Proposition de loi relative aux prénoms des enfants

Proposition de loi du député Laurent Mosar visant à réformer la législation en matière de prénoms des enfants
I. EXPOSE DES MOTIFS

La législation luxembourgeoise en matière de prénom de l’enfant est antérieure au Code civil et date de la Révolution française. Cette législation se caractérise par une certaine rigidité. En effet, l’article 1er de la loi 11-12 germinal an XI énumère de façon limitative les noms qui peuvent être reçus comme prénoms sur les registres de l’état civil. En l’occurrence, il s’agit ” des noms en usage dans les différents calendriers et ceux des personnages connus de l’histoire ancienne “. D’après la disposition précitée, ” il est interdit aux officiers publics d’en admettre aucun autre dans leurs actes “.

Dans sa réponse à la question parlementaire n°1971 du 18 décembre 2002, le Ministre de la Justice a fourni les précisions suivantes en ce qui concerne la pratique suivie en matière de prénoms :

“La législation sur les prénoms prévoit que les prénoms doivent être choisis parmi ceux en usage dans les différents calendriers. Dans la mesure où ces calendriers sont, à l’instar de notre société, devenus plus internationaux pour les uns, voire plus luxembourgeois pour les autres, la pratique des officiers de l’état civil en matière de prénoms a, à juste titre, fortement évolué.

Sont aujourd’hui acceptés tous les prénoms, à condition qu’il s’agisse d’un véritable prénom pour une personne du sexe en question, même s’ils sont d’origine anglaise, scandinave, russe, ou autre. Il s’agit en général de noms qui sont devenus connus et courants partout en Europe.

Cependant les officiers de l’état civil doivent refuser à inscrire dans les actes de naissance les noms purement fantaisistes, ceci dans l’intérêt des enfants “.

En ce qui concerne le droit comparé, il convient de relever que des pays comme la Belgique (loi du 15 mai 1987) et la France (loi du 8 janvier 1993) ont réformé au cours des deux dernières décennies leur législation en matière de prénom. Ces lois se caractérisent par un assouplissement considérable des règles de choix des prénoms.

Dans l’affaire Guillot c. France (arrêt du 24 octobre 1996) concernant l’application de l’article 1er de la loi du 11-12 germinal an XI, la Cour européenne des droits de l’homme relève que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ne contient pas de disposition explicite en matière de prénom. ” Toutefois, en tant que moyen d’identification au sein de la famille et de la société, le prénom d’une personne, comme son prénom (?) concerne sa vie privée et familiale. De surcroît, le choix du prénom de l’enfant par ses parents revêt un caractère intime et affectif, et entre donc dans la sphère privée de ces derniers “.

Vu l’évolution générale de la société et vu la diversification des prénoms dans la plupart des pays européens, on peut actuellement émettre de sérieux doutes quant à la compatibilité de la législation luxembourgeoise, à savoir l’article 1er de la loi 11-12 germinal an XI, avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre le principe du respect de la vie privée et familiale.

Même si la pratique administrative poursuivie au Grand-Duché laisse aux parents une certaine marge de manoeuvre dans le choix du prénom de leur enfant, l’auteur de la présente proposition est d’avis qu’une réforme de la législation luxembourgeoise s’impose. En effet, il convient de garantir la sécurité juridique tant à l’égard des officiers de l’état civil qu’à l’égard des parents de l’enfant.

Dans ce contexte se pose également une autre problématique, à savoir celle de l’enfant mort-né ou mort avant la déclaration de naissance. D’après l’article 1er du décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction lorsqu’un enfant est présenté sans vie à l’officier de l’état civil, l’officier de l’état civil ne dresse pas d’acte de naissance, mais il établit un acte de présentation sans vie qui est inscrit dans le registre aux actes de décès. En même temps, selon l’article 1er de la loi 11-12 germinal an XI, l’enfant mort-né ou mort avant la déclaration de naissance n’a pas droit à un prénom.

