Entretien avec le ministre du Tourisme, Fernand Boden : « La Vakanz est devenue un forum d’échange d’idées et d’expériences.»
La Voix: L’année dernière, le tourisme a connu une belle remontée après quelques années de crise ou de ralentissement. Le cataclysme en Asie du Sud a cependant terni ces résultats, et les agences de voyages seront cette année à nouveau confrontées à des clients hésitant à visiter certaines régions de notre globe, qu’en pensez-vous ?
Fernand Boden: Une première projection de l’Organisation mondiale du tourisme estime que le nombre d’arrivées de touristes internationaux est en passe de battre le record absolu. En effet, pour l’ensemble de l’année, son augmentation atteindra selon toute vraisemblance les 10%, soit un gain de 70 millions d’arrivées internationales.
Après trois années difficiles avec une croissance cumulée inférieure à 1 %, le tourisme international aura donc enregistré en 2004 un rebond convaincant. Il faut bien sûr tenir compte du fait que ce rebond est essentiellement une réaction au recul de l’an dernier qu’expliquaient les effets conjugués de la guerre contre l’Irak, le SARS et le tassement de l’activité économique internationale.
Si ces trois dernières années ont donc témoigné à maintes occasions de l’élasticité extraordinaire du secteur touristique et de sa capacité à surmonter les mauvaises passes, il est indéniable que la catastrophe exceptionnelle survenue dans l’océan Indien porte un nouveau coup de massue à un secteur qui vient à peine de se relever de ses blessures antérieures.
Bien que les experts en tourisme soient à peu près unanimes pour dire que l’impact de la catastrophe n’aura qu’un effet limité sur le tourisme mondial, il faut reconnaître que la réaction de soutien et d’aide de la part de la communauté touristique internationale a été unanime et spontanée. En signe de solidarité, l’Organisation mondiale du tourisme tiendra d’ailleurs une session de son Conseil exécutif à la fin du mois de janvier à Phuket, en Thaïlande, pour apporter son soutien et évaluer la situation afin d’adopter un plan d’action en faveur des destinations concernées.
Le tourisme luxembourgeois est un tourisme de proximité
La Voix: Quels sont les résultats touristiques du Grand-duché en 2004? Quel genre de tourisme sera favorisé dans les prochaines années?
Fernand Boden: Il faut rappeler d’abord qu’au cours des années précédentes (2001-2003), le Luxembourg avait bien résisté aux aléas de la conjoncture internationale défavorable, notre tourisme étant moins tributaire des problèmes et des risques liés au transport aérien. Le tourisme luxembourgeois se caractérise en effet depuis un certain nombre d’années par une stabilité à un niveau relativement élevé. Les résultats de l’année 2004 s’inscrivent à la fois dans cette optique et dans la tendance générale constatée au niveau international évoquée plus haut. Ainsi, l’hôtellerie affiche une hausse de 3,8 % pour les neuf premiers mois de l’année au niveau des arrivées et de 2,5 % pour celui des nuitées. A l’origine de cette embellie se trouvent les hausses de fréquentation des principaux clients de l’hôtellerie luxembourgeoise, Allemands, Belges, Français, Néerlandais, Italiens, mais surtout aussi des hôtes en provenance de Grande-Bretagne et des nouveaux Etats membres de I’UE. Ceci démontre que l’hôtellerie luxembourgeoise résiste plutôt bien à l’atonie des économies de ses principaux pays clients.
Même si on ne dispose pas encore de chiffres précis pour les campings, les premiers indicateurs laissent à penser qu’en raison de la météo capricieuse, la saison des campings aura été moins bonne qu’en 2003 qui fut quand même, rappelons-le, en termes de nuitées la deuxième meilleure année depuis 1961.
Selon l’Organisation mondiale du tourisme, «nous vivons une ère nouvelle, où les gens ont dû gérer leur insécurité. Ils se sont adaptés, mais ils veulent continuer à voyager et ils ont davantage de revenus pour le faire».
J’estime que le tourisme luxembourgeois, qui est en grande partie un tourisme de proximité et de courte durée, reflète et confirme ce diagnostic établi par I’OMT. Il explique en tout cas les bons résultats des dernières années et nous permettra d’envisager l’avenir touristique avec une certaine sérénité, si nous réussissons à nous adapter avec souplesse et imagination aux conditions changeantes du marché.
Promotion d’une image de marque du Grand-duché
La Voix: Quels accents le ministère du Tourisme veut-il porter dans les prochaines années? Est-ce qu’on ira faire de la promotion dans les pays limitrophes du Luxembourg ou est-ce qu’on étendra notre promotion à lUE 25?
Fernand Boden: Pour développer davantage l’économie luxembourgeoise, il est nécessaire de mettre l’accent sur la promotion d’une image de marque du Grand-duché. Le gouvernement est pleinement conscient que le tourisme contribue à la promotion de cette image de marque du pays.
