Pour Lucien Thiel, il est impératif qu’en matière de développement économique, le Luxembourg reste à la pointe du progrès. Le commerce électronique constitue, à ses yeux, une opportunité particulière
Dans un entretien au Quotidien, Lucien Thiel, député CSV, donne son point de vue sur l’économie luxembourgeoise et certaines faiblesses dues aux succès d’hier
Liens internet: Lucien Thiel sur csv.lu
Le Quotidien : Etes-vous pessimiste ou optimiste pour l’avenir du Luxembourg?
Lucien Thiel : Je suis toujours optimiste et on peut l’être dans notre pays même si l’heure est à une certaine prudence et à la réflexion. Nous avons eu beaucoup de chance dans le passé et nous avons été particulièrement gâtés en tant que nation. Mais nous avons pris le pli, les responsables politiques en premier, de réfléchir comment distribuer la richesse en oubliant la question essentielle qui est comment créer de la richesse? Nous nous sommes habitués à la richesse comme si elle tombait du ciel, comme si elle était l’oeuvre du Bon Dieu.
À deux reprises, le Bon Dieu a été luxembourgeois. Il nous a fait découvrir le minerai de fer, puis la finance internationale. Sera-t-il à nos côtés une troisième fois? La fortune du Luxembourg dépend pour une bonne part de la place financière.
Trouver des solutions de rechange
Cette dépendance est-elle dangereuse?
Elle est non seulement dangereuse, mais elle est aussi malsaine. La progression de notre produit intérieur brut dépend pour les deux tiers de la place financière. Nous nous plaignons à juste titre de notre monolithisme économique. Il y a eu la sidérurgie, il y a aujourd’hui la place financière. Mais que serions-nous devenus si les banques n’avaient pas réussi à remplacer notre sidérurgie? Nous devons donc tout faire pour trouver des solutions de rechange.
Le commerce électronique peut-il être une de ces solutions?
Oui et j’y ai toujours cru. D’ou les efforts de I’ABBL pour que le Luxembourg se dote d’une loi sur le e-commerce. Nous avons été le premier pays à en avoir une. Aujourd’hui, nous gagnons beaucoup d’argent avec AOL, Apple..» mais cela reste très fragile car dépendant de la réglementation du pays d’origine pour la TVA. Il a fallu se battre pour que le système soit prolongé jusque fin 2008. Mais après? Il faut autre chose pour faire rester les sociétés étrangères venues pour un avantage de TVA. Un noyau dur est là, à nous d’être assez imaginatifs pour devenir le premier pays européen de l’e-commerce.
Quelle est aujourd’hui, à vos yeux, la principale faiblesse du Luxembourg?
Nous sommes des enfants gâtés et nous avons trop gâté nos enfants. Lorsqu’on vit dans l’opulence, on oublie l’essentiel. Nous ne vivons que pour l’argent et nous oublions de réfléchir.
Y a-t-il d’autres faiblesses inquiétantes?
Nous avons oublié ce qui faisait notre force, c’est-à-dire notre petite taille. Nous étions plus agiles, plus réactifs. C’est, par exemple, ce qui nous a permis de nous lancer rapidement, avec le succès que l’on connaît, dans les fonds d’investissement.
Il me semble que cette qualité s’est perdue en chemin. Cet avantage fondamental par rapport à l’étranger, nous ne l’utilisons plus comme avant. Plus il y a de concurrence, plus vous devez être dynamique. Nous avons de solides atouts, encore faut-il les utiliser. Mais à force de gagner un peu trop facilement notre argent, nous avons oublié que cela devient de plus en plus dur, même si ça reste largement du domaine du possible.
Y a-t-il autre chose qui vous chiffonne aujourd’hui?
Il y a deux points d’interrogation majeurs : 1) Comment le Luxembourg fait-il pour avoir 10 000 chômeurs alors qu’il a, dans le même temps, 120 000 frontaliers? 2) Pourquoi avons-nous le système éducatif le plus cher au monde et les résultats les plus piètres? C’est aussi anormal que c’est contradictoire.
Qu’avez-vous pensé de la récente tripartite?
Le débat était nécessaire, mais ce qui en ressort est trop défensif à mon goût. S’attaquer à de mauvaises habitudes développées dans l’opulence, c’est le début d’un retournement. Mais ce n est certainement pas le retournement nécessaire. Comme il fallait faire des économies, on a trouvé quelques solutions. Mais le plus important n’est-il pas de trouver de nouvelles sources de recettes. Dans ce domaine, il me semble qu’on piétine.
Promouvoir le secteur des services
Logistique, biotechnologies et écotechnologies, le ministre de l’Économie a développé trois axes pour le futur. Les jugez-vous intéressants?
Oui, mais les ministres de l’Économie ont souvent une conception de l’économie axée sur l’industrie. Or, nous savons tous que l’ère industrielle est plus ou moins révolue pour le Luxembourg. Ce que nous fabriquons ici, vous le trouvez à moitié prix ou même moins ailleurs. Bien sûr, nous pouvons avoir une stratégie de développement industriel, mais pas au détriment du secteur des services qui est un véritable vivier de richesses et d’emplois pour aujourd’hui et pour demain.
