Dix questions sur le chômage au Luxembourg; François Biltgen, ministre du travail, répond.
1. Depuis octobre 2001, le chômage augmente à Luxembourg, alors qu’il était à la baisse depuis quelques années. Le taux a été de 3,8% en janvier de l’année. Quelles sont les raisons de l’accroissement?
François Biltgen, ministre du travail:
Le ralentissement économique international, l’attentisme des investisseurs devant l’incertitude du dossier irakien, la restructuration nationale internationale du secteur financier sont les raisons principales de l’accroissement du chômage également au Luxembourg. Les offres de l’emploi déclarées auprès de l’ADEM ont connu une baisse de 31,9% en moyenne de 2002 à 2001. Même si 60% des demandeurs d’emploi retrouvent un emploi endéans les 6 mois, il est actuellement nettement plus difficile pour l’ADEM de replacer les demandeurs d’emploi.
2. Est-ce que nous pouvons-nous contenter que le taux de 3,8 % est le plus bas en Europe et que les théoriciens économiques fixent le « taux de chômage incompressible » à 4%?
François Biltgen, ministre du travail:
Ce n’est pas le taux qui doit nous préoccuper, mais les hommes et les femmes qui se cachent derrière : 3,8% ce sont plus de 7.500 hommes et femmes dont la plupart ne demandent qu’à reprendre un travail. D’ailleurs si on ajoute les personnes qui se trouvent en mesures d’emploi, (2.756), le chiffre dépasse les 10.000 et les 4%.
3. Quels sont les changements structurels que vous remarquez dans le chômage actuel?
François Biltgen, ministre du travail:
Lorsque le chômage était descendu à 2,5%, donc en-deça du taux soi-disant incompressible, le chômage était largement structurel ou social. Les gens qui tardaient à retrouver un emploi étaient des personnes soit sans qualification ou à déficits de santé ou sociaux. Actuellement le chômage se compose en partie d’un élément conjoncturel ou économique. On constate deux nouvelles évolutions:
les nouveaux inscrits proviennent d’abord des deux secteurs qui avaient embauché le plus ces dernières années, soit l’intermédiation financière et les services aux entreprises; ces personnes veulent bien entendu travailler dans ces secteurs, mais ces secteurs connaissent un emploi à la baisse ;
parmi les nouveaux demandeurs d’emploi il y en a davantage qui ont une qualification, ce qui n’était guère le cas à l’époque récente. Ainsi en décembre 1999 55,9% des inscrits n’avaient pas de qualification et 9,3% avaient une qualification post-secondaire. En décembre 2002 ces chiffres étaient de 45,3% et de 16,8%.
Il ne faut pas oublier qu’il y a des secteurs qui embauchent : e.a. santé et action sociale, hôtellerie et restauration. Par ailleurs le Luxembourg étant une économie de petit espace, il risque toujours d’y avoir une pléthore dans certaines professions et une pénurie d’autres, même – ou surtout – pour les professions hautement spécialisées. Ainsi il y a quelques années à peine, on voulait reprocher au Gouvernement de ne pas ouvrir les portes assez larges aux informaticiens de toute sorte. Or actuellement ils sont nombreux à être sans emploi.(pour info : 12 informaticiens avec formation ; 269 inscrits cherchant un emploi dans le domaine informatique).
Il faudra donc que certains demandeurs d’emploi soient également prêts à se faire recycler. L’ADEM offre des possibilités en ce sens tout comme les instituts de formation sectoriels comme celui de la place financière et celui de la construction. Malheureusement tous les demandeurs n’acceptent pas à ce stade ces offertes et espèrent que la chance leur sourie sous peu dans leur secteur d’origine ou leur profession attitrée.
4. Le paradoxe de voir se créer des postes occupés par des non résidents alors que le chômage résident augmente, va-t-il continuer?
François Biltgen, ministre du travail:
Oui. Il y a toujours eu et il y aura toujours une inadéquation entre offre et demande. Les demandeurs d’emploi ne correspondent souvent pas aux postes vacants. Ceci explique la position du Gouvernement qui réfute une réduction généralisée et légalisée du temps de travail, étant entendu qu’une réduction du temps de travail ponctuelle peut bien créer ou du moins sauver des emplois.
