Laurent Mosar devant le Parlement européen

Le président de la Commission des Finances et du Budget à la Chambre des Députés et chef de la délégation COSAC expose ses points de vue sur les perspectives financières de l’Union européenne pour la période 2007-2013

Chères collègues et chers collègues parlementaires,

Débattre des perspectives financières de l’Union européenne pour la période 2007 – 2013 peut être chose plus ou moins aisée. Généralement, nous pouvons constater qu’entre parlementaires européens, l’entente peut assez rapidement s’installer, au vu d’ambitions européennes partagées. La Commission, gardienne du bien commun européen, a pu formuler une proposition qui est également porteuse d’ambition, au point de viser le relèvement sensible des ressources budgétaires de l’Union. Il semblerait que les désaccords les plus marqués se font jour entre représentants des Etats membres, dont l’ambition est trop souvent, de manière prédominante, nationale.

J’ose espérer que dans cette enceinte, nous ne nous considérions pas outre mesure comme les vecteurs de prolongation des positions de nos gouvernements respectifs. Ce n’est qu’ainsi que la présente conférence parlementaire pourra apporter une plus-value réelle aux efforts déployés par la présidence luxembourgeoise et les autres meneurs du jeu afin d’atteindre un compromis viable et substantiel avant le mois de juillet.

J’aimerais saluer cette initiative de rassembler, autour de membres chevronnés du Parlement européen qui font profession habituelle des perspectives financières de l’Union, des représentants des parlements nationaux dont le rôle dans les affaires communautaires, y compris dans le suivi de l’évolution des finances de l’Union, ne cesse de croître. Aussi aimerais-je remercier la commission temporaire sur les défis politiques et les moyens budgétaires de l’Union élargie 2007 – 2013, et notamment son président, qui n’est autre que le Président du Parlement européen, Monsieur Borrell Fontelles, de nous avoir conviés à cette réunion, et d’y avoir étroitement associé la Chambre des Députés luxembourgeoise en tant que législateur du pays exerçant actuellement la présidence de l’Union européenne.

Les parlements nationaux, représentés en force à cette réunion, doivent avoir conscience des responsabilités qui leur appartiennent en matière de finances communautaires. S’il est vrai qu’ils n’y mettent pas annuellement du leur, il reste que la loi européenne fixant le régime des ressources propres de l’Union devra, selon la Constitution pour l’Europe, être ratifiée par les Etats membres, à travers un processus qui sera parlementaire dans la grande majorité des cas. En outre, dans le cadre du contrôle qu’ils exercent sur les gouvernements nationaux respectifs, ils peuvent participer à la conception des positions nationales que les exécutifs de l’Union assumeront au Conseil des ministres. Tout ceci m’amène à considérer que les parlements nationaux ont bien leur rôle en matière de finances communautaires, et qu’à l’aune de l’entrée en vigueur de notre Constitution, ils devraient prendre un intérêt accru et conséquent à ce domaine.

Au cours des heures qui nous séparent du déjeuner de demain, nous allons sans aucun doute entendre des positions diverses et variées. Elles seront articulées par des membres du Parlement européen dont la compétence dans le domaine financier et budgétaire est unanimement reconnue ; et par des parlementaires nationaux souvent plus proches des attentes et des exigences spécifiques de leur pays et de leur opinion publique par rapport aux ressources budgétaires de l’Union. Chaque opinion qui sera exprimée est revêtue d’une légitimité propre.

Pourtant, si nous souhaitons que de cette réunion puissent être dégagée une contribution à la résolution du conflit politique portant sur l’orientation des ressources communautaires entre 2007 et 2013, il serait louable que nous ne fassions pas des divergences fondamentales entre positions gouvernementales une partie importante de notre propre profession de foi en cette matière.