La place financière a-t-elle encore de beaux jours devant elle?
Oui, mais elle est condamnée à avancer tant qu’il n’y a pas d’autres solutions de rechange. Des possibilités de développement existent. Si nous ne perdons pas les pédales, je suis tout à fait optimiste car l’architecture est créée et s’est enrichie avec l’université. Cela va permettre de travailler sur les six grappes d’activités qui ont été définies. Pour rester au sommet, il nous faut de meilleurs produits que les autres et de meilleurs services pour les clients.
L’avenir de la place réside donc dans sa capacité innovatrice. Elle ne peut pas se contenter de vivre sur son passé et de sa réputation, aussi bonne soit-elle. Il y a, par exemple, une demande énorme pour les fonds de pension. C’est un domaine qui a le même potentiel à terme que les fonds d’investissement. Si nous sommes aujourd’hui des spécialistes reconnus de l’administration, nous pouvons aussi devenir des spécialistes de la gestion et de la distribution, tant pour les fonds d’investissement que pour les fonds de pension.
Vous avez été journaliste, puis directeur de I’ABBL. Vous êtes aujourd’hui député. Pourquoi cette entrée tardive en politique?
Parce que Jean-Claude Juncker me l’a demandé alors qu’on ne pouvait pas me soupçonner d’avoir des relations particulières avec le Parti chrétien-social. J’ai réfléchi longtemps. J’étais à trois ans de la retraite. Qu’en aurais-je fait? Ennuyer mon épouse ou me retirer en Italie pour écrire des polars? J’aurai le temps de faire tout cela plus tard. Comme je m’étais régulièrement ému que la place financière n’occupe pas dans les préoccupations politiques la place qui lui revenait, j’ai dit oui. Et je ne le regrette pas. Cela me permet de faire mieux connaître dans les milieux politiques le secteur financier afin de lui donner encore plus de poids.
Pourquoi la place financière suscitait-elle aussi peu d’intérêt? Parce qu’elle n’est pas électoralement intéressante. Les trois quarts de ses salariés sont des étrangers. Le quart restant n’est pas quantité négligeable, mais il pèse peu au regard des hommes politiques par rapport à la fonction publique par exemple.
Deux ans après votre élection, un premier bilan?
Quand je vois mes collègues députés s’enquérir de la place financière, je constate que leur intérêt est plus tangible. Et si vous suscitez l’intérêt, c’est que vous avez déjà gagné à moitié…
Que faites-vous encore aujourd’hui à l’ABBL?
Je suis conseiller auprès du président. Comme il y avait, pour moi, incompatibilité entre ma charge de député et mon poste de directeur de I’ABBL, j’ai démissionné. Je ne suis donc plus impliqué dans les affaires courantes et je ne participe plus au comité directeur. Mais je reste à disposition jusqu’à ma retraite. Quitter I’ABBL a été une rupture dans ma vie. Je n’avais plus la responsabilité d’une soixantaine de personnes. Il faut s’habituer à la vie de député. Avec mon tempérament, j’ai trouvé un nouveau champ d’expression. Je me vois d’ailleurs bien continuer si ma santé me le permet et si l’électeur veut encore de moi la prochaine fois.
Qui est-il?
Né le 14 février 1943 à Luxembourg. Marié et père de deux enfants.
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Paris et diplômé de l’École des hautes études internationales de Paris.
En 1966, il débute sa carrière professionnelle comme journaliste au magazine Revue.
De 1968 à 1980, il est rédacteur en chef de Revue.
De 1981 à 1990, il est rédacteur en chef et gérant de l’hebdomadaire politique d’tëtzeburger Land.
En 1990, il devient directeur de I’ABBL (Association des banques et banquiers, Luxembourg). Il occupe ce poste jusqu’en 2004.
En juin 2004, il se présente pour la première fois aux élections législatives, dans la circonscription Centre sur la liste du Parti chrétien-social. Il est élu député. Le 13 juillet 2004, il prête serment à la Chambre.
Depuis le ler août 2004, il est conseiller auprès du président de I’ABBL.
Depuis le 30 novembre 2005, il est aussi conseiller communal de la ville de Luxembourg. Le CSV ayant perdu les élections, il se retrouve dans l’opposition.
II est administrateur délégué de l’Association pour la santé au travail dans le secteur financier (ASTF).
II est membre du Comité pour le développement de la place financière de Luxembourg (Codeplafl).
II est président de la Commission luxembourgeoise pour l’éthique en publicité (CLEP).
Il est membre du Conseil supérieur de l’aménagement du territoire.
II est cofondateur et membre du conseil d’administration de la Fondation Krâizbierg (en charge de personnes handicapées).
II est président d’honneur de l’Association luxembourgeoise des journalistes.
Source: Quotidien, 29 mai 2006, Denis Berche