Je prépare déjà l’après-crise

Entretien avec le ministre du Trésor et du Budget, Luc Frieden, sur tous les sujets d’actualité liés à la place financière Le poids considérable de la place financière dans l’économie luxembourgeoise et dans la croissance de sa richesse n’est plus à démontrer. En ces temps pour le moins troubles pour le secteur financier mondial, une (longue) rencontre avec Luc Frieden, le ministre du Trésor et du Budget, permet de remettre tout en perspective. Entretien tous azimuts. Journaliste Léonard Bovy, La Voix du Luxembourg

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la place financière en 2008 et sa capacité à résister à la crise financière? 

L’année 2008 a été une année tout à fait exceptionnelle, une excellente année pour la place financière jusqu’au dernier trimestre où la crise en provenance des Etats-Unis a frappé l’Europe et donc le Luxembourg de manière extrêmement rapide et brutale. Je crois que la place financière a néanmoins réussi à bien résister. D’abord parce que pour deux grandes banques de détail, l’Etat a agi rapidement et efficacement, et ensuite parce que les banques luxembourgeoises semblent avoir été moins impliquées dans des produits financiers risqués que d’autres banques à l’étranger. 

Les résultats de l’exercice 2008 des banques devraient être mauvais. Le confirmez-vous? 

C’est trop tôt pour le dire puisque les banques vont présenter leurs résultats dans quelques semaines. Cependant, je crois qu’il n’est pas anormal que ces résultats soient moins bons en 2008 et 2009 qu’ils ne le furent dans le passé. L’essentiel c’est que le système bancaire continue à financer, à bien financer, c’est cela l’intérêt premier de l’Etat. Mais 2008 sera encore relativement acceptable. 

Les banques jouent-elles encore réellement leur rôle, notamment en matière de prêts aux citoyens et aux entreprises? 

Les banques ont un rôle très important à jouer dans notre société et si nous sommes intervenus si massivement et de façon tout à fait exceptionnelle au dernier trimestre 2008, c’était non pas pour sauver les entreprises bancaires en tant que telles mais afin de veiller à ce que le système financier continue d’exister dans l’intérêt des particuliers et des entreprises parce que c’est à travers les banques que les gens reçoivent des crédits, peuvent faire fructifier leur épargne pour faire des investissements ou préparer leur retraite. 

Je crois qu’en général au Luxembourg, les banques remplissent leur fonction en matière de crédit. Il est évident qu’elles sont devenues plus prudentes dans la mesure où l’octroi de crédits se fait dans le cadre d’une saine gestion de l’argent qu’elles gèrent. Mais, en général, les banques n’ont pas refusé les crédits aux particuliers ni aux entreprises. Il semble néanmoins, et ce n’est pas anormal, que les demandes aient diminué au cours du dernier trimestre. Je crois aussi que la baisse des taux devrait aider à faire redémarrer cette demande au Luxembourg et nous encourageons les banques à continuer à jouer ce rôle traditionnel qui consiste à accorder des crédits et à gérer l’argent qui leur est confié.
Un retour vers leur métier de base donc? 

Je crois en effet qu’il y a un repli des banquiers vers leurs fonctions traditionnelles. Cependant beaucoup de clients ont souhaité avoir des rendements beaucoup plus élevés, ce qui a encouragé le développement de tout un système avec des produits plus compliqués et des rendements plus élevés. J’espère que l’une des leçons de cette crise sera que le comportement de tout un chacun soit à nouveau plus responsable et plus éthique. 

Pensez-vous comme certains que le pire de la crise est à venir en 2009? 

Non. Je ne crois pas que la situation changera substantiellement; les Etats ont fait ce qu’il fallait pour montrer aux gens qu’ils pouvaient avoir confiance dans le système bancaire. Evidemment, nous sommes dans une situation très difficile puisque, pour la première fois, nous sommes dans une crise globale où tout est inter-dépendant. Les actions étatiques ne conduisent à des résultats que si elles sont coordonnées. Si l’Europe, les Etats-Unis et d’autres .grands acteurs économiques travaillent dans la même direction, le système bancaire peut retrouver rapidement son rôle et son bon fonctionnement. L’année 2009 sera très difficile mais je suis convaincu que le système financier survivra à cette crise comme il a survécu à d’autres. 

Vous parliez des différentes actions étatiques à l’échelle internationale. La Belgique étudie actuellement un plan d’aide à son secteur bancaire. Le gouvernement luxembourgeois envisage-t-il actuellement un tel plan ou pourrait-il participer à un plan belge vu l’interaction entre les acteurs bancaires dans les deux pays? 

Non… 

Aucun plan? 

Non. Pour nous ce qui importe et qui reste l’objectif du gouvernement, c’est qu’aucune des banques avec lesquelles les Luxembourgeois entretiennent une relation ne puisse tomber en faillite. Notre intérêt c’est de veiller au bon fonctionnement du système bancaire et à la protection de l’épargne des citoyens et des entreprises. 

S’il fallait agir pour sauver à nouveau une banque dont la disparition provoquerait un effet systémique au Luxembourg, le feriez-vous? 