Cette situation est très insatisfaisante pour les parents de l’enfant mort-né ou mort avant la déclaration de naissance, alors qu’elle est susceptible d’aggraver encore le deuil des parents. L’auteur de la proposition de loi estime qu’il convient de remédier à cette situation en donnant aux parents la possibilité de donner un prénom à leur enfant mort-né ou mort avant la déclaration de naissance.

La proposition de loi comporte trois volets:

– l’assouplissement des règles de choix des prénoms: liberté de choix des parents, sous réserve du respect des intérêts de l’enfant et des droits des tiers;

– la consécration du principe suivant lequel tous les enfants ont droit à un ou plusieurs prénoms, y compris l’enfant mort-né et l’enfant mort avant la déclaration de naissance;

– le renforcement des droits de la défense des parents, essentiellement par la création de voies de recours.

II. TEXTE DE LA PROPOSITION DE LOI

Article unique

L’article 1er de la loi 11-21 germinal an XI relative aux Prénoms et changements de Noms est remplacée par les dispositions suivantes :

Art. 1er. 1. Chaque enfant, même s’il est mort-né ou mort avant la déclaration de naissance, a le droit de porter un ou plusieurs prénoms.

2. Le ou les prénoms de l’enfant sont choisis par ses père et mère.

3. La femme qui a demandé le secret de son identité lors de l’accouchement peut faire connaître le ou les prénoms qu’elle souhaite voir attribuer à l’enfant.

4. A défaut ou lorsque les parents de celui-ci ne sont pas connus, l’officier de l’état civil choisit trois prénoms dont le dernier tient lieu de patronyme à l’enfant.

5. Tout prénom inscrit dans l’acte de naissance peut être choisi comme prénom usuel.

Art. 1er bis. L’officier de l’état civil ne peut recevoir dans l’acte de naissance des prénoms pouvant nuire à l’intérêt de l’enfant ou aux droits des tiers.

Art. 1er ter. 1. Les parents peuvent introduire un recours contre la décision de refus devant le Ministre de la Justice.

Le délai d’introduction du recours est de dix jours à compter du jour du refus de la demande d’inscription.

2. Contre la décision du Ministre de la Justice, un recours en réformation est ouvert devant le Tribunal administratif.

Contre le jugement du Tribunal administratif, appel peut être interjeté devant la Cour administrative.

3. Mention des décisions rendues au titre du présent article est portée en marge de l’acte de naissance de l’enfant.

III. COMMENTAIRE DES ARTICLES

La présente proposition de loi comporte un article unique qui a pour objet de modifier et de compléter l’article 1er de la loi 11-12 germinal an XI par les dispositions suivantes :

Article 1er

Cet article pose le principe suivant lequel chaque enfant a le droit de porter un ou plusieurs prénoms. Dès lors, l’enfant mort-né ou mort avant la déclaration de naissance bénéficiera également de ce droit. D’autre part, cet article précise les personnes compétentes pour choisir le nom des enfants. Il s’agira en principe des père et mère de l’enfant et à titre très exceptionnel de la mère, respectivement de l’officier de l’état civil.

Article 1er bis

Cet article fixera une double limite au libre choix des parents en matière de prénom. D’une part, les prénoms choisis devront respecter l’intérêt de l’enfant. Seront contraires à l’intérêt de l’enfant les prénoms ayant par exemple une apparence ou une consonance ridicule, grossière ou fantaisiste. D’autre part, les prénoms choisis devront préserver les droits des tiers à voir protéger par exemple leur nom patronymique.

Article 1er ter

Cet article créera des voies de recours contre la décision de refus d’inscription. Deux étapes seront prévues: à savoir en premier lieur un recours gracieux devant le Ministère de la Justice et en deuxième lieu recours contentieux devant les juridictions administratives. Toutes les instances de recours auront le pouvoir de réformer la décision de l’officier de l’état civil, ce qui implique le pouvoir de prendre une décision au lieu et place de ce dernier.

En ce qui concerne les délais pour agir et la procédure applicable devant les juridictions administratives, le droit commun s’appliquera. Mention des décisions rendues au titre du présent article sera portée sur l’acte de naissance de l’enfant.

Luxembourg, le 6 mars 2003

L’auteur de la proposition de loi, Laurent MOSAR Député 3