La Constitution luxembourgeoise est actuellement soumise à un vaste travail de révision. L’objectif n’est autre que de dépoussiérer ce texte datant de 1868 et dont le contenu détermine les relations entre gouvernants et gouvernés. Et afin de réaliser ce travail, une commission parlementaire a été mise sur pied, une commission dont la présidence est revenue à l’ancien membre du Conseil d’Etat, le député Paul-Henri Meyers, considéré comme un spécialiste de la Constitution luxembourgeoise. Alors que les travaux touchent à leur fin, Paul-Henri Meyers revient sur les enjeux de la révision de ce texte qui n’est autre que la loi fondamentale de l’Etat de droit luxembourgeois. Entretien avec Nicolas Anen de la Voix du Luxembourg
Pourquoi une révision constitutionnelle s’est-elle avérée nécessaire?
Ce n’est pas une nécessité absolue, mais il ne faut pas oublier que notre Constitution date de 1868 et qu’elle reprend dans les grandes lignes celle de 1848, qui correspond à son tour à la Constitution belge écrite dans les années 1830. A l’époque, c’était une Constitution très moderne, mais depuis, les idées, les expressions et les liens entre les institutions n’ont cessé d’évoluer. D’ailleurs notre Constitution a été évaluée par I’ONU comme une Constitution n’étant plus assez moderne, car si on la lit, on peut effectivement se poser la question si le Luxembourg est une démocratie ou une monarchie où le Grand-Duc aurait d’importants pouvoirs, ce qui n’est vraiment pas le cas.
Une deuxième raison réside dans le fait que la Constitution a déjà été modifiée de nombreuses fois depuis 1868 et surtout dans le courant de ces dix dernières années. On constate alors que les articles ne sont plus toujours adaptés les uns aux autres. Parfois on se dit qu’il n’y a plus de cohérence. C’est pourquoi il faut un ordonnancement nouveau des articles. Car une Constitution ne se lit pas article par article mais doit former un tout cohérent.
Enfin, une troisième raison réside dans le fait qu’aussi bien la commission de la révision constitutionnelle, que le gouvernement et la Cour grand-ducale étaient d’avis qu’un certain nombre de dispositions doivent être changées. Par exemple, le Grand-Duc lui-même, dans son discours face à la Chambre nouvellement constituée, a dit qu’il serait temps que les dispositions concernant la succession au trône soient changées et que l’égalité homme-femme y soit introduite. Et si l’on veut faire cela, il faut changer la Constitution. Le droit de succession doit y être intégré, actuellement il est dans leur pacte de famille. Mais c’est difficile de coincer quelques nouveaux articles, il vaut alors mieux réécrire tout le chapitre.
Outre la succession au trône, quels sont les autres changements marquants?
Il y a par exemple un article, l’article 32, qui dit que la souveraineté réside dans la nation. Dans l’alinéa suivant on peut lire «elle est exercée par le Grand-Duc, conformément à la Constitution». A lire cela, on pourrait croire que le Grand-Duc a les pleins pouvoirs, ce qui n’est vraiment pas le cas. En Belgique, cela a déjà été modifié. Ils ont enlevé le terme «roi» et ont mis «la souveraineté est exercée conformément à la Constitution et aux lois». Nous avons procédé à plusieurs modifications allant dans ce sens.
Peut-on parler d’un changement fondamental?
Une personne qui a lu ma version m’a dit que ce n’est pas un tremblement de terre. Mais il y a beaucoup d’adaptations qui ont été faites. Il faut dire aussi que beaucoup de dispositions ont été bien formulées dès l’origine. Je pense par exemple à tout ce qui est relatif aux droits fondamentaux. Certains ont déjà été adaptés comme l’article 11 où il est question de l’égalité des sexes, de l’environnement, du droit de travail, etc. On touchera relativement peu à ce chapitre.
Les modifications concernent plutôt les relations des institutions entre elles et le rôle du Grand-Duc. On ne lui enlève rien, on adapte juste à la réalité d’aujourd’hui. Le Grand-Duc doit être au-dessus des institutions, ce qu’il fait d’ailleurs et ce qui est le cas depuis la Grande-Duchesse Charlotte. Et cela, il faut aussi que ce soit exprimé dans la Constitution.
Et concernant le gouvernement?
Des précisions seront apportées quant au rôle à jouer par le gouvernement, que c’est lui qui dirige la politique générale. Ce sont des éléments qui ne sont pas encore dans la Constitution actuellement. Il y aura aussi un article sur la responsabilité des ministres. C’est le gouvernement lui-même qui a proposé cela.
La Constitution est un texte fondamental. Y a-t-il eu des oppositions idéologiques lors des discussions en commission?
Globalement, il y a un grand consensus. Il y a eu l’article sur la langue luxembourgeoise dont nous avons discuté durant plusieurs réunions. Mais il faut savoir qu’en tant que président de la commission j’avais préparé une version et que nous avons discuté sur la base de ces travaux. Et cette version s’inspire largement de la Constitution actuelle.
Ces modifications auront-elles une incidence concrète dans la vie quotidienne?
Non. Il y a un texte gouvernemental qui nous a posé problème sur l’initiative en matière populaire. Ce texte prévoit que si un certain nombre de citoyens, 10.000 si je me souviens bien, font une proposition de loi, la Chambre doit se pencher dessus et exprimer un avis à son propos. Or, ce n’est pas possible actuellement, car la Constitution ne le prévoit pas.
Il y a aussi le problème de référendum qui doit être réglé. Avant le référendum sur la Constitution européenne, le Parlement avait proposé que les étrangers habitant au Luxembourg puissent aussi participer au vote. Mais le Conseil d’Etat a dit que ce n’était pas possible, seules les personnes qui élisent les députés pouvant participer au référendum. C’est aussi une disposition qui sera changée et qui aura une influence directe pour les citoyens puisqu’ils auront des droits supplémentaires. Toutes les dispositions ne seront bien entendu pas inscrites dans la Constitution, elle ne garde que le principe. Il faudra ensuite une loi pour les modalités concrètes. Pour revenir à la question, il n’y aura donc pas de conséquences directes pour le citoyen dans sa vie quotidienne, mais il aura de nouveaux droits.
Quand les travaux arriveront-ils à leur fin?
Nous avons passé en revue la plupart des articles. Nous reviendrons encore une fois sur la question de la langue, mais je pense qu’il n’y aura pas de problème à ce niveau. Je l’espère en tout cas. […]
Personnellement, je souhaite que l’ensemble soit adopté, car une Constitution c’est un ensemble qui doit être cohérent. Et même s’il n’y a pas de grande révolution, je pense qu’elle peut être adoptée sous la forme qu’elle a actuellement. J’espère que nous finirons les travaux d’ici à la fin de l’année et que nous déposerons le texte dans les trois mois à venir, sauf imprévu. Je ne pense pas que le texte sera adopté avant les élections, mais cela donnera l’occasion aux partis de s’exprimer dessus lors la campagne électorale.
Propos recueillis par Nicolas Anen
Source: La Voix du Luxembourg