Pour le ministre du Travail et de l’Emploi, François Biltgen, la flexicurité est le point d’équilibre naturel entre les attentes des salariés et les besoins des employeurs. À ses yeux, la flexibilité est un avantage aussi bien pour les deux partis. Et le sentiment de sécurité est nécessaire. Entretien avec le Quotidien
Le Quotidien : La Commission européenne pousse les pays de l’Union à s’orienter vers la flexicurité pour s’adapter aux réalités économiques imposées par la mondialisation. Est-ce vraiment nécessaire?
François Biltgen : II faut comprendre que la flexicurité est, comme son nom l’indique, la combinaison de la flexibilité et de la sécurité. Le constat est clair : aujourd’hui, dans notre monde postindustriel, le monde du travail demande d’avantage de flexibilité. Que ce soit dans les horaires, dans les périodes de transition sur le marché de l’emploi, etc. Mais il y a également un grand besoin de sécurité. De la part au salarié comme de la part de l’employeur. Et c’est un point important à saisir.
Le Quotidien: C’est-à-dire?
François Biltgen : On dit trop souvent que la flexibilité s’obtient au dépens des travailleurs. Je dis qu’elle peut aussi être un avantage. Notre monde impose que l’on organise les choses de fa-çon plus flexible. Il faut s’adapter aux rythmes de la vie, tout simplement. Ça, c’est d’ailleurs une des flexibilités que réclament les salariés : plus de temps pour la vie familiale, plus de temps pour la formation continue… Ce sont des choses importantes pour la vie et le bien-être des salariés. Donc, il est important de s’organiser selon tous les besoins.
Le Quotidien: Y compris celui de la sécurité de l’emploi?
François Biltgen : Oui, c’est la même chose pour la sécurité. Pour un salarié, la sécurité, c’est de pouvoir se coucher le soir en sachant que, le lendemain, un travail l’attend. Mais n’oublions pas, non plus, qu’une entreprise a aussi besoin de sécurité. Dans beaucoup d’entreprises que je visite, on se plaint d’un turn-over permanent, alors que c’est très important pour une société de fidéliser le salarié. D’où l’importance de pouvoir garantir l’emploi et le bien-être au travail. Tout ça, c’est complémentaire…
Le Quotidien: Donc, la flexicurité est bien la réponse appropriée aux réalités économiques et sociales d’aujourd’hui?
François Biltgen : Sous le couvert de ce mot, il existe bien des modèles différents. Il y a le modèle danois, suédois, néerlandais, autrichien… Moi, ce qui m’intéresse, c’est de parler du modèle luxembourgeois. Ici, qu’est-ce qu’on propose? Qu’est-ce qu’on veut faire? Ce n’est pas seulement en s’inspirant des autres qu’on trouvera les réponses appropriées.
Le Quotidien: Quelles sont les principales difficultés pour trouver le juste équilibre nécessaire à la flexicurité?
François Biltgen : Certains craignent que la flexibilité évoquée n’entraîne un démantèlement du droit du travail. D’autres pensent qu’il faut moins de protection pour créer de l’emploi. Tout ça est faux. Il est faux de croire que c’est le droit du travail qui crée de l’emploi. Le Luxembourg est d’ailleurs le meilleur exemple d’un pays ayant une protection de l’emploi très lourde, mais qui crée, malgré tout, beaucoup d’emplois.
Le Quotidien: Pourtant cela n’empêche pas les plans sociaux…
François Biltgen : Oui, c’est vrai. Mais il faut comprendre que dans une région à hauts salaires, seuls les emplois à haute valeur ajoutée sont viables. Donc, il ne faut pas se voiler la face devant les restructurations. Il faut faire avec. Mieux même : il faut les anticiper.
Le Quotidien: Comment?
François Biltgen : Il faut d’abord investir dans la recherche et l’innovation. C’est dans ces domaines qu’on trouve ces emplois à haute valeur ajoutée. Ensuite, il faut investir dans les transitions entre emploi. Aujourd’hui, on ne peut plus parler de sécurité de l’emploi, mais plutôt de sécurité dans l’emploi. La nuance est importante.
Le Quotidien: Justement, pouvez-vous l’expliquer?
François Biltgen : Ce que nous devons garantir aujourd’hui au salarié, ce n’est plus un emploi à vie, mais la sérénité de retrouver rapidement un emploi.
Le Quotidien: Il faut donc éviter les plans sociaux…
François Biltgen : Exactement. Les plans sociaux ne fonctionnent que sur une logique d’argent. Au bout du compte, ils coûtent très cher à l’employeur et empêchent souvent le salarié de reprendre le travail rapidement. L’idée, c’est donc de remplacer les grosses indemnités par un meilleur accès à d’autres emplois.
Le Quotidien: Quelles sont les dispositions envisageables pour arriver à ce modèle?
François Biltgen : La première, c’est le plan de maintien dans l’emploi. Celui-ci est déjà en vigueur depuis le ler1 er janvier. La deuxième est encore à l’état de projet de loi actuellement. Il s’agit du congé éducation. En accord avec les partenaires sociaux, on prévoit que chaque salarié a un certain nombre de jours mis à profit pour la formation.
Enfin, le troisième élément, sur lequel je travaille, concerne la flexibilité. Pourquoi ne pas l’envisager sous forme de compte épargne
temps, tout au long de la vie professionnelle? Aujourd’hui, on peut parler, pour une vie, de x heures de travail. Aux gens alors de gérer au mieux ce temps. Par exemple, les heures supplémentaires pourraient ne pas être payées, mais plutôt comptabilisées sur un plan épargne temps. Ainsi, si on a besoin de faira une pause dans sa carrière, parce qu’un enfant est malade, ou pour une autre raison, on peut suspendre le contrat et non le rompre. Ça, c’est une sécurité! Et pouvoir s’offrir le temps dont on a besoin, c’est la flexibilité…
Le Quotidien: Pensez-vous que les lois seront suffisantes pour arriver à ce modèle?
François Biltgen : C’est une question de mentalité, plus que de loi. Les syndicats sont toujours réticents au départ mais, finalement, ils le sont moins que les employeurs. La Fédil pense qu’il faut convaincre ses membres de cette nouvelle philosophie et que cela ne
sera pas facile. Je pense que c’est même difficile pour les deux parties. Mais il y a une compréhension générale que, si l’on renforce trop la loi, tout le monde va chercher à la contourner.
Pour arriver à changer les mentalités, il faut du temps. Il faut être didactique, pédagogue. Dans deux ou trois ans, j’en suis convaincu, le maintien dans l’emploi sera généralisé.
Source: LE QUOTIDIEN du 16. octobre 2007