“Nous profitons de la globalisation, mais…”

“Nous avons investi énormément ces dernières années et résolu ainsi de nombreux problèmes dont celui de la connectivité. Nos axes prioritaires sont l’informatique, la sécurité et l’éducation.” Le ministre François Biltgen, en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche au Luxembourg, joue la carte de l’éducation et de l’innovation par la recherche pour préserver le modèle de cohésion sociale grand-ducal.

Soluxions: Le Luxembourg est privilégié en matière d’emploi. Toutefois, une étude du Statec montre que la progression est due à l’immigration. Quid des ressources humaines locales? Sont-elles insuffisantes? Pas assez qualifiées? Quelle menace sur la cohésion sociale, sujet qui vous tient à cœur? 

François Biltgen: Suite à la politique menée depuis des décennies par les différents gouvernements, le Luxembourg crée encore et toujours de nombreux emplois. Macro-économiquement parlant, nous profitons à plein de la globalisation! Si en 1985, nous avions 150.000 jobs; aujourd’hui, nous en sommes à plus de 320 000! Majoritairement des emplois de haut niveau, à forte rémunération et faibles charges, donc compétitifs grâce à une situation parafiscale favorable, faisant ici du Grand-duché une exception. Ceci dit, depuis 1985, il y a eu près de 10.000 Luxembourgeois de plus!

Hélas, ce succès a son revers: le chômage. Celui-ci, au fil du temps, est devenu structurel et il frappe les personnes les moins qualifiées. Cette population fait les frais d’une situation favorable aux frontaliers dynamiques. Alors que près de 60% des emplois créés sont de haut niveau, seulement 25% des Luxembourgeois ont un diplôme supérieur! Dans le même temps, plus de 50% des étrangers arrivent avec des Bac + ! L’essor économique seul ne suffira pas pour éradiquer ce type de chômage. Nous devons faire des réformes importantes au niveau de la connaissance et de l’enseignement.

D’où l’importance de la Recherche: il faut transformer l’argent en connaissances, puis la connaissance en argent. L’importance aussi de la formation continue afin de pouvoir rester à la pointe de l’art. Sans oublier que si le Luxembourg réussit à offrir des salaires élevés avec des charges faibles, c’est parce que l’Etat supporte un tiers de ces charges. Plus nous avons de croissance, plus l’Etat dépense. Nos réserves sont importantes, mais si la croissance devait marquer le pas… alors se poserait un réel problème au niveau des retraites pour les générations futures.

J’ajoute que cet essor soulève aussi un problème de logement. Comme grande ville, Luxembourg n’est pas plus chère en termes d’achat ou de location que les autres grandes métropoles européennes. Mais, du fait même de l’étroitesse du territoire, l’effet métropole affecte l’ensemble du pays. Je dis souvent en rigolant que si nous pouvions revenir aux frontières grand-ducales d’avant 1659, nous n’aurions plus de problème de logement, ni de frontaliers!»

Soluxions: Ciblant la niche des Technologies de l’Information et de la Communication, où en est le Grand-duché? La pénurie d’informaticiens chez nos voisins ne risque-t-elle pas de peser sur le développement du Luxembourg?

François Biltgen: Nous avons investi énormément ces dernières années et résolu ainsi de nombreux problèmes dont celui de la connectivité. Nos axes prioritaires sont l’informatique, la sécurité et l’éducation.

Trop peu de jeunes se lancent dans les métiers techniques. Par exemple, la Faculté de Technologie de l’Université de Luxembourg est celle qui progresse le moins. Il faut revaloriser ces métiers. Enseigner de manière concrète, car trop souvent ces matières sont abordées aujourd’hui de façon abstraite. Nous devons donner aux jeunes le goût du savoir. C’est vers l’âge de 15 ans qu’ils doivent malheureusement souvent se pré-décider de leur carrière future. A nous de les convaincre, de leur ouvrir des voies par un enseignement scientifique performant.

Soluxions: Le rôle de l’Université de Luxembourg est-il suffisamment étendu? Elle offre un Baccalauréat en Informatique et un Baccalauréat en Télécommunication, mais ni master ni doctorat sur ces matières. Ne pensez-vous pas qu’il faille combler cette lacune ?

