Loin des ambitieux objectifs initiaux, le programme eLuxembourg s’apprête à rebondir avec la prochaine mise en oeuvre, par le ministre de la fonction publique Claude Wiseler, d’un “Plan directeur de gouvernance électronique”
paperJam: M. Wiseler, le projet e-Luxembourg a pris, par rapport aux objectifs initiaux, un retard conséquent. Pourquoi, et où en est-on?
Je souligne d’abord que ce dossier reste d’une importance et d’une actualité évidentes et claires pour le gouvernement, et qu’il est porté par tout le gouvernement. Nous avons essayé, ces derniers mois, de réorganiser notre façon de travailler. Car la “Task force” qu’avait mise en place François Biltgen, a accompli un travail substantiel, mais nous sommes arrivés à un moment où il faut repenser notre façon de travailler.
Le bilan de ce qu’a fait la “Task force” et de tous ceux qui travaillaient à e-Luxembourg est tout de même relativement important. 120 projets ont été entamés, dont 90 ont abouti cette année. Il s’agit surtout de sites Internet, d’équipement des écoles, etc. Toute une gamme de choses très importantes qui ont trouvé leur place dans ce que je qualifierais “le monde électronique luxembourgeois”.
Mais, je crois qu’il faut passer à une nouvelle étape. La Commission nationale pour la société de l’information (CNSI) n’existe plus telle qu’auparavant et nous avons créé, à la place, le CCME: le Comité de coordination de la modernisation de l’Etat. C’est un nom un rien barbare, qui ne me plaît pas, mais on n’en a pas trouvé d’autre!
Ce qui a changé, c’est que ce comité est présidé par le ministre de la Fonction publique et est composé de représentants des principaux ministères concernés. Nous nous réunissons tous les mois et nous donnons régulièrement un résumé des décisions que nous proposons au gouvernement, qui les accepte. J’insiste sur le mot décision, car ce comité décide. Cette façon de travailler nous permet d’être assez rapides.
Il est évident que les organes de travail que nous avons dû mettre en place font remonter les informations et préparent les dossiers pour le comité. Il s’agit surtout du service e-Luxembourg. C’est lui, d’ailleurs, qui a élaboré le plan directeur que nous allons présenter dans quelques jours au gouvernement. Nous avons aussi établis, au niveau du Centre informatique de l’Etat (CIE) – qui est, du point de vue technique, l’élément de base et dépend lui aussi du ministère de la Fonction publique – une cellule de compétence e-Luxembourg. Cette dernière s’occupe spécifiquement des projets dans ce cadre et veille à pouvoir réagir au niveau technique.
paperJam: Quel est précisément l’état d’avancement des projets en cours?
Il est tout aussi évident, d’abord, que le service e-Luxembourg, ni le CIE, ne vont pas réaliser eux-mêmes tous les projets. Il y a un certain nombre de demandes qui émanent des départements ministériels et des administrations, qui sont vérifiées au niveau du CCME et qui doivent correspondre à un certain nombre de critères, notamment financiers, pour être acceptés. Il y a aussi des demandes qui partent du CCME.
Il s’agit surtout de demandes structurelles, sans projet précis, mais qui visent à créer une infrastructure pour garantir que tout ce qui est fait au niveau des projets soit intégrable par la suite. Cela, c’est la grande deuxième étape qui est en cours.
Etape par étape
paperJam: Les évaluations publiées par la Commission européenne se montrent pourtant assez sévères…
Cela dépend d’un certain nombre d’éléments. J’ai la conviction que nous sommes sur la bonne voie pour avancer. Car ce que nous voulons et allons faire est tout à fait clair. Jusqu’à présent, nous avons travaillé essentiellement sur l’information. Nous avons mis en place de nombreux nouveaux sites d’information, où chacun peut obtenir les renseignements dont il a besoin. Maintenant, il y a les nouvelles étapes. C’est cela le saut que nous allons réaliser, sur l’interactivité.
Ce qui est déterminant, c’est la décision qui a été prise de ne pas attendre d’aller jusqu’au bout de chaque projet pour commencer. Cela veut dire que, pour avoir le summum dans un projet, il faudrait que la signature électronique soit prête, qu’une réorganisation administrative en back office soit faite, etc, et attendre que tout cela soit en place pour mettre quelque chose en ligne. Ce n’est pas la meilleure manière de procéder.
Celle-ci passe, pour moi, par le fait de délimiter les étapes et d’avancer jusqu’où on peut, pas à pas, en étant vigilant à produire dès qu’il est possible de produire quelque chose. Un exemple à ce propos est le site du ministère de l’Economie sur les entreprises. Il n’est pas encore interactif, comme on voudrait qu’il le soit au final. Mais il est sur écran et on peut déjà utiliser un certain nombre de choses, avec des données tout à fait intéressantes.