De toute façon, il n’a jamais eu assez de Luxembourgeois pour embrasser tous les emplois créés. Entre 1997 et 2002 60.000 nouveaux emplois ont été crées qui ont été occupés par
6.000 Luxembourgeois
15.000 résidents non Luxembourgeois
39.000 frontaliers!
Sans l’apport des étrangers et notamment des frontaliers le Luxembourg n’aurait jamais connu le développement spectaculaire des dernières années et la prospérité économique actuelle. Les entreprises étrangères n’auraient pas pu s’établir chez nous faute de main d’œuvre. L’ouverture des frontières au sein de l’Europe a donc été une formidable chance.
Mais cette médaille a un revers. Les résidents se trouvent désormais en situation de compétition au sein de la Grande Région. Le chômage est assez élevé dans la Grande Région (Wallonie : 16,7% ; Sarre : 9,3%, Lorraine : 8,5%, Rhénanie-Palatinat : 7,5%). En plus les entreprises étrangères ont quelquefois tendance à recruter dans leur pays d’origine. Et la présence massive de non-nationaux dans certaines branches favorise le recrutement « de bouche à oreille » dans les pays d’origine des salariés. Tant qu’il s’agit de ressortissants communautaires, il n’y a pas lieu de freiner cette tendance. En revanche le Gouvernement n’entend pas abolir l’obligation d’un permis de travail pour les ressortissants non communautaires. Ces permis seront refusés s’il y a des travailleurs appropriés sur place et à fortiori si le poste n’a pas été déclaré vacant auprès de l’ADEM.
6. Le chômage va-t-il encore croître en 2003?
François Biltgen, ministre du travail:
Tant que l’emploi ne reprend pas substantiellement, le chômage va avoir tendance à croître. Certes, le chômage a une évolution saisonnière. En janvier il est le plus élevé. Par après il a tendance à décroître pour réaugmenter dans la deuxième moitié de l’année. Une prochaine accalmie ne signifie donc pas nécessairement une rupture de tendance. Par ailleurs l’emploi a toujours un retard certain sur l’évolution économique. En 2001 l’emploi croissait encore à un moment où l’activité économique s’essoufflait. De même une reprise économique ne va-t-elle avoir qu’un effet différé sur l’accroissement de l’emploi et partant sur la baisse du chômage.
7. Quelle croissance de l’emploi faut-il pour que le chômage commence à nouveau à baisser?
François Biltgen, ministre du travail:
Le STATEC a calculé empiriquement qu’il faut un accroissement de 3,5 à 4% de l’emploi pour que le chômage baisse. Ceci s’explique du fait que notre marché du travail est en situation de compétition avec l’étranger et que nous avons une économie de petite échelle, Ceci dit, si notre économie n’était pas ouverte, elle se porterait beaucoup plus mal et il y aurait certainement beaucoup de chômeurs faute de création d’emplois.
8. L’évolution du chômage est-elle donc uniquement fonction de l’emploi ? La loi PAN n’a-t-elle pas eu de résultats positifs sur la résorption du chômage?
François Biltgen, ministre du travail:
Non bien au contraire. Les chiffres le prouvent. Au début des années ’90 le chômage augmentait alors que la création d’emplois oscillait bien entre 3 et 4%. Ce n’est qu’à partir de la deuxième moitié de cette décennie que le chômage baissait, ceci notamment grâce aux réformes successives de l’ADEM et bien entendu à la loi dite PAN (plan d’action national pour l’emploi) de 1999. L’idée force de l’ADEM nouvelle mouture est l’individualisation de la prise en charge du demandeur d’emploi. Comme il y aura toujours une inadéquation entre offre et demande, il faut préparer les demandeurs d’emploi pour qu’ils soient aptes à confronter l’offre d’emplois.
