Pour Luc Frieden, l’acquisition de la Double Nationalité doit aller de pair avec la volonté des candidats de participer activement à l’avenir du Luxembourg
Le ministre de la Justice, Luc Frieden, travaille en ce moment intensivement à l’élaboration de la loi sur la double nationalité faisant partie des projets de l’accord de coalition d’août 2004. La position définitive du gouvernement n’est pas arrêtée mais le ministre a accepté de confier au quotidien La Voix ses vues et ses arguments.
Liens internet: Interview Wort du 19 mai avec Luc Frieden; rapport sur les effets juridiques de la double nationalité (PDF); loi du 24 juillet 2001 portant réforme de la nationalité luxembourgeoise (PDF); rapport de la commission juridique sur la loi du 24 juillet (PDF)
La Voix: Monsieur le ministre de la Justice, pourquoi vouloir introduire la double nationalité?
Luc Frieden: Le Luxembourg dispose déjà d’un tel concept. Il s’applique aux enfants nés au Luxembourg dont un parent est luxembourgeois et l’autre parent possède une autre nationalité. Nous voulons maintenant également rendre cette option possible pour tous ceux qui veulent faire la démarche d’acquérir la nationalité luxembourgeoise parce qu’ils sont bien intégrés au Luxembourg sans toutefois devoir renoncer pour cela à leur nationalité d’origine.
Nous voulons l’ouvrir à nos résidents étrangers qui souhaitent manifester vers l’extérieur de façon plus forte que par le passé leur attachement au Luxembourg sans devoir renier leurs racines et celles de leurs parents.
Trois éléments qui assurent une intégration réussie
Quelles seront les conditions?
J’y réfléchis encore. Le projet de loi est en cours d’élaboration. Je suis en train de consulter. Il faut que ces conditions répondent aux principes de l’accord de coalition. Je tiens à m’assurer qu’elles reflètent bien une intégration réussie. Je ne souhaite pas que la double nationalité soit ou apparaisse comme quelque chose que l’on reçoit à bas prix à côté de sa nationalité d’origine.
Concrètement?
Pour l’assurance d’une intégration réussie, il faut essentiellement trois éléments. Tout d’abord une durée de résidence raisonnable qui la rende possible. Je pense à dix ans. Ensuite une connaissance de la langue luxembourgeoise telle qu’elle se pratique dans une conversation dans un magasin. Enfin un attachement aux valeurs fondamentales de notre pays. Voilà pourquoi des cours d’instruction civique sont utiles. D’autant que les nouveaux Luxembourgeois seront amenés à participer, devront même puisqu’il y a obligation de vote, aux élections législatives.
S’agira-t-il d’un examen et qui s’en occupera?
Rappelez-vous que je fus le premier à avoir proposé, lors de la réforme de la nationalité de 2001, que la connaissance de la langue luxembourgeoise soit l’une des conditions pour devenir luxembourgeois.
Je voudrais que ce principe soit consolidé dans cette nouvelle loi pour la simple et bonne raison que le luxembourgeois est le ciment de la cohésion sociale dans la mesure où il constitue l’élément culturel permettant de lier les différentes communautés dans les magasins, les réunions de parents d’élèves, la vie associative. Il est donc utile que l’on puisse s’exprimer dans la langue commune.
Je préconise un test de luxembourgeois oral, de préférence au niveau national, pour s’assurer que tout un chacun possède cette connaissance de base de notre langue. Une connaissance passive qui permette aussi de mieux suivre l’actualité politique qui se déroule largement en langue luxembourgeoise. Je suis en pourparlers avec le ministère de l’Education nationale pour discuter des modalités pratiques d’un tel contrôle.
A qui s’adresse cette réforme?
La réforme s’adresse d’abord aux enfants d’immigrés italiens, portugais, français ou d’autres nationalités qui remplissent déjà les conditions parce qu’ils sont nés au Luxembourg, y ont suivi leur scolarité ou une bonne partie de leur scolarité. Elle sera aussi importante pour les Luxembourgeois qui ont émigré et ont adopté la nationalité du pays dans lequel ils résident, ce qui leur a fait perdre la nationalité luxembourgeoise. Ils pourront la retrouver.
L’une des plus grandes réformes de la législature
Le projet fait partie du programme de coalition. Quand entrera-t-il en vigueur?
J’espère pouvoir déposer le projet de loi avant la pause estivale. Il sagit de lune des plus grandes réformes de la législature. Le gouvernement fera tout pour que le projet de loi puisse être adopté avant 2009. Je souhaite un large consensus sur le principe et les modalités, à savoir qu’il reflète bien la volonté d’intégration des candidats qui veulent construire avec les Luxembourgeois d’origine l’avenir du pays, mais aussi la volonté des Luxembourgeois d’accueillir ceux qui ont décidé de s’établir définitivement au Grand-Duché. Voilà pourquoi j’exige un effort d’adaptation tant des uns que des autres.
Ces nouveaux Luxembourgeois pourraient donc voter aux législatives de 2009?
Si la loi entre en vigueur en 2007 ou 2008, cela pourrait être le cas, sous réserve du respect du délai d’inscription sur les listes électorales.
Vous parlez de consensus. Il semblerait que vos partenaires socialistes ne comprennent pas pourquoi vous proposez une durée de résidence de dix ans pour la double nationalité alors qu’il suffit de cinq ans pour devenir Luxembourgeois. Pourquoi faudrait-il montrer un degré d’lntégration supplémentaire pour la double nationalité?
Dans le système actuel, il faut abandonner sa nationalité d’origine pour devenir Luxembourgeois. La démarche requiert une réflexion beaucoup plus profonde car le candidat démontre par là qu’il souhaite définitivement faire partie de la communauté luxembourgeoise. Je crois donc qu’il n’est pas déraisonnable de poser des conditions supplémentaires pour la double nationalité.
Un projet accepté par les Luxembourgeois d’origine
N’est-ce pas là une manière d’aller à la rencontre d’une partie de Luxembourgeois très circonspects à l’égard de tels projets?
Je voudrais que la double nationalité soit aussi acceptée par les Luxembourgeois d’origine. Ils ne doivent pas avoir l’impression qu’on la donne facilement à des migrants venant temporairement au Luxembourg. C’est aussi une façon de barrer la route à ceux qui veulent faire de la politique avec des sentiments xénophobes. Nous voulons une politique réussie d’intégration des étrangers à qui nous devons tant sur le plan économique et culturel.
Il s’agit d’une réforme de société très sensible?
Voilà pourquoi nous avons besoin d’un large soutien des partis de la majorité comme de toutes les forces politiques du pays. Je ne voudrais pas que nous nous retrouvions dans une logique majorité-opposition. Le sujet de la nationalité luxembourgeoise ne doit pas se limiter à l’expression de l’opinion des deux partis au pouvoir. Je vais aussi consulter les partis d’opposition sur le sujet dans les prochaines semaines.
Croyez-vous un accord possible?
Je le pense, mais il faut que ce soit à des conditions dans lesquelles je me retrouve. La législation sur la nationalité touche au fondement, à l’essence même du pays. Il ne faut pas faire une loi qui empêche la cohésion sociale de bien fonctionner. Voilà pourquoi j’accorde de l’importance à chaque élément de ce projet de loi.
Source: La Voix du Luxembourg, 29 mai 2006, Jean-Marie Denninger