Le Premier ministre Jean-Claude Juncker au sujet du raz-de-marée en Asie du Sud-est
France Inter: Bonjour, Jean-Claude Juncker.
Jean-Claude Juncker: Oui, bonjour.
France Inter: En tant que président en exercice de l’Union européenne, vous étiez présent jeudi dernier aux côtés notamment de Kofi Annan, le Secrétaire général de l’ONU, au sommet de Djakarta ainsi que vendredi à Bruxelles, où, au lendemain de ce sommet en Indonésie, se tenait un Conseil extraordinaire des ministres européens concernés par cette catastrophe asiatique. Or, à cette réunion de crise, il a été annoncé que l’aide totale de l’Europe aux pays sinistrés allait s’élever à un milliard et demi d’euros. Alors, question, Jean-Claude Juncker, vu l’ampleur de ce cataclysme, ce milliard et demi d’euros suffira-t-il ou n’est-ce qu’une première aide financière répondant avant tout aux besoins de première nécessité des populations sinistrées ?
Jean-Claude Juncker: À vrai dire, on ne connaît pas encore l’ampleur exacte du volume financier qu’a pour conséquence la tragédie dont nous parlons. J’ai annoncé jeudi à Djakarta une aide européenne d’un milliard et demi d’euros, plus ou moins 2 milliards de dollars. Il n’est pas exclu, il est même probable que d’ici quelques semaines, nous allons corriger vers le haut cette aide européenne. Nous verrons mieux après la conférence de Genève du 11 janvier quels sont les montants que nous devrons définitivement annoncer.
France Inter: Donc, vous voulez dire que pour reconstruire ces pays dévastés, vous n’excluez pas d’attribuer une nouvelle aide financière européenne qui, elle, s’inscrira dans la durée ?
Jean-Claude Juncker: Si les besoins étaient ceux que nous pensons qu’ils seront, il est évident que l’aide européenne doit suivre le rythme des constats. La Banque européenne d’investissement (BEI), pour le reste, va mettre en place une facilité qui portera sur un milliard d’euros, ce qui veut dire que l’Europe inscrira son effort dans la durée. En effet, il est évident qu’il faudra passer rapidement de l’aide humanitaire immédiate d’urgence vers la réhabilitation et la reconstruction. Il ne faudrait pas un laps de temps trop long entre l’aide immédiate et l’aide qui s’inscrira dans le moyen et le long terme.
France Inter: Cela dit, Monsieur le Président, comment comptez-vous aussi assurer sur place le suivi de cette énorme manne financière européenne afin d’être sûr qu’elle soit utilisée à bon escient? Après tout, une autre catastrophe récente en Iran, à Baam, il y a eu une infime partie des sommes promises qui en fait ont été réellement débloquées.
Jean-Claude Juncker: Nous étions sur place, moi-même, le président de la Commission, Barroso, et le commissaire chargé de l’aide au développement, Monsieur Louis Michel, et mon propre ministre de la Coopération, Monsieur Schiltz, étaient sur place avec les instances directement compétentes de l’ONU. Nous avons vérifié les moyens d’une coordination plus poussée. En effet, la coordination, la chance de la coordination, relève des organisations spécialisées des Nations unies qui, sur place, s’occuperont de la coordination. Il faut veiller à ce que les moyens qui ont été alignés, les moyens publics, officiels, auxquels on doit ajouter les collectes privées, trouvent une application sur place qui convienne aux besoins. Nous avons constaté lors de crises précédentes qu’on a annoncé des volumes financiers importants, mais qu’en fait l’absorption de ces moyens n’était pas faite. Cette fois-ci, il faudra faire en sorte que chaque euro décidé arrive à destination.
France Inter: Mais comment pouvez-vous en être sûr, totalement sûr, étant entendu que tout le monde sait que la corruption fait malheureusement partie des mœurs de plusieurs des pays sinistrés?
Jean-Claude Juncker: Il faudra que sur place, nous disposions d’agents spécialisés qui assurent, qui garantissent la destination des aides décidées.
