Le bon sens a triomphé

Lorsque Jean Spautz monta à la tribune de la Chambre des députés, le 15 novembre 1966, personne ne se doutait que son discours allait provoquer une crise gouvernementale et déclencher par l’adoption d’une motion parlementaire, l’abolition du service militaire obligatoire au Grand-Duché.

Interview avec Monsieur le Député Européen Jean Spautz au Quotidien, édition du 23 février 2007, journaliste Jean Rhein

L’initiative d’abolir le service militaire obligatoire ne pouvait venir que d’un député CSV.

Est-ce qu’on vous rappelle fréquemment les événements qui ont eu lieu il y a 40 ans autour de l’abolition du service militaire obligatoire?

Je pense que l’une ou l’autre occasion se présentera cette année-ci. Je suis le seul participant des débats qui ont eu lieu à la Chambre des députés, il y a 40 ans, qui soit encore actif en politique. J’étais très jeune à l’époque. Il y avait de nombreuses personnalités de la politique luxembourgeoise à la Chambre des députés, qui étaient beaucoup plus âgées que moi. Georges Marque, par exemple, qui est décédé récemment.

Est-ce que le souvenir de ce coup d’éclat que vous avez provoqué à la tribune de la Chambre est un bon souvenir?

Notre pays était trop petit, non seulement sur le point de vue territorial, mais aussi démographique, pour pouvoir soutenir à long terme un service militaire obligatoire. L’inconvénient avec les nombreux bons officiers en service était qu’ils avaient de très bonnes idées. Nous avons pris conscience, peu à peu, que nous ne pouvions créer ni une division de chars d’assaut ni une aviation militaire. Nos moyens se limitaient raisonnablement sur l’infanterie, la logistique et l’artillerie. En 1964, des contacts avec I’OTAN avaient déjà été entrepris en vue de la création éventuelle d’un corps d’armée de volontaires. Je comprenais que les discussions avec les alliés n’avançaient pas vraiment du côté luxembourgeois.

Êtiez-vous mandaté pour soumettre la proposition que vous avez faite?

Les discussions sur le projet de budget de l’État se déroulaient d’une autre manière qu’aujourd’hui. Chaque ressort était discuté séparément. À l’époque j’étais le président de la section de jeunesse chrétienne-sociale et j’étais député depuis 1959. Le changement structurel de l’armée était inscrit dans notre programme électoral. Vous savez que je ne tiens mes discours que sur la base de mes notes. À la fin de mon allocution, j’ai proposé l’abolition du service militaire obligatoire, en conséquence logique de mon discours. C’était la première fois qu’un député de la majorité gouvernementale faisait cette proposition là. Eugène Schaus, qui allait me suivre à la tribune de la Chambre, a déclaré qu’il devait changer son discours.

Tony Biever, qui était le président du groupe parlementaire chrétiensocial, a confirmé que j’étais l’orateur mandaté du CSV et que j’avais émis l’avis officiel du groupe parlementaire. Ce qui s’est produit aussi après ma proposition, c’est une lutte pour la paternité de l’idée. Cela arrive fréquemment en politique! En fait, je disais ce que le pays entier pensait et les hommes politiques ne l’ignoraient pas.

Pierre Werner qui n’était pas présent à la Chambre au moment de mon discours, me disait plus tard : «Tu aurais pu nous avertir». Je lui ai répondu : «Dans ce cas, vous m’auriez interdit d’en parler».

Êtiez-vous conscient qu’une crise gouvernementale pouvait être la conséquence de votre intervention?

Non. Ce n’était pas l’intention. Je me souviens des propos de Pierre Werner : «Le gouvernement se retire». Il n’y a pas eu d’élections, mais un remaniement ministériel, en janvier 1967. Pierre Grégoire a pris la fonction de ministre de la Force armée. La loi portant abolition du service militaire obligatoire a été votée avant la fête nationale, en 1967.

Avez-vous fait votre service militaire?

Non. On sait que j’ai été réformé pour des raisons physiques. Mais tous mes copains étaient soldats et je continuais à les rencontrer dans leur temps libre.

Êtes-vous un pacifiste?

Pas dans le sens péjoratif du mot. Nous avons la responsabilité de faire un effort pour défendre la liberté.