Je vous ai décrit l’objectif du gouvernement, nous avons démontré notre capacité à agir. Mais il est étonnant qu’après chaque intervention étatique les gens disent «à quand la prochaine intervention?». Je crois que cette crise, nous la dépasserons, je prépare déjà l’après-crise. Nous avons agi rapidement, il n’y a pas aujourd’hui nécessité à agir à nouveau. Tant Dexia que BGL sont des banques stables où l’épargne est bien protégée; nous suivons ces dossiers 24 heures par jour et les ajustements seront faits là où ce sera nécessaire pour ces banques comme pour d’autres, mais nous souhaitons que les activités normales reprennent. C’est déjà le cas et j’ai pleine confiance que d’ici douze mois l’économie fonctionnera à nouveau de manière normale. 

Différentes sources indiquent que l’emploi dans le secteur financier est en nette régression. Est-ce une réalité? 

La situation est extrêmement difficile; je rappelle que notre place financière est très internationale et donc ce qui se passe à l’étranger, y compris au niveau des maisons mères, a une incidence sur le Luxembourg et dans une situation économique difficile, chacun essaie de réduire ses coûts pour survivre et pour être bien positionné dans le futur. Dans ce contexte, tous les frais y compris ceux de personnel doivent parfois être réduits, aussi au niveau des filiales et y compris au Luxembourg. Je crois que l’emploi n’augmentera pas en 2009 dans les banques, mais à ce jour nous n’avons pas d’informations selon lesquelles il y aurait une réduction substantielle de l’emploi. 

Vous suivez de près les travaux de la commission parlementaire spéciale «Crise économique et financière». Quelles premières conclusions peut-on déjà dégager? 

Il est beaucoup trop tôt pour tirer des conclusions des travaux de la commission. Moi-même je n’ai pas encore été entendu, c’est prévu début mars. La commission pour l’instant se fait une image de ce qui se passe sur la place mais elle s’occupe plus spécialement de l’économie en général. En outre, il appartient aux députés et non au gouvernement de tirer des conclusions. 

Le président de la commission, Lucien Thiel, a déjà indiqué qu’il faudrait clarifier certains textes législatifs, notamment quant à la responsabilité de la banque dépositaire, responsabilité mise en lumière avec l’affaire Madoff; en outre, le patron d’une banque, auditionné par la commission, a indiqué que le Luxembourg ne pourrait plus faire cavalier seul vu l’évolution de l’harmonisation et de la réglementation européenne. Qu’en pensez-vous? 

Je réfute catégoriquement l’impression ou l’affirmation que le Luxembourg fait .cavalier seul. Nous sommes un membre fondateur et un moteur de l’intégration européenne notamment dans le domaine du marché unique des services financiers. Nous appliquons l’ensemble des textes en la matière et les transposons dans le respect du droit communautaire. Il est vrai que dans le domaine économique et dans le respect des textes européens, nous souhaitons utiliser toutes les options qui sont ouvertes par les directives pour que les acteurs internationaux qui viennent à Luxembourg s’y retrouvent plus facilement puisque c’est le marché international et non luxembourgeois qui les intéresse. Nous avons une attitude que je qualifierais de favorable au développement économique, avec des décisions rapides et proches des besoins des acteurs économiques mais en aucun cas contraires aux règles européennes. Le Luxembourg fonctionne parce qu’il croit au marché unique des services financiers et veille à ce qu’il fonctionne alors que d’autres protègent plutôt leur marché national. 

Quels sont les chantiers que vous mettrez en œuvre en 2009 pour développer la place financière? 

Notre priorité en 2009 c’est de veiller à ce que les plans de sauvetage, élaborés lors du dernier trimestre 2008, soient mis en œuvre. C’est un travail quotidien, énorme, puisque je suis en contact quasi quotidien avec les dirigeants des grandes banques luxembourgeoises. En outre, nous avons mis en place, au cours des dernières années, bon nombre de nouvelles législations – le fonds d’investissement spécialisé, la holding familiale, les nouvelles réglementations sur les SICAR, les banques d’émission de lettre de gage, le blanchiment – et tout cela doit maintenant être mis en place. Il n’y aura donc pas de nouvelles initiatives législatives pour la place financière au cours du premier semestre 2009. A une exception près: nous sommes en train de discuter, avec le secteur financier et au sein du ministère, du nouveau système de garanties des dépôts pour les épargnants. Depuis le ler1 er janvier, la garantie des dépôts est en effet de 100.000 euros par client par banque et l’augmentation du seuil de 20.000 à 100.000 euros nécessite des aménagements au niveau de l’organisation de ce système. C’est donc là un chantier sur lequel nous travaillons en 2009. Finalement, je rappelle qu’en 2009 la réforme fiscale prend effet et donc les banques ont vu leurs charges fiscales réduites de 1 % au niveau de l’impôt tout comme les salariés des banques ont vu leurs charges fiscales diminuer.

Propos recueillis par Léonard Bovy , La Voix du Luxembourg, 23 Janvier 2009