Le sens de l’Etat

Jean-Claude Juncker entame son quatrième mandat en tant que Premier ministre, Entretien avec la Voix du Luxembourg

Marc Vanacker, La Voix du Luxembourg

Pas de «non» catégorique «L’avenir nous le dira.» C’est la réponse de Jean-Claude Juncker quant à une éventuelle nomination en tant que président de l’Union européenne. La question ne se pose pas pour l’instant, le traité de Lisbonne n’étant pas encore entré en vigueur. Mais contrairement à 2004, le Premier ministre n’exclut rien. «En 2004, tous les chefs d’Etat m’avaient demandé d’occuper ce poste, mais j’avais fait la promesse de ne pas partir en cas de victoire électorale de mon parti. Cette fois-ci, je n’ai pas promis de rester au pays si on me le demandait encore une fois. Ceci étant je crois que mes chances se sont sérieusement réduites après les nombreuses discussions houleuses que j’ai dû mener ces derniers temps pour défendre les intérêts du pays.» 

Le 20 janvier 1995, après la désignation du Premier ministre de l’époque Jacques Santer comme président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker est nommé Premier ministre. Depuis, sa cote de popularité n’a cessé de croître et c’est donc en toute logique qu’il entame son quatrième mandat en tant que chef de gouvernement. 

Si tout le monde – les observateurs politiques et journalistes en premier – parle d’un gouvernement qui s’inscrit dans la continuité, ce n’est pas de l’avis du Premier ministre qui tient à relativiser. Certes la coalition CSV / LSAP a été reconduite, et sur quinze ministres, seuls trois ont été remplacés par des nouveaux candidats, il n’en est pas moins vrai que la plupart des ministres ont changé de domaines de compétences. 

«Mon souhait était que les membres du gouvernement, les nouveaux venus comme les ministres confirmés, puissent faire profiter leurs nouvelles idées dans d’autres ressorts. Nous ne retrouvons que trois nouvelles têtes dans ce gouvernement, mais la plupart des ressorts ministériels ont changé de chef de file», et Jean-Claude Juncker de citer les Finances, l’Agriculture, le Travail, la Justice, le Tourisme, les Classes moyennes, le Trésor, l’Environnement, l’Aménagement du territoire, la Fonction publique, la Communication, les Sports, le Logement et l’Egalité des Chances. «En plus, nous avons créé un ministère de l’Economie solidaire, ce qui n’existe presque nulle part ailleurs, et un ministère de la Grande Région. Il y a eu un chamboulement important. C’est quelque chose qui ne s’est encore jamais vu lorsque la coalition a été reconduite.» 

Au soir du 7 juin, Jean-Claude Juncker avait réussi ce que luimême ne croyait pas possible: augmenter son score personnel. Avec 67.119 voix, il devance de presque 25.000 voix son dauphin au Sud, Jean Asselborn (42.937). Le CSV a obtenu son meilleur score depuis 1954, mais plus important encore, une coalition tant redoutée par les chrétiens-sociaux à trois contre le CSV était devenue impossible. «Nombreuses étaient les interventions libérales et partiellement socialistes et toujours Vertes de clamer haut et fort que certaines réformes ne seraient pas possibles avec le CSV. Je constate que nous comptons treize députés pour les socialistes, neuf libéraux et sept Verts. Ce qui fait 29, insuffisant donc pour composer un gouvernement.» 

La déception du DP et de Déi Gréng les a d’ailleurs amenés à déclarer, au lendemain des élections, refuser toute négociation avec le CSV. «C’était une manœuvre politique. La version officielle du parti des Verts était d’affaiblir le CSV dans ses négociations avec le LSAP, vu que nous n’avions plus comme moyen de pression l’échange possible du partenaire de coalition. C’est mal me connaître. Le jour où le Grand-Duc m’a nommé formateur, j’ai eu comme mission de présenter au pays un gouvernement avec un programme et non de privilégier les positions de mon parti. Je suis ministre d’Etat. Là, il y a le mot Etat. Je constate que ni le DP ni les Verts n’avaient compris cela, ce qui prouve qu’ils ne méritaient pas de faire partie du gouvernement. D’ailleurs personne ne leur aurait demandé. J’étais fermement décidé au soir des élections de continuer avec le LSAP.» 

