“Du virtuel, de la régulation et de l’usine à rêves”

Jean-Louis Schiltz au sujet de la politique en matière de communication

Entretien avec Josée Hansen du Lëtzebuerger Land, 24 avril 2009

d’Land: Avec votre collègue du ministère de l’Economie et du Commerce extérieur, Jeannot Krecké (LSAP), vous avez réussi à attirer toute une série de nouvelles entreprises du secteur du commerce électronique au Luxembourg ces dernières années – Paypal, Amazon, Rakuten, Tigo… Avec quels arguments?

Jean-Louis Schiltz: On peut considérer que nous avons réussi à implanter le Luxembourg sur la carte mondiale du commerce électronique, ce qui n’était pas le cas avant 2004. Il y avait certes déjà quelques entreprises ponctuelles à l’époque, comme Amazon ou Skype, c’était un début, nous avons, depuis 2004, mis en place une véritable stratégie. Ce qui attire les entreprises chez nous, c’est toute une série de critères : le cadre réglementaire et législatif, mais aussi la position centrale du pays, la flexibilité et la proximité des instances gouvernementales, l’histoire du pays en matière de médias, avec notamment RTL et la SES, le fait que le secteur bancaire soit à la pointe des nouvelles technologies aussi, l’approche pro-entreprises du gouvernement et, ce qu’on nous fait de plus en plus souvent remarquer, la qualité de vie très élevée…

Le taux d’imposition attractif des activités électroniques n’est alors plus qu’un critère parmi une dizaine d’autres, et pour certaines d’entre ces entreprises, je sais pertinement que ce n’était pas le plus important. Je peux citer ici une société comme Amazon: elle a aujourd’hui une centaine d’employés au Luxembourg et centralise un certain nombre de ses fonctions communes pour toute l’Europe ici.

d’Land: Qu ‘est-ce que le secteur représente aujourd’hui ? Et quelles sont les retombées de la crise dans le domaine de l’e-commerce auxquelles vous vous attendez, par exemple en baisse des rentrées TVA?

Jean-Louis Schiltz: Nous récoltons quelque 300 millions d’euros de TVA par an dans ce secteur ; il faut maintenant observer comment ce chiffre évolue. Ce qui est certain, c’est qu’au niveau international, les nouvelles technologies ne sont pas épargnées par la crise économique. Les entreprises les plus affectées sont celles qui produisent des ordinateurs, des logiciels et puis tous les secteurs qui dépendent de la publicité, comme GoogleAds. D’autres, comme Apple, sont moins touchées, et on constate ce même phénomène pour beaucoup d’activités qui ont trait à l’entertainment domestique ou mobile. Pour ce qui est du commerce électronique, nous allons suivre de près à quel degré la baisse générale de la consommation va s’y répercuter.

d’Land: Vous venez d’annoncer la transformation de l’ancien Médiaport du Service des médias, en LuxembourgforICT pour la promotion du Luxembourg pour l’implantation de nouvelles sociétés dans ce domaine. Pourquoi? Qu ‘est-ce que ça change?

Jean-Louis Schiltz: J’insiste sur le fait que LuxembourgforICT n’est pas une nouvelle agence de promotion, mais un outil qui nous permet de mieux communiquer tous les avantages du Luxembourg dans ce domaine aux entreprises intéressées à venir s’implanter ici. Nous répondons par là aussi à une demande du secteur, en proposant une structure plus claire comme interlocuteur unique. Lors de mon voyage de prospection aux Etats-Unis en janvier, j’ai parlé à un certain nombre d’entreprises susceptibles de venir au grand-duché, et, sans vouloir donner de noms, je peux néanmoins déjà affirmer qu’il y a un grand intérêt. Les directions connaissent désormais le Luxembourg.

d’Land: Dans sa déclaration sur l’état de la Nation, mardi, le Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV) affirmait que vous étiez "amoureux des nouvelles technologies" et que "cet amour produisait de bons résultats", comme l’atteinte de quasi cent pour cent des ménages connectés à l’lnternet à haut débit ou le plan d’investissement à hauteur de 200 millions d’euros pour la construction d ‘autoroutes de l ‘information et la mise en place d’infrastructures du type "data centers". Dans le plan de soutien à la conjoncture du gouvernement, ces investissements comptent parmi les mesures de "préparation de l’après-crise". Pourquoi? Quel en est le volet "après-crise"?

Jean-Louis Schiltz: J’ai présenté ce paquet sous le titre "3C" : conjoncture, consommateur et compétitivité. Avec de meilleures infrastructures, nous aidons les entreprises, nous diversifions l’offre pour les consommateurs et nous augmentons l’attrait du pays dans la concurrence internationale. Car une entreprise qui voudra développer ses activités européennes après la crise ne s’implantera certainement pas là où il faudrait d’abord mettre en place les infrastructures nécessaires.

