«La double nationalité, une nécessité»

Interview Le Quotidien: Rapporteur du projet de loi sur la double nationalité, le député chrétien-social Laurent Mosar est d’avis que c’est le projet le plus important de la législature. Un projet capital pour la cohésion sociale du pays.

Le Quotidien : Quelles étaient les conditions pour devenir luxembourgeois, ces dernières années?

Laurent Mosar : Dans la précédente loi, pour pouvoir aspirer à la nationalité luxembourgeoise, il fallait avoir dix ans de résidence dans le pays. Dans l’actuelle loi, cette durée de séjour se trouve réduite à cinq ans à laquelle il faut ajouter une procédure extrêmement longue.

Ce qui veut dire?

Laurent Mosar : Il faut entre deux et trois ans pour que la procédure de naturalisation se déroule : procès-verbal de la police, avis de la commune du demandeur, avis du commissaire de district, avis du Conseil d’État devant lequel le dossier doit être déposé, avis de la commission juridique de la Chambre des députés.

Au bout d’une très longue procédure, c’est la Chambre qui, en séance plénière, décide ou non de la naturalisation. Pour moi, la durée de l’actuelle procédure est tout simplement inacceptable. Qui plus est, cette procédure législative n’ouvre le droit à aucune possibilité de recours pour celui ou celle qui est débouté.

Vous êtes rapporteur du projet de loi sur la double nationalité. Qu’est-ce qui va changer?

Laurent Mosar : Le gouvernement a souhaité que la procédure ne soit plus législative, mais administrative. C’est le ministre de la Justice qui interviendra seul dans l’analyse des dossiers et c’est lui qui prendra la décision finale. La procédure sera donc nettement simplifiée. Je souhaiterais que, dans le projet de loi, une disposition soit le cas échéant incluse qui prévoie que la durée de la procédure ne pourra pas dépasser huit mois.

La deuxième grande nouveauté, ce sera la possibilité de se pourvoir en appel d’une décision négative devant une juridiction administrative. Cela implique qu’il y ait une modification de la Constitution alors que cette dernière prévoit actuellement que les juridictions civiles sont seules compétentes en matière de nationalité.

Y a-t-il d’autres changements?

Laurent Mosar : Oui, il n’y aura plus qu’une seule procédure. Pour l’instant, il y en a deux : la demande de naturalisation et l’option. Mais la nationalité est un droit individuel, pas un droit familial ou collectif. Il n’y a aucune raison d’avantager les conjoints mariés alors que les gens vivant ensemble, en partenariat par exemple, n’ont pas ce droit.

La nouvelle loi prévoit de faire passer le temps de résidence de cinq à sept ans.C’est un recul?

Laurent Mosar : Cinq plus deux à trois ans de procédure ou sept ans plus huit mois, sur le fond, cela revient au même. Mais la véritable intention du gouvernement, c’est que l’obtention de la nationalité luxembourgeoise réponde à une véritable envie. Devenir luxembourgeois, ce n’est pas choisir au hasard et au passage une nationalité de plus, mais l’aboutissement d’un processus d’intégration.

Pourquoi avoir opté pour le principe de la double nationalité?

Laurent Mosar : Chacun des États membres de l’Union européenne a compétence pour légiférer en matière de nationalité. Plusieurs pays ont opté pour la nationalité multiple, d’autres l’interdisent. La France et le Portugal l’autorisent, l’Allemagne non. Vous pouvez donc avoir deux passeports, l’un français ou portugais, l’autre luxembourgeois. Par contre, si vous avez un passeport luxembourgeois, vous perdez en principe le droit d’avoir un passeport allemand.

Dans certains pays hors UE, le fait de vouloir abandonner sa nationalité d’origine est même interdit par la loi. J’estime que, puisqu’il est illusoire de croire qu’il y aura un jour une procédure commune au niveau de l’Union européenne, nous devrons aujourd’hui offrir à nos concitoyens étrangers la possibilité d’acquérir à côté de leur nationalité d’origine également la nationalité luxembourgeoise et cela sans invoquer le bénéfice de réciprocité vis-à-vis de leurs pays.

Qu’en sera-t-il du droit du sang dans la nouvelle législation?

