevée chasse les entreprises vers l’extérieur.
L’Echo: Le secteur financier, vous l’avez dit, contribue à un tiers du PIB. C’est une répartition qui vous satisfait ou bien le gouvernement cherche des pistes pour diversifier un peu plus l’économie ?
Luc Frieden: Il faut faire les deux. Le gouvernement continuera à développer la place financière. Je suis convaincu que tous ceux qui disaient il y a vingt ans que cette place allait disparaître se sont trompés et se trompent encore maintenant. Cette place restera très importante parce qu’elle bénéficie d’un know-how tout à fait particulier : plus de la moitié des gens qui travaillent dans le secteur financier sont des " non luxembourgeois ". Il y a donc un aspect multiculturel qui s’y reflète, tant au niveau des personnes qu’au niveau des produits. Ca ne changera pas du jour au lendemain. En plus, je crois qu’un petit pays comme le nôtre est plus destiné à une économie de services qu’à une économie industrielle. Mais, par ailleurs, le gouvernement poursuit ses projets de développement et de diversification économique. Le Luxembourg reste un pays de l’acier, un pays des médias et des satellites. Un certain nombre d’entreprises spécialisées dans le commerce électronique ont aussi implanté leur centre européen chez nous et nous voyons des initiatives dans le secteur de la logistique. Nous allons donc effectivement assurer la diversification, mais en complément de la place financière, pas en vue de la remplacer. C’est logique vu la taille du pays et la composition de sa population.
Source: L’écho, 22 septembre 2009