Si la différence entre 1 pour cent et 1,26 pour cent du RNB des Etats membres pourrait sembler négligeable aux yeux de certains, la question qui nous préoccupe touche, en vérité, à l’essence même de ce que sera notre Union à la fin de la période de programmation financière de 2007 à 2013. Car entre la proposition de la Commission prévoyant de relever le seuil des engagements communautaires à 1,26 pour cent du RNB des Etats membres, d’un côté, et la ” position des six “, celle du groupe des contributeurs nets, qui ne veulent plus autoriser qu’un pour cent tout rond des RNB nationaux pour le budget des engagements de l’Union, il existe une différence de plus de 200 milliards d’euros sur l’horizon de programmation que nous contemplons. Plus de 1000 milliards, selon les uns, à peine plus de 800 milliards, selon les autres – un cinquième d’Europe en moins pour la position minimaliste, serait-on tenté d’affirmer.

Les choses ne sont bien entendu pas si simples. Nous allons entendre au cours de nos débats à quel point elles sont compliquées. Pour cette raison parmi d’autres, je n’ai pas l’intention de m’aventurer dans ce discours d’ouverture sur le terrain des détails. C’est effectivement là, comme le veut un vieux dicton, que le diable se trouve.

La question fondamentale que je souhaite soulever à ce stade n’est pas tellement celle de savoir si l’Union pourra, finalement, disposer de 1000 milliards ou de 800 milliards entre 2007 et 2013. Non, cette question concerne plutôt les besoins financiers réels et véritables résultant de l’ambition constitutionnelle d’une Union élargie. Il s’agit de savoir si 800 milliards peuvent être assez pour permettre à l’Union de mener à bien le rapprochement des régions défavorisés à la moyenne du niveau de vie communautaire, en gardant à l’esprit que la Roumanie, la Bulgarie et, qui sait, la Croatie devront encore rejoindre l’Union en 2007 ou à un avenir très rapproché. Si cela suffira pour réussir l’ensemble des grands chantiers internes, dont les réseaux transeuropéens ; si cela peut être suffisant pour renforcer le rayonnement européen à travers le monde, en dotant l’Union d’une politique étrangère et de sécurité qui se fasse sentir.

Nous devons savoir que cette Europe que nous appelons de nos voeux a un prix. Ce prix ne peut pas être établi par décret. Il est fixé par les réalités de notre temps, par les besoins du continent et des Européens, et il demande à être payé. Il est très probablement illusoire de vouloir maintenir l’arsenal politique déjà en place, le renforcer et l’étendre encore, et de réduire en même temps les moyens financiers qui le sous-tendent. Ce qui a été essayé à d’innombrables reprises dans les Etats membres eux-mêmes et n’y a pas pu fonctionner ne fonctionnera pas, miraculeusement, au niveau européen. Faire beaucoup plus avec beaucoup moins n’est, hélas, pas vraiment une approche réaliste. Ainsi est également reposée la question, ancienne au fond, de ressources véritablement ” propres ” de l’Union, au sens où elles seraient intégralement conçues, perçues et gérées par elle. Si nous parlons beaucoup de solidarité européenne, un début de solidarité fiscale, matérialisée à travers un prélèvement européen, pourrait constituer un pilier important des futures finances de l’Union.

En même temps, nous savons que les ressources existantes, même si elles étaient plafonnées à légèrement en dessus de un pour cent du RNB des Etats membres, peuvent être utilisées de manière différente, que le mode de leur allocation peut subir des recentrages. Effectivement, l’Europe est une affaire de solidarité et de priorités. Ainsi, que nous portions à l’heure actuelle une attention toute particulière aux nouveaux membres de l’Union – ceux qui le sont déjà et ceux qui doivent le devenir prochainement – ne devrait être que logique. Depuis les premières nouvelles accessions au début des années 1970, l’Europe communautaire a toujours consacré une partie importante de ses ressources au rapprochement du niveau de vie de ses nouveaux membres par rapport à la moyenne de la Communauté. Cela ne peut pas être différent à la suite du plus vaste mouvement d’élargissement que l’Union ait jamais connu. Et ce n’est pas une affaire de bonnes oeuvres : le marché unique européen fonctionne de manière telle que le relèvement du niveau de vie dans un Etat membre profite à l’ensemble de l’Europe.