France Inter: Et autre question, Jean-Claude Juncker, autre question au président actuellement en exercice de l’Union européenne, au sommet de Jakarta, vous étiez présent, l’hypothèse d’un moratoire sur le remboursement des dettes des pays sinistrés a été approuvée. Mais franchement, dans le cas d’un pays comme l’Indonésie, plus touché par ce raz-de-marée, plus de 100 000 morts, un pays dont la dette atteint 130 milliards de dollars, je crois, c’est-à-dire la plus élevée, de loin, de tous les pays ravagés, est-ce qu’il ne faut pas aller plus loin qu’un moratoire en envisageant carrément des effacements d’une partie des dettes de ce pays ?
Jean-Claude Juncker: Moi, personnellement, je suis en faveur d’un désendettement intégral de ces pays-là, mais il faudra voir avec ceux que cela concerne plus directement, c’est-à-dire les pays membres du Club de Paris, quelles peuvent être les modalités du moratoire, voire du désendettement.
France Inter: Et est-ce que vous êtes favorable aussi à l’idée de créer le plus vite possible une force européenne d’intervention humanitaire ou de protection civile, comme le réclament certains, Jacques Chirac en tête, et ceci afin de faire face à ce type de catastrophe naturelle, soudaine et brutale, des catastrophes qui risquent malheureusement de se multiplier avec notamment, avec le réchauffement climatique?
Jean-Claude Juncker: Les gouvernements européens, vendredi, ont décidé d’étudier la mise en place d’une capacité de réaction rapide. Je crois que c’est une décision sage. J’en ai parlé avec Jacques Chirac, le président de la République. Mettre en place une capacité de réaction rapide ne sera d’aucune utilité immédiate, puisqu’elle n’existe pas et que la tragédie est arrivée, mais pour les crises, qui probablement vont se produire dans les années et les décennies à venir, il serait évident que le fait d’avoir à notre disposition une capacité de réaction rapide serait la bienvenue. Nous allons le faire.
France Inter: Au passage, Jean-Claude Juncker, qu’est-ce qu’a pensé le président en exercice de l’Union européenne de l’annonce par George Bush, trois ou quatre jours après ce désastre, que son pays, les États-Unis, allait prendre la tête d’une coalition humanitaire associant l’Inde, le Japon, l’Australie et le Canada, mais pas l’Europe. Est-ce que cette déclaration vous a choqué ?
Jean-Claude Juncker: Non, mais j’ai eu un entretien téléphonique avec le président Bush. Je l’ai félicité pour la rapidité de la réaction américaine tout en lui expliquant qu’à nos yeux, la coordination relevait des Nations unies et vous avez constaté qu’entre-temps, les États-Unis ont abandonné cette idée de la première coalition informelle, qui ne comprenait pas l’Europe et que les États-Unis se sont rangés sous les drapeaux onusiens.
France Inter: Et une toute dernière question, Monsieur le Président, sur un tout autre sujet d’actualité immédiat lui aussi, aujourd’hui dimanche 9 janvier. Les Palestiniens sont appelés à choisir le successeur de Yasser Arafat à la tête de l’Autorité palestinienne. Alors qu’en attendez-vous, qu’attend le président en exercice de l’Union européenne de cette élection du successeur d’Arafat ? Selon vous, quelle devrait être sa priorité des priorités ? Brièvement.
Jean-Claude Juncker: Mais je crois que la première des priorités est que le processus de paix reprenne, que les négociations reprennent. L’Union européenne sera présente dans la région vers la fin du mois de janvier et nous mettrons ensemble tous nos efforts, toutes nos énergies avec les Américains, avec d’autres pour débloquer enfin ce processus enlisé, déblocage des plus importants puisqu’il s’agit d’une région du monde qui nous est très proche.
France Inter: Merci, Jean-Claude Juncker. Merci, Monsieur le Président.
Jean-Claude Juncker: Merci.
Radio France Inter du 9 janvier 2005/SIP Service information et presse