“En 1964, j’avais dix ans et je rêvais d’être joueur professionnel dans une équipe italienne.” Jean-Claude Juncker interrogé par une classe d’écoliers du Primaire
Jeudi: Quelles ont été les plus belles années de votre enfance?
Jean-Claude Juncker J’ai eu une enfance heureuse. Quand j’avais dix ans, mon père était ouvrier à l’Arbed et nous habitions Belvaux. Je garderai toujours des images en relation avec la sidérurgie. Comme ces milliers d’ouvriers à vélo à la sortie de l’usine. Et les repas de midi pris à 14.30, quand mon père avait fini son poste.
J’ai vécu au rythme du travail des autres. Dans la rue, il fallait jouer en silence car dans une maison sur deux, il y avait un ouvrier qui dormait.
J’ai aussi aimé vivre avec les enfants d’autres nationalités. La seule différence entre nous, c’était quand on jouait au foot. Il y avait une équipe luxembourgeoise, une italienne et une “autre”.
Ya-t-il une idole ou un modèle qui vous a poussé à choisir ce métier?
Non. A part mes parents que j’admirais pour leur sérieux et parce qu’ils aimaient leurs enfants. Le seul homme politique que je connaissais était De Gaulle, l’homme qui a apporté la liberté, l’histoire faite homme. Même enfants, nous le sentions.
Il y avait aussi Kennedy. Le premier souvenir politique de ma vie est son assassinat en 1963. Mon père a pleuré en entendant la nouvelle à la radio. JFK avait soulevé un énorme espoir. Je connaissais aussi Adenauer… cela ne veut pas dire que je me place dans leur lignée.
Aviez-vous déjà un intérêt pour la politique?
Pas vraiment. Je m’y intéressais à travers ce que disait mon père. Il m’obligeait chaque jour à lire le journal et à commenter l’actualité. La guerre du Vietnam, le Congo belge… Cela m’a beaucoup impressionné. Surtout les assassinats de sœurs et de missionnaires luxembourgeois là-bas.
Quel est le plus beau cadeau que vous ayez reçu pour Saint-Nicolas?
On recevait des cadeaux modestes. Je me souviens de deux petits trains électriques, offerts par chacune de mes grand-mères. L’un était français, l’autre allemand. Pas moyen de les raccorder ensemble! J’ai aussi eu un char, confisqué par mon père qui ne voulait pas que je prenne goût aux machines de guerre.
Il avait connu les vrais chars pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le père Fouettard ne sait pas tout
Avez-vous passé votre enfance au Luxembourg?
Oui, mais avec toujours un pied à l’étranger. La banlieue belge: Arlon, Athus ou Trêves, Metz. Il y avait encore des frontières où on attendait parfois une heure et demie. Quand on critique l’Europe, j’ai envie de rejouer aux frontières pendant six mois!
Le père Fouettard aurait-il des raisons de s’occuper de vous?
Oui!, mais il ne sait pas tout… heureusement.
Croyez-vous à Saint-Nicolas?
Oui. J’ai gardé une part de naïveté. J’ai trouvé normal qu’un jour par an quelqu’un vienne me dire si j’ai bien agi. J’ai toujours aimé cette fête car les enfants sont les princes de la vie. Ils ont droit à la reconnaissance des adultes.
Quelle différence y a-t-il entre les enfants d’hier et d’aujourd-hui?
Je n’ai pas d’enfant. C’est le seul élément de tristesse de ma biographie. Les enfants d’aujourd’hui sont différents parce que leurs parents le sont. Je n’entre jamais en guerre contre les enfants -contrairement à ce qu’on dit en ce moment- je me fâche contre leurs parents.
Que vouliez-vous changer dans le monde quand vous étiez enfant?
Tout! Je trouvais injuste qu’on fasse des différences entre les hommes. Mon père a été ouvrier puis employé privé. C’est moi, à 10 ans, qui lui ai appris le fran-çais pour qu’il passe ses examens. Il l’a vécu comme une énorme promotion sociale.
Mais les fonctionnaires avaient encore plus de prestige. Les enfants de médecins, de dentistes faisaient des choses auxquelles je n’avais pas accès. J’ai aussi vu les petits Italiens déracinés à dix ans pleurer pendant des mois sur leur banc d’école où ils ne comprenaient rien. J’ai presque souffert physiquement de ces injustices. Je me suis dit: il y a des rapprochements à faire!
Quel métier vouliez-vous faire alors?
En 1964, j’avais dix ans et je rêvais d’être joueur professionnel dans une équipe italienne. Ensuite, j’ai voulu faire disc-jockey, puis journaliste. Mais je le serai un jour.
Avez-vous encore un rêve d’enfant?
7% de la population mondiale est européenne et nous avons la moitié de la richesse mondiale. Mon rêve, c’est qu’on arrête de se plaindre.
Source, le Jeudi, 30 novembre 2006, Laurence Harf