En 2005, nous avions fait réaliser une analyse de notre connectivité par le bureau Analysys, et le résultat était alarmant : l’étude nous prédisait que nous allions droit dans le mur dans ce domaine si nous n’investissions pas. C’est pourquoi nous avons alors fondé LuxConnect et que nous construisons le "data center" à Bettembourg, qui pourra être inauguré en mai. Le succès est indéniable, beaucoup d’entreprises nous félicitent pour les efforts que nous avons entrepris. Les 200 millions supplémentaires iront à LuxConnect et à la Poste, pour le développement du réseau national, la connexion à l’international et la construction d’un deuxième "data center". Voyez-vous, une économie moderne a besoin d’infrastructures IT performantes, elle doivent être un "facilitateur" des activités économiques. Quand je vois que le Japon a prévu des investissements de l’ordre de 1,6 milliard d’euros dans ce domaine dans son plan de relance, nous ne nous situons pas mal avec nos 200 millions. Je considère cela comme une mesure de politique économique générale.

d’Land: Justement : si c’est de la "politique éco-nomique générale", qu ‘en est-il de votre collaboration avec le ministre de l’Economie, Jeannot Krecké (LSAP), dans le domaine? À un moment, on avait l’impression, que vous jouiez au "good cop / bad cop", que vous aviez la primeur de l’annonce des bonnes nouvelles, comme l’implantation d’une nouvelle société de commerce électronique au Luxembourg, et lui celle des mauvaises…

Jean-Louis Schiltz: La collaboration est excellente. Le plan d’investissement en infrastructures de communication, nous l’avons élaboré et présenté ensemble. L’impression dont vous parlez est totalement fausse ! Dans l’actualité récente, vous constaterez que le ministre des Finances, Jean-Claude Juncker, a pu annoncer la venue de Rakuten après son voyage au Japon, que le ministre de l’Économie a pu annoncer celle de RealNetworks et celui des Communications l’arrivée de Huawei. Cette impression a dû naître au moment de l’annonce de l’arrêt des activités d’AOL, que Jeannot Krecké a faite à la radio. Mais moi-même avais confirmé cela à la télévision. D’ailleurs, nous avons réussi à ce qu’un certain nombre d’activités reste. C’est aujourd’hui TPHS qui s’en occupe.

d’Land: Où en est le Paquet Télécom? Quand est-ce qu ‘il sera adopté et quelle est la position du Luxembourg?

Jean-Louis Schiltz: Nous voyons la dernière ligne droite, mais nous ne l’avons pas encore atteinte ; aucun accord global n’a encore pu être trouvé. Nos deux soucis sont l’attribution des fréquences au niveau européen et la collaboration des instances de régulation: dans les deux cas, nous sommes certes pour une solution européenne, mais nous battons contre une augmentation de la charge bureaucratique. Nous voulons aussi garder une certaine marge de manœuvre.

d’Land: Côté audiovisuel, cette législature a été marquée par les discussions entourant le passage à la télévision numérique, entraînant notamment une augmentation des redevances de télévision, afin de payer les droits d ‘auteur, et qui avait provoqué une véritable levée de boucliers des consommateurs et des petits câblo-distributeurs. Vous avez été prêt à concéder une période de transition jusqu ‘en 2011, période durant laquelle quelques programmes analogiques resteront offerts. Où en est le passage au numérique?

Jean-Louis Schiltz: Notre premier précepte est de garantir la liberté de choix pour le consommateur : à lui de décider s’il veut regarder ses programmes de télévision en analogique ou en numérique. La date de fin 2011 pour le passage au tout-numérique reste l’ambition, mais il faudra regarder l’année prochaine, début 2010, si cette date reste réaliste ou pas – chaque chose en son temps. Actuellement, nous en sommes à un taux de trente pour cent de migration vers le numérique.

d’Land: Deuxième fait saillant: le retour de RTL TVi, le 1er janvier 2006, sous le giron du grand-duché; le Conseil d’État belge vient d’ailleurs de confirmer, début 2009, que la chaîne est luxembourgeoise. Afin de calmer la colère de votre homologue wallon, Fadila Laanan, qui enrageait de voir ainsi échapper une importante chaîne belge aux obligations que la loi lui impose, ainsi qu’au contrôle du CSA belge, vous avez promis de signer un accord de coopération, réglant notamment la collaboration de régulateurs. Est-ce que cela s’est fait?