Or, si les perspectives financières 2007 – 2013 ne pouvaient pas être basées sur une part des RNB nationaux au moins similaire à celle qu’elle est aujourd’hui, l’ensemble des politiques internes, et notamment les actions structurelles, en souffriraient. Cela ne peut laisser indifférent. Le Luxembourgeois que je suis pourrait à la rigueur encore se sentir peu concerné, notre territoire national n’étant pas d’une taille qui permettrait des disparités régionales trop voyantes. Mais presque partout ailleurs dans l’Union, ce sont précisément les politiques structurelles qui ont permis à certaines régions défavorisés par le cours des développements nationaux respectifs de se redresser, de trouver ou de retrouver un dynamisme propre, et ces politiques doivent continuer de servir. Si elles le pourront encore, après des coupes tout à fait incisives, reste à voir.

L’un des grands sujets de discussion européens des derniers mois a été la stratégie de Lisbonne. Sa mise en oeuvre, avec succès, ne sera pas gratuite. Il faut savoir que, même si une large part de l’implémentation de cette stratégie comme on dit en nouveau français reviendra aux Etats membres eux-mêmes, la création d’un espace européen de la recherche de pointe, de la haute technologie et des sciences de l’avenir requerra des moyens budgétaires communautaires qui seront tout, sauf négligeables. Il me semble que le Conseil européen de mars a été déterminé, et je m’en félicite, d’insuffler une nouvelle vie à la stratégie qui porte le nom de la capitale portugaise. L’ambition de Lisbonne a été retrouvée. Dès lors, et au risque d’employer l’une de ces formules qui sont malheureusement devenues des lieux communs, il faut également que l’Europe se donne les moyens de son ambition.

C’est dans ce contexte que surgit également le problème du financement efficace et conséquent de l’action européenne en matière de cohésion sociale et d’emploi. La politique est attendue sur ces sujets par l’opinion publique européenne, et d’ailleurs, ces domaines font partie intégrante de la démarche de Lisbonne. Dès lors, la réaffirmation et le renforcement des objectifs de Lisbonne s’accommoderaient mal de réductions budgétaires en relation avec eux. Même s’il était objectivement possible de faire mieux avec un peu moins – beaucoup est question d’efficience au même degré que de quantité – c’est de l’effet du signal vers l’opinion publique qu’il faut se méfier. Convaincre les Européens que leurs aspirations, espérances et soucis seront mieux servis avec moins de moyens budgétaires n’est certainement pas chose aisée.

Le débat qui sera celui d’aujourd’hui et de demain, et qui est celui d’innombrables conciliabules et réunions à un niveau élevé des exécutifs de l’Europe est un débat souvent et sur de larges plages technique. C’est une affaire qui concerne des rubriques, des chiffres, des pourcentages. Mais surtout, elle contient de l’Europe.

Les perspectives financières deviendront obligatoires avec l’entrée en vigueur de la Constitution pour l’Europe. La Charte fondamentale des Européens, si elle est approuvée par l’ensemble des Etats membres et acquiert force au 1er novembre 2006, exige que la programmation budgétaire européenne s’adjoigne la dimension du moyen terme. Et c’est tant mieux. Car si notre Union veut évoluer sur des bases faites de sécurité et de prévisibilité, il est indispensable qu’elle connaisse, au-delà des budgets annuels, le niveau des ressources permettant son action. Si déjà, la Constitution rend les perspectives financières obligatoires et les érige en institution des finances publiques européennes, les débats portant sur le prochain horizon de programmation devraient se montrer à la hauteur de l’importance de leur enjeu.

Chers collègues,Je souhaite que nos débats puissent commencer et je m’en tiendrai là, pour l’instant. J’espère que notre réunion puisse contribuer des éléments significatifs à la solution du problème des prochaines perspectives financières, et je réjouis de pouvoir prendre connaissance de vos opinions et convictions.

Laurent Mosar