Je considère que François Biltgen a fait un très bon travail mais il est évident que nous avons un retard par rapport à un certain nombre de pays européen. Nous travaillons le plus rapidement possible pour pouvoir nous mettre en ligne là où nous pouvons le faire. Je ne conçois pas qu’il soit nécessaire de se comparer chaque semaine avec ses voisins. Je considère qu’il faut les regarder pour savoir ce qu’ils font, s’inspirer des bonnes idées et les prendre. On a un programme, on y travaille. C’est à lui que l’on doit se mesurer.
paperJam: Quelles sont ces étapes dont vous parliez?
Il faut passer à la production et aller là où on peut aller avec les moyens dont nous disposons. Première étape, donc, c’est l’information. Nous y sommes déjà très loin. Ensuite, ce sont les fonctions avancées de formulaires que l’on puisse télécharger et renvoyer par la poste ou déposer à l’administration concernée.
La troisième étape, c’est que ces formulaires puissent être remplis et renvoyés on-line, de manière interactive. La quatrième étape sera celle du traitement automatisé par l’administration, avec une simple vérification du fichier envoyé, avant qu’il soit avalisé. Encore une fois, il est essentiel d’appliquer ces étapes projet par projet et ne pas attendre que tout soit finalisé pour démarrer.
Je constate qu’il manque un certain nombre d’éléments pour passer aux deux dernières étapes, comme par exemple la signature électronique, qui est un élément important. Le ministère de l’Economie s’occupe de ce dossier et j’ai bon espoir d’une avancée pour pouvoir, dans tous les projets, sauter les étapes trois et quatre. C’est un élément qui nous manque. Mais ce n’est pas et ne peut pas être un fait qui nous empêche de travailler.
paperJam: Lorsque l’on constate certaines difficultés des citoyens face à certaines administrations, celles-ci sont-elles prêtes humainement?
La réponse ne peut pas être généralisée. Je rencontre des administrations qui souhaitent aller vite, qui ont très bien compris ce que peut leur apporter l’informatisation. J’en vois d’autres qui vont moins vite. Les unes, il faut leur donner les moyens d’y aller; les autres, il faut les convaincre. C’est tout à fait normal.
Ce qui est important, c’est de concevoir que l’informatisation de l’administration, les offres par e-Luxembourg, ne se feront pas sans l’administration. Même si je suis responsable d’e-Luxembourg, je ne pourrais pas imposer des méthodes de travail électroniques sans le faire avec l’administration. C’est ainsi un travail pour convaincre et pour identifier des besoins qui me paraît déterminant.
Au cours de ces dernières années – et c’est un des mérites de e-Luxembourg – la prise de conscience de la nécessité de s’informatiser s’est tout de même faite dans toutes les administrations. Certaines ne savent pas encore comment ou n’ont pas les moyens de la définir car elles ne savent pas encore comment s’habituer à cela. Mais il y en a beaucoup qui l’appellent.
paperJam: Ressent-on une poussée de la demande de la part des citoyens et entreprises?
Lorsqu’on met quelque chose en ligne, on perçoit qu’il y avait une très grande demande, car c’est beaucoup utilisé. Pour l’instant, cette demande s’articule peu, mais elle est évidemment là. Et le pays en a besoin. Il y a bien sûr des structures qui l’articulent mieux, comme les entreprises, les chambres professionnelles, ete, car elles ont un besoin immédiat et professionnel de toutes ces données.
C’est un travail de collaboration qui s’accomplit là. Ce n’est pas pour rien qu’il y a un commissaire de la simplification administrative et qu’il est membre de e-Luxembourg, car la simplification administrative passe sans doute aucun et en grande partie par l’informatisation de l’offre. Comme je suis à la fois ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative, je tiens à dire que le concept de la reforme doit être en parallèle avec l’informatisation de l’Etat.
Sur base des besoins des citoyens
Je voudrais justement utiliser e-Luxembourg pour faire une partie de la réforme. Parce que, si vous voulez appliquer les troisième et quatrième étapes précitées, vous devez réorganiser les flux d’informations et de travail. L’informatisation, en se basant sur une analyse de ces flux, permet ainsi de réfléchir sur votre organisation de travail et de vous réformer de façon normale, automatique, voulue et souhaitée. Pour moi, il est très important que la réforme administrative soit un processus constant, voulu et donc effectué avec la volonté des administrations de la faire. Je crois que c’est d’ailleurs très bien compris.
L’accélération de la démarche nous est imposée par le monde extérieur, c’est une évidence. Si le pays veut être compétitif, il faut que l’administration soit compétitive. Et si l’administration veut être compétitive, il faut que son offre soit également de qualité.
paperJam: Qu’en est-il de ce fameux portail unique annoncé pour fin… 2003?
