Les agricarburants ou la guerre des réservoirs pleins et des estomacs vides

On a de la peine à croire qu’au début de ce siècle notre monde se voit confronté à un scandale honteux, à savoir la faim dans le monde. Et ceci à une époque de la conquête spatiale et de l’accroissement du nombre de milliardaires. Avec quelques milliards de dollars on pourrait facilement éradiquer ce fléau moyenâgeux qui frappe les plus démunis de ce monde, vivant dans la zone Sahel, en Amérique Latine et dans le Sud-est de l’Asie. Une tribune libre de Monsieur Marcel Oberweis, Député du CSV

 Il nous faut avouer, que presque un milliard de nos concitoyennes et concitoyens souffrent de faim ou de malnutrition. En consultant les statistiques de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation, (FAO), on constate qu’il existe en valeur absolue autant d’affamés aujourd’hui qu’il y a quinze ans. Et pire encore, ce sont les même individus qui manquent d’eau potable et d’installations sanitaires propres. 

Il est indéniable, l’augmentation fulminante des prix du pétrole et des carburants, des engrais et de pesticides a provoqué des bouleversements dans les pays en voie de développement. D’une part on note une culture forcée d’agricarburants permettant aux riches de ce monde de bien mouvoir encore leurs voitures, tandis que des centaines de millions d’individus se voient privés de nourriture, on parle couramment de réservoirs pleins de carburants et d’estomacs vides des plus démunis du monde. 

Le boom des agricarburants a commencé au début de 2007 et les répercussions se font remarquer partout dans le monde. Puis-je rappeler la révolte de la population pauvre au Mexique qui a vu une grande partie de la récolte de maïs exportée vers les Etats-Unis, afin que celui-ci y soit transformé en agricarburants. Et les émeutes en Haïti, au Burkina Faso, en Indonésie, au Sénégal, en Ethiopie et en Egypte, n’a-t-on pas vu des milliers de gens se battant pour une bouchée de nourriture ? 

Afin de mieux comprendre le problème, en voici les définitions entre les termes faim et famine. La faim est une expérience individuelle et elle désigne le phénomène de malnutrition mondiale. La famine représente une expérience collective, d’un peuple ou d’une région. La famine signifie un manque total de nourriture entraînant à court terme la mort. D’après la FAO, on estime le nombre de calories par jour et par personne nécessaire à la santé et au bon développement d’un adulte à 2400. La moyenne de consommation en Europe se chiffre à 3500 et elle chute à 1500 à 2000 en Afrique subsaharienne. 

Certes, les agricarburants pourraient aider à réduire la dépendance des énergies fossiles et en aval améliorer la situation en matière de changement climatique, mais en raison des estomacs vides, la production d’agricarburants se trouve au collimateur de la politique énergétique mondiale. Des milliards Euros sont investis dans la construction de raffineries pour transformer de l’huile de palme, du maïs, du colza, de la canne à sucre, des betteraves, du blé et du soja en agricarburants e.a. l’éthanol et le biodiesel. En aval de la production d’agricarburants, l’augmentation des prix du blé est de 130 %, du soja de 87 %, du riz de 80 % et du maïs de 60 % durant l’année passée, entraînant la misère de 2,5 milliards d’individus vivant dans une extrême pauvreté. Mais on ne serait pas honnête en n’inculpant que les agricarburants, il y en a encore d’autres raisons. 

N’oublions pas que durant les dernières décennies, les prix des matières premières agricoles se trouvaient sur un niveau extrêmement bas. On a pratiqué une politique visant même à réduire la production pour diminuer les excédents de céréales. L’investissement dans l’agriculture européenne a été très faible. On doit l’avouer, la politique agricole a même réduit à néant l’agriculture des pays en voie de développement. L’Union européenne et les Etats-Unis ont ensuite vendu leurs surplus à très bas prix grâce à des subsides dans ces pays en créant des mendiants et des affamés notamment en Afrique. 