«Qualité de vie et qualité de tourisme» est la vision centrale qui sous-tend le concept stratégique global sur lequel s’appuie notre politique en matière de développement futur du tourisme luxembourgeois. La stratégie nécessaire à la concrétisation de cette vision consiste dans l’offensive ciblée dans un petit nombre de segments à potentiel de croissance élevé que sont le tourisme de congrès et d’affaires, le tourisme culturel, le tourisme en milieu rural et le tourisme interne.
Parallèlement et dans l’optique d’une politique visant à augmenter le nombre de nuitées et le prolongement de la saison touristique, nous devons, dans le cadre des quatre segments à développer, concentrer nos efforts davantage sur la promotion touristique et l’élaboration de produits touristiques attractifs. Il y a lieu d’intensifier la dimension culturelle dans l’offre touristique. Gastronomie, culture et nature sont les éléments qui permettent de valoriser le tourisme de congrès non seulement dans la capitale mais également en milieu rural. L’année culturelle 2007 offrira l’occasion de positionner le Luxembourg et la Grande Région sur l’échiquier européen et de les présenter comme un espace pionnier en matière d’intégration européenne.
Les stratégies de marketing de l’Office national du tourisme s’inscrivent depuis un certain nombre d’années déjà dans cette politique: consolidation des marchés traditionnels (Belgique, Pays-Bas), progression sur les autres marchés européens (France, Allemagne, Italie, Espagne, Scandinavie, Royaume-Uni, Republique tchèque, Hongrie, Pologne), prospection de nouvelles clientèles sur les marchés tiers (Amériques, Asie, Australie), développement de nouvelles synergies avec la Grande Région (SarLor-Lux-Wallonie-Rhénanie-Palatinat), création de produits spécifiques pour chaque clientèle-type, promotion d’un eventmarketing, etc. Vu les résultats encourageants de l’année passée enregistrés en Europe centrale et son énorme potentiel de développement, un effort particulier sera porté cette année-ci aux marchés tchèque, hongrois et polonais, en collaboration avec Luxair.
Une organisation régionale professionnelle responsable
La Voix: Est-ce que les infrastructures existantes suffisent ou est-ce qu’on a prévu des améliorations et cela à quel niveau?
Fernand Boden: Dans le souci constant d’une amélioration des prestations de services à l’égard du client, le gouvernement entend encourager à tous les niveaux l’investissement dans l’infrastructure de l’offre touristique luxembourgeoise.
Parallèlement à la création de nouveaux produits touristiques innovateurs, apportant une plus-value à l’offre existante, le tourisme luxembourgeois a besoin d’une organisation régionale professionnelle responsable. En effet, si nous voulons que les syndicats d’initiative continuent à constituer la colonne vertébrale de notre tourisme dans le futur, il sera inévitable de les encourager à coopérer et à se regrouper, et de les encadrer par un personnel professionnel performant, capable d’assurer l’information, l’accueil et l’animation touristiques sur le terrain. Le renforcement de la structure régionale en général et la création d’agences touristiques performantes en particulier sont les mesures-clés et prioritaires dans le cadre de la réorganisation de la structure touristique luxembourgeoise. Le gouvernement va donc favoriser le développement progressif des ententes touristiques régionales existantes en des agences touristiques régionales.
Le 7e programme quinquennal touristique encourage et soutient, par ailleurs, les investissements dans l’amélioration des infrastructures touristiques et notamment celles des communes, des syndicats de communes, des syndicats d’initiative, des ententes de syndicats d’initiative, des associations sans but lucratif en faveur du tourisme et des investissements privés.
Un baromètre des fluctuations de la demande
La Voix: La foire « Vakanz » est devenue une réelle institution au Luxembourg, c’est le moment où la plupart des Luxembourgeois choisissaient leurs vacances d’été. Est-ce encore le cas? Le modèle de cette foire est-il encore opportun ou faudrait-il changer de style?
Fernand Boden: L’organisation d’un salon touristique paraissait une gageure il y a 15 ans. Aujourd’hui, et le nombre de visiteurs le confirme, la foire « Vakanz » est devenue, au-delà de son utilité matérielle et pratique directe, un forum d’échange d’idées et d’expériences, un lieu d’interaction et d’influence réciproques où s’instaurent de nouvelles et se consolident d’anciennes relations d’affaires, une fenêtre largement ouverte sur le monde du tourisme et des loisirs au sens le plus large du terme. Il est, en plus, le baromètre immédiat des changements et des fluctuations de la demande auxquels il essaie de répondre de la manière la plus rapide et la plus efficace possible. J’estime par ailleurs qu’un petit pays à vocation touristique tel que le nôtre a le droit, sinon le devoir, de se positionner sur le plan international par rapport à un marché de plus en plus disputé.
Propos recueillis par René M. Rausch
La Voix du Luxembourg du 14 Janvier 2005