Laurent Mosar : On ne change rien. Avoir un parent de nationalité luxembourgeoise suffira pour acquérir la nationalité luxembourgeoise. Nous avons déjà de nombreux enfants qui ont des nationalités multiples parce que nés d’unions mixtes. Etant donné que dans notre tradition, nous ne connaissons pas le droit du sang, ils doivent à l’heure actuelle faire à dix-huit ans le choix d’une nationalité. Demain, si la loi est votée par la Chambre, ils pourront garder la nationalité de leur père et celle de leur mère, sans devoir renoncer à l’une des deux.

Qui est concerné par la double nationalité?

Laurent Mosar : Pour l’instant, il y a environ un millier de demandes de naturalisation par an. La grande majorité des nouveaux Luxembourgeois ne viennent pas des pays de I’UE, mais des pays hors UE : Cap- Vert, Chine, ex-Yougoslavie, pays du Maghreb… Dans toutes les réunions publiques qui sont organisées pour expliquer les dispositions du projet de loi, l’intérêt est très grand.

La loi prévoit un examen de langue luxembourgeoise. Pourquoi?

Laurent Mosar : La législation sur la nationalité prévoyait toujours une condition linguistique. Dans la législation précédente, il fallait maîtriser au moins une des trois langues officielles du pays, le luxembourgeois, le français ou l’allemand. Le texte actuel prévoit l’obligation pour le demandeur d’avoir une connaissance active et passive de la langue luxembourgeoise. C’est la police qui contrôle actuellement le niveau de connaissances. Or, ce contrôle n’est pas uniforme dans la mesure où il est quelques fois très strict et à un autre endroit plutôt léger. Or, je suis d’avis qu’une loi ne peut s’appliquer différemment d’une commune à l’autre ou d’un commissariat de police à l’autre.

Dans l’actuel projet de loi, les futurs Luxembourgeois devront subir un test de langue luxembourgeoise dont les modalités pratiques seront définies par un règlement grand-ducal que la ministre de l’Education est en train d’élaborer. Pour l’instant, la question du niveau de formation qui sera évalué n’est pas tranchée.

Cette question d’apprentissage obligatoire de la langue luxembourgeoise fait l’objet de critiques. Les comprenez-vous?

Laurent Mosar : Apprendre la langue d’un pays, c’est un facteur important d’intégration. À travers l’obtention de la nationalité luxembourgeoise, les nouveaux Luxembourgeois seront également obligés d’aller voter puisque le droit de vote est obligatoire au Luxembourg. Comment quelqu’un qui ne comprend pas la langue luxembourgeoise pourra-t-il utilement voter pour un parti ou un candidat ou se faire comprendre s’il souhaite lui-même être candidat. Pour mon parti et pour moi, la question linguistique est une conditio sine qua non et nous ne pouvons concevoir une législation prévoyant une nationalité multiple sans l’obligation de comprendre et de parler le luxembourgeois. C’est une question fondamentale et l’État devra, de son côté, prendre ses responsabilités pour faciliter l’apprentissage du luxembourgeois. François Biltgen, ministre du Travail, planche d’ailleurs sur un projet de loi pour la création d’un congé linguistique. Quand la loi sur la double nationalité entrera-t-elle en vigueur? Faire voter la loi avant l’été me paraît très difficile. Nous devrions y parvenir avant la fin de l’année 2007. Si bien qu’elle pourrait entrer en vigueur au ler1 er janvier 2008.

Pourquoi cette loi, même si elle a tardé à venir, est-elle si importante?

Laurent Mosar : Pour moi, ce projet de loi est le plus important de toute la législature. La double nationalité doit permettre une meilleure cohésion sociale du pays. Nous avons de nombreux concitoyens qui vivent ici, travaillent ici et payent des impôts ici. Ils contribuent substantiellement à la richesse de notre pays.

Leur permettre plus facilement de devenir luxembourgeois, c’est les faire participer activement à la prise de décisions politiques. C’est capital pour notre pays et je dirais même qu’au niveau de la cohésion sociale, c’est une question de survie à long terme.

Entretien : Denis Berche


Source: Le Quotidien du 5 février 2007