Le président François Biltgen livre ses réflexions au Quotidien avant le congrès du CSV du samedi, 17 novembre 2007. “Le CSV n’est pas seulement un parti pour les chrétiens : nous avons dans nos rangs des gens qui ont une autre religion ou qui n’en ont pas du tout. Mais il reste un parti qui se base sur les valeurs chrétiennes. Cela reste un véritable défi.”
Le CSV est l’un des derniers grands partis européens à porter le C pour chrétien dans son sigle. Dans une société multiculturelle, n’est-il pas envisagé de suivre l’exemple du voisin belge devenu CDH, Centre démocrate humaniste?
Nous conserverons le C, car c’est conforme à l’évolution du CSV. C parce que nous sommes un parti chrétien, ce qui ne veut pas dire que nous sommes un parti religieux et certainement pas un parti soumis à l’Église. Il fut un temps, à l’époque du «parti de droite», où des liens plus étroits ont existé. C’est terminé, au plus tard depuis le synode de Luxembourg (NDLR : 1972). L’Église, le Luxemburger Wort et le parti qui, dans le temps, étaient fort proches ne se sont pas divisés, mais ont suivi des évolutions différentes. Le CSV n’est pas seulement un parti pour les chrétiens : nous avons dans nos rangs des gens qui ont une autre religion ou qui n’en ont pas du tout. Mais il reste un parti qui se base sur les valeurs chrétiennes. Cela reste un véritable défi.
On reproche au CSV de freiner des deux pieds en matière de politique sociétale. Le CSV est-il un parti conservateur?
Nous sommes un parti conservateur, dans le sens où nous respectons des valeurs et des principes. Des principes que nous n’hésitons pas à interpréter. Par exemple, dans notre programme fondamental, nous affirmons que le mariage est le pilier fondamental pour bâtir une famille. Mais nous disons aussi que là où il y a des relations entre des personnes, y compris lorsqu’elles sont du même sexe, mais où nous retrouvons nos valeurs de solidarité et de responsabilité, il faut aussi les respecter et les reconnaître. C’est ce qui nous a amenés à voter les lois sur le partenariat.
Que recouvre le vocable «progressiste»? N’est pas automatiquement progressiste tout ce qui est dans l’air du temps. Il faut savoir respecter ses valeurs, tout en les déclinant pour les adapter à un environnement en perpétuel changement. C’est le défi qui se pose au CSV.
Le magazine Woxx a réuni une table ronde {où vous n’étiez pas invité) pour débattre d’un gouvernement sans le CSV. La question se pose-t-elle?
Évidemment que la question peut être posée. Pour former une majorité gouvernementale, il faut disposer d’une majorité. Le CSV est de loin le parti le plus important, mais il ne dispose pas d’une majorité absolue. Il est donc théoriquement possible de former une majorité contre le CSV.
Il ne faut pour autant pas perdre de vue les traditions politiques. Au Luxembourg, on ne forme pas une coalition avant de connaître l’issue du scrutin. En 1974, le CSV, au vu des résultats, a décidé d’aller dans l’opposition. En 1979, DP et LSAP souhaitaient poursuivre leur coalition, ils ont dû tenir compte de la victoire massive du CSV qui est revenu au gouvernement.
Lors de la législature précédente, nous avons fait une bonne politique avec les libéraux, mais le DP a perdu les élections et nous avons changé de partenaire. Ce qui est nouveau, c’est que des partis se réunissent pour dire – les uns plus discrètement, les autres tel Déi Gréhg de façon plus directe – quel que soit le verdict de l’électeur, l’important c’est de rejeter le CSV dans l’opposition. Même si nous faisons plus de 35 %, nous ne serions pas au gouvernement? L’électeur doit le savoir!
Le passage dans l’opposition (comme de 1974 à 1979) ne constituerart-il pas une cure de jouvence?
Cet exercice, il faut le faire si l’électeur le veut ainsi. En 1974, le signal était clair. Mais je ne conçois pas que l’on puisse d’un coup décréter que le CSV est suffisamment longtemps au pouvoir pour aller de facto dans l’opposition. Si c’est le cas, alors les élections seraient inutiles. C’est bien cela qui me dérange le plus dans la campagne menée actuellement contre le CSV : certains annoncent des décisions sans attendre que l’électeur se soit prononcé. 18 mois avant le passage aux urnes, les conséquences du résultat du scrutin seraient déjà connues d’avance!
Marie-Josée Frank, sur la question de l’euthanasie, a eu beaucoup de soutien de la part des militants de base. Le parti peut-il, sur une question aussi importante, ne pas donner un mot d’ordre clair à ses députés?