Je ne citerai que quelques mesures particulièrement intéressantes :
environ 65% des jeunes qui sont sortis d’un CAT (contrat d’auxiliaire temporaire) retrouvent un emploi dans le mois suivant la sortie de mesure (que celle-ci soit menée à son terme ou non)
75% des jeunes demandeurs d’emploi ayant bénéficié d’un stage d’insertion en entreprise ont trouvé un emploi à l’issue de ce stage
90% des personnes affectées au « pool des assistants pédagogiques » ont retrouvé un emploi en cours de cette activité.
Les différentes formations informelles mises en œuvre ces derniers temps avec les entreprises sont particulièrement valorisantes. Ainsi, pour ne nommer que celles-ci il y a eu à ce jour 9 formations «agent de fabrication», 11 formations de «pool commerce», etc. Au cours de ces semaines, une première formation «accueil hôtellerie» sera proposée en collaboration avec les responsables de l’HORESCA aux ressortissants du secteur bancaire désireux de se réorienter vers le secteur Horeca.
9. Quels sont les catégories de chômeurs qui causent les plus de soucis?
François Biltgen, ministre du travail:
Même si c’est la catégorie des jeunes demandeurs d’emploi de moins de 26 ans qui croît le plus, je me fais le plus de soucis pour les travailleurs âgés. Certes, leur nombre augmente moins rapidement que la moyenne. On doit cependant constater que 40% des chômeurs âgés de plus de 50 ans sont en recherche d’un emploi pendant plus de 12 mois. Ces chômeurs risquent donc de devenir des chômeurs de longue durée. Pourtant l’Etat a mis en œuvre des incitations substantielles pour les employeurs engageant des salariés âgés resp. de longue durée:
paiement des cotisations patronales pendant 7 ans
bonification d’impôt de 10% pendant 4 ans
paiement pendant 4 ans d’une aide au réemploi au demandeur d’emploi dont le nouveau salaire est moins élevé que le précédent.
Malheureusement il semble bien que la plupart des entreprises veuillent toujours embaucher des « jeunes cadres dynamiques » plutôt que des travailleurs expérimentés. C’est une mauvaise approche.
10. Certaines organisations internationales nous reprochent notre législation du travail assez stricte et pense qu’un assouplissement faciliterait les embauches. Faut-il suivre ces conseils?
François Biltgen, ministre du travail:
Certains prétendent en effet qu’il faudrait assouplir les conditions de licenciement pour les travailleurs âgés pour faciliter leur engagement. Le Gouvernement ne croit pas à ce paradoxe. En revanche, contrairement à ce qui se passe heureusement actuellement, ils courraient le risque d’être licenciés en masse, sans que leur chance de retrouver un emploi n’augmente. De même suis-je particulièrement fier que nous avons un taux de 90% environ de contrats à durée indéterminée et seulement 10% environ de contrats de travail précaires. Car ces contrats sont les premiers qui cessent en cas de ralentissement des activités. On ne peut pas certes rendre plus contraignant le droit du travail trop sous peine de ne plus voir créer des emplois. Mais les grands principes de notre droit du travail ne doivent pas être modifiés. D’ailleurs notre droit du travail n’a nullement empêché la création massive d’emplois ces dernières années.
Les chômeurs ne doivent-ils pas également faire des efforts? Que fait l’ADEM en face de demandeurs d’emplois récalcitrants?
François Biltgen, ministre du travail:
C’est certain que le demandeur d’emploi doit également faire des efforts. Le contact avec le placeur est primordial. L’absence non justifiée d’un demandeur d’emploi indemnisé est en principe sanctionnée par un retrait partiel des indemnités de chômage complet :-7 jours pour une première absence, – 30 jours en cas de récidive et finalement le retrait définitif des indemnités de chômage complet en cas de 3 absences consécutives non-justifiées. Ainsi, 7741 sanctions ont été prononcées par l’ADEM en 2002, dont 624 radiations définitives. Il faut cependant noter que moins de la moitié des demandeurs d’emploi sont des chômeurs indemnisés (3.632 fin janvier 2002)!