Cela n’a pas encore abouti. On a maintenant un très grand nombre de projets de portails individuels. Un des grands défis des prochains mois à venir sera justement de réaliser ce portail unique avec non pas une organisation des questions à poser pour trouver le bon ministère, mais en s’appuyant sur les besoins des citoyens d’obtenir les réponses à leur question sans avoir à connaître qui peut les leur donner.
Ce travail n’est pas encore accompli. Je souhaite l’organiser le plus rapidement possible. Il faut aussi travailler en étroite collaboration avec les communes, parce qu’un grand nombre de renseignements et d’échanges administratifs du citoyen, dans des situations de vie très classiques comme une naissance ou un déménagement, concernent les communes.
paperJam: Vous êtes-vous fixé des délais?
Je suis très peu enclin à avancer des délais, car je vois que, dans les différentes étapes de l’évolution d’un tel dossier, vous avez toujours de nouvelles questions qui apparaissent. Je me méfie des délais imposés. Mon approche est celle déjà décrite, d’aller étape par étape et de ne pas être gêné de mettre en production quelque chose qui n’est pas parfait ou fini mais sur lequel on doit encore travailler. D’où les étapes que je propose.
Je n’ai pas de liste de priorité. Mais nous sommes occupés à finaliser la e-TVA, le cadastre pour la publicité foncière, mais aussi un certain nombre de formulaires électroniques que l’on a répertoriés auprès de toutes les administrations pour arriver à la deuxième étape, puis encore sur les soumissions publiques, et d’autres, tous maintenant en état d’être lancés. Certains projets, en outre, me tiennent personnellement à cœur, comme ceux, en cours, émis par la Fonction publique, pour l’organisation des documents, des traitements, des calculs des pensions, de la gestion humaine. Cela sera mis à disposition de toutes les administrations.
Ce qui est prioritaire également, c’est – car on l’oublie parfois – de construire la base pour la gestion électronique et l’interopérabilité des systèmes. Sans quoi, on s’éparpille complètement. Là, nous sommes en train de faire un gros travail au niveau du CIE.
paperJam: Quelles sont les grandes lignes du plan d’action?
Il s’agit du plan directeur de la gouvernance électronique, qui est, en fait, la mise en place de tout ce qui est au niveau du CIE, donc l’infrastructure de base. Ensuite, ce plan vise à relever tous les projets individuels, avec les chemins pour rentrer dans le cadre général fixé.
Il y a des grands axes que je résumerais de la façon suivante. D’abord, les projets d’organisation et de gestion, comme la GED (gestion électronique des documents), très importants pour une grande organisation administrative comme l’Etat. Ensuite, c’est l’axe du contenu et des services. Puis la technologie et les infrastructures, ce qui vise ici les guichets Internet mis à la disposition du public, comme la soixantaine déjà installés dans le pays.
Quatrième grand axe: l’éducation et la formation, avec l’Education nationale, les instituts de formation continue, l’Université du Luxembourg, etc. Le cinquième grand axe, enfin, est celui de la sécurité et du respect de la vie privée, par les moyens de contrôle et de vérification nécessaires. Le tout accompagné par la volonté de veiller à ce que les textes législatifs soient adaptés au besoin.
paperJam: Ce plan prévoit-il des échéances et des budgets?
Il y a les budgets et il y a les capacités humaines. Ces dernières sont, je crois, plus importantes pour l’instant que les budgets. J’ai beaucoup de soutien des ministres des Finances et du Budget pour les projets que nous présentons. Là où, parfois, le bât blesse, c’est au niveau des disponibilités et des capacités techniques, car il est quelques fois très difficile de trouver sur le marché les compétences et l’expérience toutes prêtes, surtout en informatique.
Mais il y a un point positif qui mérite d’être relevé: dix-neuf nouveaux postes ont, cette année, été créés à l’Etat pour des projets informatiques, ce qui n’est pas rien. Encore faut-il maintenant trouver les personnes compétentes.
Pour ce qui est des échéances, je souhaite qu’on les fixe projet par projet, après les avoir bien identifiés et décrits et après avoir trouvé dans chaque ministère la personne responsable. Alors, on fixera les délais et les échéanciers. Là, il faudra mettre en place, au niveau du CCME, des moyens de contrôle d avancée des projets pour que nous puissions mieux piloter le tout. Des tableaux de bord par projet, donc. Cela me paraît très important.
81 projets sont en cours. Je ne sais dire combien d’autres pourraient survenir, car une des grandes missions du service e-Luxembourg est maintenant de faire le tour des administrations pour analyser ce qui peut encore être utile dans le contexte des infrastructures généralisées. De ce travail d’analyse découlera la possibilité d’élaborer de nouveaux projets.
J’insiste encore sur le fait que, même si je souhaite accélérer le processus, le rythme sera toujours adapté à celui d’absorption par les administrations, car il faut changer de façon de travailler, de méthode, et il s’agit-là d’un effort conséquent.
Propos recueillis par Marc Vandermeir
Source: paperJam du 22 avril 2005