Jean-Louis Schiltz: RTL TVi n’était jamais partie! L’ancrage luxembourgeois est seulement devenu plus fort, avec son passage exclusif sous licence luxembourgeoise en 2006. Le Conseil d’État belge a donné raison à RTL et officiellement confirmé la nationalité luxembourgeoise du programme, et donc sa soumission à la législation luxembourgeoise et au contrôle du Conseil national des programmes. De notre côté, cet accord de collaboration est prêt, j’ai plusieurs fois déjà signalé à Fadila Laanan que nous pourrions signer quand elle veut.

d’Land: Lors de son entrée en fonction, début janvier 2008, le nouveau président du Conseil national des programmes Tom Krieps se plaignait que cet organe n’était qu’un "tigre de papier", qui n’avait pas de moyens pour travailler de manière professionnelle, et vous lui avez promis une amélioration – qui a suivi en automne, avec l’augmentation de ses moyens financiers, l’embauche de personnel supplémentaire ainsi que le dépôt d’un projet de loi réformant ses attributions et ses moyens de sanction. Où en est cette réforme?

Jean-Louis Schiltz: Nous attendons l’avis du Conseil d’État – qui serait certainement déjà là s’il n’y avait des projets plus urgents à traiter à cause de la crise. Mais j’espère que le texte pourra encore passer le parlement avant l’été, car il est important que le CNP puisse avoir des sanctions graduées à l’encontre des opérateurs qu’il contrôle. Cela augmentera son pouvoir. En règle générale, je peux dire que la collaboration avec le CNP est tout à fait correcte.

d’Land: La loi sur la liberté d’expression dans les médias sera réformée, avec quelques légères adaptations, notamment en ce qui concerne le protection du titre de journaliste. Pourquoi?

Jean-Louis Schiltz: En tant que ministre des Communications, je m’engage pour la liberté d’expression, qui, pour moi, implique l’autorégulation de la profession. J’ai donc écouté ce que les journalistes m’ont dit, ils étaient demandeurs de ces adaptations de la loi de 2004, notamment pour une meilleure protection de leur titre professionnel ainsi qu’une organisation juridiquement impeccable des voies de recours contre les éventuelles décisions de refus de la carte professionnelle. Le texte laisse ouvert, après deux instances, le recours devant le Tribunal administratif. J’aurais même été prêt à aller plus loin, à l’image de l’autorégulation des avocats, mais ce n’était pas la demande du Conseil de Presse. Vous savez, un ministre est là pour résoudre les problèmes qui se posent, mais je ne veux pas trop réguler.

d’Land: Le Fonds de soutien à la production audiovisuelle vient de voir son budget augmenter de manière substantielle, de 4,5 à 6,5 millions d’euros pour cette année – avec quel objectif?

Jean-Louis Schiltz: Le budget du Fonds a stagné pendant des années, il avait même baissé au début de la législature. Il était devenu urgent de revoir ses moyens à la hausse. Je considère que l’industrie du cinéma luxembourgeoise a prouvé qu’elle sait faire des films de qualité, qui peuvent tout à fait circuler internationalement. En plus, il y a plusieurs jeunes réalisateurs, je pense à des gens comme Max Jacoby ou Béryl Koltz, qui ont le potentiel de percer vraiment sur le plan international. Il faut soutenir ces talents, tout comme les 300 ou 400 personnes qui vivent du secteur audiovisuel.

d’Land: Lors de votre entrée en fonction, vous avez tout de suite attaqué la réforme de la législation sur les aides à la production audiovisuelle. Qu’est-ce que cette réforme à apporté jusqu ‘à présent?

Jean-Louis Schiltz: En 2005, le secteur audiovisuel avait de sérieuses difficultés: une société a fait faillite, d’autres n’en étaient pas très loin, notre cadre législatif sur les "certificats audiovisuels" n’était plus du tout compétitif par rapport à la concurrence européenne. Il nous fallait donc agir vite, et je crois pouvoir dire qu’après cette réforme, le Luxembourg est à nouveau attractif comme lieu de tournage et de coproductions. Le système à points que nous avons introduit a donné une certaine liberté d’action aux producteurs, tout en garantissant une implication nationale et des retombées pour notre économie de cette activité. Un premier bilan de la nouvelle loi sera fait avec l’Ulpa, l’union des producteurs, à la fin de l’année.

d’Land: Qu’en est-il de la "Cité du cinéma", qui devait se construire à Dudelange, une collaboration entre l’Ulpa et l’État? Va-t-elle se faire?

Jean-Louis Schiltz: Oui, elle sera construite! Actuellement, le problème est que la Cité se partagera le site à Dudelange avec d’autres activités, notamment la construction de logements par le Fonds de logement. Je viens d’envoyer une lettre au ministre du Logement, Fernand Boden, lui demandant s’il voit des obstacles pour avancer la construction de la Cité du cinéma par rapport aux reste du projet. J’attends sa réponse. 

Source: Lëtzebuerger Land, 24 avril 2009, Josée Hansen