Les réformes sociétales 

En ce qui concerne les réformes dites de société, l’accord gouvernemental en a étonné plus d’un, à commencer par l’opposition qui ne s’attendait pas à retrouver des dossiers aussi sensibles que l’avortement ou le mariage homosexuel. «J’ai dit à maintes reprises que je suis en faveur du mariage homosexuel. Durant toute la campagne électorale et notamment au »Juncker on tour«, je n’ai cessé de déclarer qu’il était grand temps de trouver des solutions plus en phase avec notre époque en matière d’avortement. Il y a eu une tentative du DP et de Déi Gréng et d’une partie du LSAP de nous cataloguer comme un parti réactionnaire, clérical, refusant toutes les réformes. Cette tentative a échoué et les réformes auront bien lieu.» 

Outre ses fonctions de chef de gouvernement, Jean-Claude Juncker a fait de la simplification administrative son affaire, avec Octavie Modert comme ministre déléguée. Une décision qui à première vue peut surprendre, mais comme le précise le Premier ministre, «beaucoup d’efforts entrepris dans ce domaine ont échoué parce que des ministres n’ont pas réussi à se mettre d’accord. Le seul qui ait le pouvoir de résoudre de tels conflits est le chef de gouvernement. Je n’interviendrai d’ailleurs qu’en dernier recours.» 

Fernand Boden, Jean-Louis Schiltz et Lucien Lux ne font plus partie de l’équipe gouvernementale. Un choix non seulement dicté par le score obtenu par les différents candidats. «Le LSAP fonctionne d’après la logique que les postes ministériels sont occupés selon la hiérarchie électorale. Ceci ne vaut pas de la même manière pour le CSV. Je suis même étonné qu’on puisse le penser. Pour rappel: j’ai moimême intégré l’équipe gouvernementale pour la première fois sans avoir été élu, tout comme Pierre Werner et Jacques Santer auparavant. Jean-Louis Schiltz aussi avait été nommé sans avoir été en rang utile. La même remarque vaut pour François Biltgen. Nous avons toujours essayé de sélectionner des personnes qui correspondent au mieux au poste qu’elles vont occuper. Je regrette que Lucien Lux ne fasse plus partie du gouvernement, ce n’était pas mon choix. En ce qui concerne Jean-Louis Schiltz, le rôle du président du groupe parlementaire est au moins aussi important qu’un poste ministériel. Il doit amener un groupe de 26 députés à des positions communes. Jean-Louis Schiltz avait lui-même souhaité quitter le gouvernement pour prendre cette fonction dont il sait ô combien je la trouve importante. J’aurais bien aimé garder Fernand Boden, qui est un élément de sagesse et de riche expérience. Je ne suis pas un tueur, je n’aime éliminer personne.» 

Des défis de taille 

En ce qui concerne la crise financière et économique, Jean-Claude Juncker dit percevoir des signes de reprise de l’économie. «Il faut cependant rester lucide. La douce reprise doit encore réussir le test de la durabilité. Ne tombons pas dans un optimisme béat. Le marché du travail réagit toujours avec un certain retard, la situation sur le marché de l’emploi devrait encore s’aggraver dans les prochains mois. Les finances publiques en pâtiront. Les défis pour la politique sont énormes.» Ce qui amène le chef de gouvernement donc à reformuler ce qu’il n’a cessé de dire durant toute la campagne électorale, à savoir, que tous les investissements qui figurent dans l’accord gouvernemental ne seront réalisés que si les finances le permettent et qu’aucun pronostic n’est possible au-delà de 2010, autrement dit, personne ne sait comment cela continuera. «Si vous écoutez attentivement les déclarations de collègues étrangers, vous remarquez qu’ils disent la même chose. Nous ne savons pas exactement vers où aller, mais il faut être capable de réagir rapidement.»

Source: La Voix du Luxembourg, Marc Vanacker, 29 août 2009