François Biltgen: L’université occupe une place centrale dans notre stratégie d’avenir. Pour l’instant, elle se développe bien et compte plus de 100 doctorants. Les ‘masters’ et doctorats évoqués suivront. Mais nous voulons proposer des Masters de qualité, compétitif et débouchant sur une grande employabilité. Jeune Faculté, j’espère que sa renommée grandira encore et que davantage de personne rejoindront ses rangs.

Soluxions: Au même chapitre, parlez-nous de l’offre de l’enseignement supérieur non universitaire en TIC? Rencontre-t-elle l’adhésion? Quelles ambitions pour demain?

François Biltgen: De nombreuses formations sont proposées et la nouvelle loi en matière de BTS devrait conforter la situation. Ici aussi, nous voulons des formations de qualité, en adéquation avec les besoins du marché. Un BTS en informatique pourrait voir le jour. Ses conditions de lancement passent par la qualité et l’employabilité.

Soluxions: Le 10 juillet dernier, vous assistiez à Namur en compagnie de Marie-Dominique Simonet, ministre de Recherche et des Technologies du Gouvernement wallon, à la signature d’un accord de coopération entre le Cetic et le CRP Henri Tudor. Quelle est la stratégie de celui-ci ? Qu’en espérez-vous concrètement?

François Biltgen: Il s’agit d’un accord passé entre deux acteurs de la Grande région faisant suite aux recommandations d’un rapport demandé à l’OCDE, stipulant notamment qu’il ne fallait pas se focaliser sur le pays, mais sur ce nouvel espace économique, et donc favoriser des synergies au sein de cette entité.

Cette collaboration, qui gravite autour de l’expertise de la qualité logicielle, montre l’expertise du CRP Henri Tudor et souligne son dynamisme. Le rôle du gouvernement se limite à accompagner et saluer la démarche. Pour nous, il s’agit de lier contrat de performance et contrat de confiance.

Soluxions: Le Luxembourg entend diversifier son tissu économique. La recherche doit monter au créneau. Est-elle performante? Où sont nos atouts? Nos handicaps?

François Biltgen: Notre Recherche est jeune puisque les premières Lois en cette matière remontent à 1987. Aujourd’hui, nous consacrons 0,5% de notre PIB en recherche alors que nous devrions être à 1%. Notez que je doute un peu de ce modèle lié à un PIB variable, car si le PIB augmente davantage que prévu, ce qui est une bonne chose, le ratio augmentera et inversément. Mais, surtout, les sommes réelles consacrées seraient les mêmes. Cela étant, nos moyens ont doublé… et ils vont quadrupler

Toutefois, l’argent ne suffit pas, encore faut-il que la performance suive. Si j’estime notre Recherche performante, je trouve que nos Centres publics dépendent encore trop de l’argent public. Il faut donc qu’ils deviennent au plus vite financièrement autonomes et performants. C’est-à-dire que les entreprises privées qui contractent avec le public acceptent de payer le juste prix. Les Centres de recherche doivent trouver au plus vite des contrats compétitifs, avec indicateur ex-post. Notre nouvelle règle est celle du full cost.»

Soluxions: Peut-on parler de culture de l’innovation technologique au Grand-duché? Quid des programmes d’aides publiques?

François Biltgen: Cette forme de culture se développe, mais elle n’est toujours pas au niveau que je vise. Ainsi, nous avons rentré moins de projets dans le 6ème Programme cadre que dans le 5ème. Si Luxinnovation accompagne les PME dans leurs démarches, on sait aujourd’hui qu’il ne suffit pas d’avoir des idées, encore faut-il pouvoir les supporter sur le plan administratif. Pour le reste, nous avons des programmes d’aide aux start ups et comptons aussi sur l’incubateur de la Cité des Sciences de Belval. Néanmoins, pour que l’innovation se développe, il faut que les jeunes aient des idées. De là, l’importance de l’Université.

Nous avons des atouts: notre petite taille et le fait que l’Etat injecte beaucoup d’argent, notamment dans la Cité des Sciences. Celle-ci va éclater les différentes institutions pour les regrouper en pôles. Nous devons favoriser la complémentarité et non la concurrence.

Source: Soluxions, 5 novembre 2007, Propos recueillis par Jean-Claude Quintart