L’homme doit être capable d’avoir une attitude réservée par rapport à d’autres hommes, sans doute plus particulièrement sur cette frontière entre la vie et la mort. D’un point de vue chrétien, il est très difficile de concevoir qu’un homme ait droit de vie ou de mort sur un autre être humain, ou envers soi-même.
Le CSV s’est toujours battu pour la dignité humaine. Le projet de loi présenté par le gouvernement sur les soins palliatifs en tient profondément compte.
Ces soins ne se résument pas à la délivrance de médicaments contre la douleur, ils présupposent un accompagnement en fin de vie. Ce n’est pas suffisamment fait ni au Luxembourg ni ailleurs. Il y a des théories qui disent que si la Belgique et les Pays-Bas avaient introduit les soins palliatifs, ils n’auraient pas eu recours à leur législation actuelle sur l’euthanasie.
Autre point important du projet de loi : nous ouvrons le droit aux gens de refuser une prolongation artificielle de leur vie, dans le cadre d’une déclaration anticipée.
Le Conseil d’État est d’avis qu’avec ces mesures, nous atteignons de fait le même objectif que celui préconisé dans la proposition de loi Err/Huss. Ces députés font un pas de plus vers le droit aux gens de donner la mort, ce qui soulève un tas d’autres questions fondamentales. Donc il n’y a
pas lieu d’adopter la proposition Err/Huss. Le Conseil d’État dit que le projet de loi atteint les mêmes objectifs sans poser ces questions fondamentales. C’est aussi l’attitude du CSV. Elle est claire et nette.
En affirmant que ceux qui voteraient en faveur de l’euthanasie n’ont pas leur place au sein du CSV, Marie-Josée Frank s’est attiré les foudres du Premier ministre et du président du groupe parlementaire. Qu’en pense le président du parti?
Dans les questions de vie et de mort, l’homme devient très petit. Il faut, en la matière, savoir être très tolérant, respecter l’opinion d’autrui. C’est pour cela que sur ces questions le parti n’a jamais appliqué le Fraktionszwang, l’obligation de voter selon la décision du parti. Nos députés ont, par le passé, par exemple, lors de vote de motions et résolutions à la Chambre sur ce sujet, toujours exprimé une opinion commune. Mais même lorsque sur un tel point la décision à appliquer semble évidente, il ne peut être question de l’imposer d’en haut. Voilà ma compréhension de la tolérance chrétienne.
Tous les partis, hors le CSV, se prononcent pour le remplacement du cours de religion par un cours de valeurs éthiques dans les écoles. Un vote en ce sens à la Chambre créera-t-il une crise au sein de la coalition?
Ce serait très dangereux de vouloir provoquer un vote au Parlement sur une telle question. L’enseignement catholique a une très longue tradition au Luxembourg. Il ne repose pas simplement sur une loi, mais sur une convention avec l’Église catholique approuvée par le législateur. Mais on peut discuter de tout, je ne suis pas fermé à un débat sur l’enseignement de valeurs éthiques à l’école, je me rends d’ailleurs ce matin à la réunion des présidents de partis sollicitée par le président du LSAP, Alex Bodry.
Ce qui nous distingue fondamentalement des autres partis, c’est que nous affirmons que la religion n’est pas une affaire privée. Nous ne sommes pas pour un État laïque. Les religions peuvent être enseignées à l’école, à l’intérieur d’un cadre de valeurs qui ne cherchent pas à diviser. Les pays qui tiennent la religion hors de l’école ont leur lot de problèmes. Il vaut mieux avoir les religions à l’école, dans la société, intégrées dans un ensemble de valeurs communes. Oui, au cours des religions qui respectent les valeurs de l’État.
On a l’impression que c’est encore le CSV contre tous tes autres pour l’organisation des élections européennes qui, à Luxembourg, tombent avec les élections nationales, la solution ne consiste-t-elle pas à séparer les dates à travers une dissolution anticipée du Parlement national?