La demande accrue des agricarburants entraîne de dangereuses conséquences tant sur le plan écologique que sur le plan social dans les pays producteurs comme l’Indonésie, la Malaisie et le Brésil. Qu’on se rend compte, la culture des plantes énergétiques entre en concurrence avec la production de denrées alimentaires. La surutilisation des sols demande une irrigation accrue et un usage fort élevé de pesticides et engrais. Une fois la production d’agricarburants achevée, il ne reste que de terres non fertiles. 

Notons bien que d’après l’Agence Internationale de l’Energie, environ 15 % de la superficie des terres cultivables de l’Union européenne seraient nécessaires pour la culture du produit de base si l’on voulait substituer 5 % des agricarburants à l’essence et au Diesel. 

Sur des surfaces agricoles des pays en voie de développement disponible pour la production d’aliments comme le riz, le maïs et les haricots pour une population pauvre croissante, on s’adonnera à la culture des agricarburants destinés finalement dans les réservoirs d’automobiles des pays industrialisés – des réservoirs plein contre des estomacs vides. Pire encore, les peuples indigènes voient leurs lopins repris par des conglomérats anonymes et sont chassés vers les villes, y augmentant le nombre d’individus auxquels on avait promis par les objectifs du développement millénaire de résoudre le problème de famine jusqu’en 2015. 

Afin de rétablir cette situation peu propice pour l’économie des pays en voie de développement, on pourrait envisager de donner un accès plus facile à la terre et à l’eau aux petits producteurs en vue de favoriser une certaine autonomie et la production d’agricarburants suivie de la vente à prix rémunérateur qui revivrait l’économie locale. 

« Il serait économiquement absurde de consacrer beaucoup d’énergie à travers l’usage intensif d’engrais pour produire de l’énergie », souligne Michel Griffon, responsable du département agriculture et développement durable de l’Agence nationale de la recherche en France dans le Monde du 2 avril 2007. « En effet les engrais azotés sont essentiellement issus du gaz naturel, dont les prix vont augmenter. Les phosphates sont des roches fossiles et leur mise à disposition dans les exploitations agricoles représente un coût important de transport. »
Tant que les producteurs d’agricarburants des pays développés reçoivent des subventions et se trouvent protégés par des tarifs douaniers élevés, il n’existe pas de moyen efficace rendant possible la vente d’agricarburants de la part des pays en voie de développement. Afin de remédier, il faut de nouvelles normes au commerce international pour que les richesses mondiales soient plus équitablement réparties, réduisant en aval le nombre de victimes de la faim. 

Un fait retentissant dans cette discussion reste le problème de la sécurité alimentaire car les prix des denrées alimentaires augmenteront du fait de la concurrence entre les terres consacrées à la production alimentaire et celles utilisées pour les agricarburants. Certaines plantes tropicales sont mieux adaptées à la culture sur des zones dégradées pouvant être utilisées à des fins d’agriénergie comme le buisson Jatropha. Ses graines donnent une huile qui peut être convertie en biodiesel. La production d’agricarburants dans les pays en voie de développement pourrait apporter des bénéfices concrets aux communautés rurales, augmenter l´accès à l´énergie autochtone, réduire la dépendance énergétique et participer à la lutte contre les changements climatiques. 

Si le monde veut continuer la politique énergétique actuelle, il nous faut deux planètes pour bien remplir les estomacs et les réservoirs de carburants et en plus préserver l’avenir de la biodiversité. 

« La crise alimentaire constitue une menace bien plus dangereuse que celle du terrorisme, elle conduit les gens à douter de leur propre dignité d’être humain » c’est avec ces mots que Ban Ki Moon a bien illustré la tragédie devant nos portes et auquel nous devons porter toute notre attention et des moyens financiers considérables, car il y va de la dignité humaine.

Dr.-Ing. Marcel Oberweis, Député du groupe parlementaire du CSV , 16 mai 2008