Avec neuf soldats en mission sur place, le Ministre de la Défense est attentif au dossier afghan. L’envoi de renforts n’est pas à l’ordre du jour mais il souhaite poursuivre l’effort de pacification. Pour Jean-Louis Schiltz, le transfer de gouvernance prendra du temps en Afghanistan.
Le Quotidien: Quel regard portez-vous sur la situation actuelle en Afghanistan?
Jean-Louis Schiltz: II ne faut pas oublier les avancées réalisées. En 2001, la population afghane a été libérée du régime taliban. À l’époque, aucune fille et pratiquement pas de garçons ne fréquentaient l’école. Aujourd’hui, six millions d’enfants vont à l’école, dont un tiers de filles. Des routes ont été construites, il y a eu des progrès dans le domaine de la santé avec 83 % de la population qui a accès aux soins contre 8 % en 2001.
Le Quotidien: Mais les attaques des talibans se multiplient…
Jean-Louis Schiltz: Il faut savoir que toute une série de régions du pays sont stables. Tous les printemps, tous les hivers, on nous annonce des grandes offensives des talibans. Elles ne sont toujours pas venues. Aucun succès militaire durable n’a d’ailleurs été remporté par les talibans. Il est essentiel que le Pakistan, plutôt que de continuer à être une partie du problème, devienne une partie de la solution.
Le Quotidien: Comme d’autres pays, seriez-vous tenté de renforcer le contingent national sur place?
Jean-Louis Schiltz: La réponse est clairement non. Pour des raisons évidentes de capacité, eu égard à la taille du pays, nous ne pouvons pas faire plus. Je tiens à préciser que la présence militaire sur place est indispensable. Mais, à terme, la solution ne sera pas militaire. Le gouvernement luxembourgeois prône, depuis des années, une approche qui combine moyens de développement et de défense. Les Afghans doivent notamment eux-mêmes s’attaquer, de façon plus prononcée et sur tout le territoire, au fléau de la corruption.
Le Quotidien: Plus le temps avance, plus ces objectifs ne vont-ils pas devenir difficiles à atteindre?
Jean-Louis Schiltz: Cela fait sept ans que les gens ont retrouvé la liberté, que les femmes ne sont plus considérées comme des sous-êtres. Depuis 1979, le pays est en situation de conflit. Il y a donc une longue période d’instabilité et d’insécurité derrière nous. Pour moi, c’est ce qui explique le fait que l’on ne réussisse pas à faire les choses rapidement. Les victimes civiles ne contribuent pas à instaurer un climat de confiance avec la population. Il y a à mon sens un effort substantiel à faire là-dessus.
Le Quotidien: Comment?
Jean-Louis Schiltz: D’abord en évitant les victimes civiles. Ensuite, en impliquant davantage les autorités et la population afghane dans le processus, notamment dans la fouille des maisons à la recherche des rebelles. Il faut que la population accepte la présence de la communauté internationale et ça passe par le biais d’autres résultats dans la reconstruction. Il faut investir ce que l’on fait, dans tous les efforts de développement.
Le Quotidien: N’y a-t-il pas aussi un vrai problème à régler entre les ethnies elles-mêmes, à la limite de la guerre civile?
Jean-Louis Schiltz: Il est un fait que, si vous regardez les zones tribales, à la frontière pakistananaise, la situation est très compliquée. Quant à la question de savoir s’il y a ou non guerre civile, je ne me laisserai pas entraîner sur le terrain d’un débat sémantique.
Le Quotidien: Ne considérez-vous pas tout de même que la teneur du conflit a évolué?
Jean-Louis Schiltz: L’objectif reste le même pour la communauté internationale: c’est de contribuer à la stabilisation de l’Afghanistan. Pourquoi s’attache-t-on à mettre en place une armée afghane? Quand les Afghans pourront eux-mêmes assurer leur sécurité, la présence militaire internationale n’aura plus de raison d’être. Actuellement, l’armée afghane compte 70.000 hommes et mène toute une série de missions sur le terrain. Il faudrait un développement similaire dans la cadre de la police afghane.
Le Quotidien: Après 2001, l’Afghanistan est devenu le premier producteur mondial de pavot. Comment résoudre ce problème?
Jean-Louis Schiltz: L’un des aspects négligés en Afghanistan est le développement de l’agriculture. La culture de la drogue s’est développée. Si nous voulons des succès durables, il faut donc investir dans l’agriculture. C’est en train de se traduire dans les faits.
Le Quotidien: Cet exemple montre la complexité des interventions à l’étranger. Ailleurs, comme au Tchad, ne cautionne-t-on pas des régimes qui bafouent les droits de l’Homme?
Jean-Louis Schiltz: Dans la mesure où nous pouvons, avec des moyens militaires, sécuriser une région et rendre possible, le travail des humanitaires, la logique veut que nous participions à cette mission. À condition de s’insurger contre ce qu’il s’y passe. Alors certes, les modèles démocratiques européens ne sont pas transposables un à un, sans tenir compte des spécificités et traditions locales, mais il y a toujours des éléments de base que vous devez retrouver dans tout système comme, par exemple, la séparation entre l’exécutif et le judiciaire, le droit à l’opposition ou une presse libre.
Ils sont 23 au Kosovo
Avec neuf militaires, la mission afghane n’est pas, en termes de contingent, la plus importante du Grand-Duché. Il faut se tourner vers le Kosovo pour trouver la représentation la plus forte. En effet, ils sont aujourd’hui 23 à œuvrer au sein de la KFOR, une mission entamée en 2000. Au Tchad, où l’épineuse question du Darfour ne cesse d’alimenter la rubrique faits divers, un officier et un sous-officier assurent la présence luxembourgeoise dans les rangs de l’Eufor. L’actualité de l’armée nationale à l’étranger se décline sur trois autres terrains : la Bosnie-Herzégovine (un sous-officier), la République démocratique du Congo (un sous-officier) et le Liban (un personnel du service de santé).
– Les Américains bien sûr. On estime aujourd’hui à plus de 70000 hommes la présence militaire en Afghanistan. Le contingent américain représente, évidemment, le groupe le plus important avec 32 000 soldats déployés aux côtés des 40 000 militaires des forces internationales. Ce nombre devrait augmenter en 2009, du fait de la recrudescence d’insurrections des talibans. À titre de comparaison, la présence française s’élève à 3 300 têtes. Elle devrait aussi être renforcée.
– En contact permanent. Le lieutenant-colonel Grisius est l’un des officiers luxembourgeois les plus expérimentés. En dehors de l’Afghanistan, la frontière serbocroate, en 1992 et 1993, et Sarajevo en 1997 sont autant de lieux qui figurent sur son CV. Aujourd’hui, à raison d’un coup de fil par semaine et d’un courriel quotidien, il est en contact permanent avec le lieutenant Rohen en Afghanistan.
Source: Le Quotidien, Bertrand Slézak, 27. 9. 2008