Non! C’est une fausse solution. D’une part, on dit que cette coïncidence des dates empêche un débat sur l’Europe. C’est faux : allez voir dans d’autres pays, où la campagne politique européenne sert le plus souvent à débattre de problèmes nationaux, où le scrutin sert trop souvent à des fins de revanche. Au Luxembourg, par contre, les résultats des deux élections sont différents, la preuve que l’électeur sait faire la différence. J’ai fait beaucoup de campagnes électorales : croyez-moi que les sujets européens y sont abordés. Ce qui dérange les gens, c’est qu’ils ne savent pas qui ils vont désigner pour les représenter au Parlement européen. On met des «locomotives» sur les listes, mais elles déclineront le mandat. Ce n’est pas en séparant la date du scrutin que ce problème sera résolu. La solution, ce sont des listes séparées. Sur ce point, c’est vrai, nous ne sommes guère suivis par les autres partis. Le CSV a décidé de ne plus jouer le jeu des doubles candidatures. En 2009, nous présenterons 66 candidats, 60 pour le Parlement national, 6 pour le Parlement européen. Personne ne figurera sur deux listes.
Ce sera clair pour les électeurs, même si nous sommes conscients que cela peut nous coûter un siège. Il faut savoir placer l’honnêteté pardessus des considérations de tactique électorale.
Pour rester en Europe, Jean-Claude Juncker est sollicité de toutes parts pour le poste de premier président au Conseil de l’Europe, non compatible avec un mandat national. .Le CSV lui accordera-t-il un «bon de sortie»?
Il y a une vieille règle : ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Jean-Claude Juncker l’a encore répété récemment : il est à la disposition de son parti. Point. Notre souci premier doit être de ratifier le traité, c’est loin d’être fait.
Il est beaucoup trop tôt pour complimenter Jean-Claude Juncker hors du pays, même si je comprends que certains ont intérêt à jouer à ce jeu. Rappelez-vous les élections de 2004 : jusqu’à la veille des élections, j’ai pu lire des articles qui disaient : vous verrez, Jean-Claude Juncker va partir. Il est resté.
Le temps viendra lorsqu’il faudra tout de même, sur le plan national, veiller à trouver un remplaçant à Jean-Claude Juncker. Le CSV se prépare-t-il, y a-t-il un dauphin désigné?
Lorsque ce jour viendra, on ne sera pas désemparés. Je me souviens, comme jeune secrétaire de fraction, de Pierre Werner qui a annoncé à un congrès national, subitement et avant des élections, qu’il ne serait plus candidat. Dans de brefs délais, le CSV lui a trouvé un successeur en la personne de Jacques Santer. Le CSV a toujours été capable de fournir au pays – lorsque les électeurs l’ont souhaité – un Premier ministre de qualité.
Cela s’est toujours passé sans déchirement à l’intérieur du parti. Je suis président du parti jusqu’en 2009, après les élections. Si la question devait se poser sous mon mandat, ce que je ne crois pas, n’ayez crainte, le CSV désignera sereinement le prochain Premier ministre.
Repères
François Biltgen est président du CSV. Au gouvernement, il occupe les fonctions de ministre du Travail et de l’Emploi, de ministre de la Culture, de l’Enseignement et de la Recherche et de ministre des Cultes.
1958. François Biltgen est né le 28 septembre 1958, à Esch-sur-Alzette. Il est marié et père de deux enfants. Son frère, Raoul (né en 1974) est écrivain et acteur à Vienne (Autriche).
Maîtrise en droit. François Biltgen a fait des études universitaires de droit à l’université de Paris. Il a obtenu une maîtrise en droit, un DEA (diplôme d’études approfondies) de droit communautaire ainsi que le diplôme de sciences politiques à Paris.
À l’âge de 36 ans, après avoir été élu député, il reprend ses études et réussit l’examen de fin de stage judiciaire. Peu après, il entame une carrière d’avocat à Esch-sur-Alzette. Avant d’être ministre, il a été l’auteur de nombreuses contributions de droit à l’attention du grand public.
2003 Le 18 janvier 2003, François Biltgen est élu président du CSV. Sa carrière au sein du Parti chrétien-social a commencé 20 ans plus tôt, peu de temps après avoir obtenu ses diplômes. Il accepta le poste de secrétaire du groupe CSV en 1983. Il succède à… Jean-Claude Juncker.
C’est en tant que président qu’il mènera une seconde fois le parti aux élections législatives, en 2009, après un succès remarquable en 2004. Les statuts ne lui permettent toutefois pas de prolonger ce mandat au-delà de 2009.
Ministre. La carrière d’élu de François Biltgen a commencée en 1987, avec un siège au conseil communal d’Esch-sur-Alzette. De 1997 à 1994, il était échevin dans sa ville natale, ayant en charge les finances et les affaires sociales. En 1994, François Biltgen est élu une première fois à la Chambre. En 1999, il entre au gouvernement, assumant au ministère du Travail la succession de… Jean-Claude Juncker. Il a été reconduit au gouvernement.
Source: Le Quotidien, 12 novembre 2007, Alain Kleeblatt