«Le gouvernement veut adapter le cadre législatif aux besoins des professionnels»

Interview de Monsieur le Ministre Luc Frieden, parue au supplément «European Fund Awards» du «Luxemburger Wort» le 28 février 2003; les sujets traités: Fonds d’investissement, surveillance du secteur financier, fonds de pension, Hedge Funds, fiscalité de l’épargne , libre commercialisation des fonds en Europe.

Le Luxembourg est le premier pays européen à avoir transposé les troisièmes directives européennes sur les fonds d’investissement en droit national, dix mois à peine après leur publication au Journal officiel des Communautés européennes. Une procédure législative exceptionnellement rapide. Cela suffira-t-il à donner au Luxembourg un avantage compétitif significatif pour son développement à venir en matière de fonds d’investissement? Le délai imposé par la Commission pour la commercialisation des nouveaux produits dans d’autres pays de l’Union européenne ne va-t-il pas placer tous les Etats sur un pied d’égalité?

La volonté de consolider

Luc Frieden: «Je me réjouis que nous ayons réussi à transposer si rapidement ces directives. Cela démontre notre volonté de consolider et de développer le secteur des fonds d’investissement à Luxembourg.

La loi portant transposition des directives OPCVM de troisième génération élargit considérablement la gamme des produits que les fonds luxembourgeois peuvent offrir à leur clientèle sous le couvert du passeport européen. Cette offre de produits englobera dorénavant les fonds investissant dans des dépôts bancaires ou encore dans les instruments du marché monétaire ou dans les produits dérivés, ainsi que les fonds indexés et les fonds de fonds.

Rien ne s’oppose à ce que la commercialisation des fonds luxembourgeois se fasse dès avant février 2004 dans les autres Etats de l’Union au fur et à mesure où ces derniers transposeront aussi les nouvelles directives.

Même si les fonds de troisième génération ne pouvaient pas être commercialisés dans toute l’Union avant février 2004, la transposition rapide des directives présente déjà des avantages pour les promoteurs de fonds. Ils disposent ainsi de plus de temps pour adapter les fonds existants aux nouvelles exigences et pour mettre en place de nouvelles structures. La création d’un fonds d’investissement prend en effet un certain temps et il importe aux promoteurs de connaître dès que possible les nouvelles règles. Les promoteurs devraient donc être sensibles à la rapidité avec laquelle le Luxembourg a transposé les directives dans son droit national.

La loi de décembre 2002 ne règle pas toutes les questions de détail. La CSSF travaille actuellement ensemble avec des professionnels du secteur financier sur des circulaires visant à apporter quelques précisions, notamment en matière de sociétés de gestion.»

Renforcer la confiance des investisseurs

Un projet de loi déposé récemment à la Chambre des députés prévoit notamment de renforcer la surveillance prudentielle des activités d’administration de fonds. La législation actuelle n’était-elle pas suffisante?

Luc Frieden: «Si, mais le projet de loi no. 5085 tient compte des développements intervenus dans le secteur financier ces dernières années et a pour objectif de diversifier les activités de la place financière. Le Gouvernement veut adapter le cadre législatif en place aux besoins des professionnels financiers. Le projet de loi définit notamment les statuts d’agent de transfert et de registre, de gestionnaire d’organismes de placement collectif et d’agent de communication d’informations. Cette législation vise à renforcer la confiance des investisseurs dans le secteur financier, à faciliter l’exercice de la surveillance prudentielle et à diversifier la panoplie des services financiers pouvant être offerts à partir du Luxembourg. La CSSF est d’ores et déjà confrontée à des demandes pour de nouveaux établissements sous la législation en question. Voilà pourquoi le Gouvernement souhaite voir ce projet de loi adopté avant l’été.»

Fonds de pension:

une directive peut-être avant l’été

Les négociations concernant une directive européenne en matière de fonds de pension semblent progresser. Pensez-vous un compromis possible à brève échéance? Quel pourrait en être l’impact pour le Luxembourg?

Luc Frieden: «Il n’est pas exclu que cette directive soit adoptée avant l’été. Je m’attends à ce qu’elle produise des retombées positives pour le Luxembourg. Les fonds de pension luxembourgeois pourront à l’avenir être commercialisés à travers l’Union sous le couvert du passeport européen. La directive ne permet cependant pas d’éliminer tous les obstacles à la libre circulation des produits de pension. Ce sont surtout les mesures fiscales nationales qui constituent un frein à la commercialisation de ces produits. Mais là encore les choses semblent bouger. La Commission européenne a récemment engagé une action à l’encontre de six Etats membres dont elle juge les dispositions fiscales discriminatoires vis-à-vis des fonds de pension étrangers. Ces développements au niveau communautaire devraient favoriser l’essor des fonds de pension luxembourgeois, alors que nous avons déjà une législation très intéressante en place pour les entreprises internationales.»

Plus généralement, quels sont les dossiers sur lesquels le gouvernement travaille pour renforcer la compétitivité du Luxembourg en tant que plate-forme européenne des fonds d’investissement?

Luc Frieden: «La CSSF a publié en décembre dernier une circulaire définissant un cadre réglementaire spécifique aux Hedge Funds. L’idée est de compléter la gamme des services offerts aux promoteurs de fonds. Dans le même ordre d’idées, nos services travaillent actuellement sur un avant-projet de loi visant à promouvoir l’établissement d’Equity Funds et de Venture Capital Funds au Luxembourg. Afin de s’assurer que ces nouveaux services répondent aux besoins et aux attentes des promoteurs, les professionnels du secteur financier sont étroitement associés à ces réflexions.»

Fiscalité de l’épargne:

Impact limité

Quel sera l’impact du compromis de Bruxelles en matière de fiscalité de l’épargne sur les fonds d’investissement luxembourgeois?

Luc Frieden: «En raison du champ d’application très limité de la future directive européenne en matière de fiscalité de l’épargne, ce texte ne devrait guère avoir d’effet sur l’industrie des fonds d’investissement luxembourgeois.»

Comment réagissez-vous face à la position de l’Allemagne dont les dispositions fiscales pour 2003 soumettent les fonds de droit étranger commercialisés sur son territoire à des mesures discriminatoires?

Luc Frieden: «Les autorités luxembourgeoises déplorent le caractère discriminatoire des mesures fiscales envisagées par le gouvernement allemand à l’égard des fonds d’investissement étrangers. De telles entraves à la commercialisation transfrontière des services financiers sont contraires au Traité et donc à rejeter. Le Premier Ministre et moi-même sommes intervenus auprès du ministre allemand des Finances et auprès du Commissaire européen compétent dans ce dossier. Le Luxembourg appuie la Commission européenne dans sa démarche visant à ne pas accepter ces pratiques de concurrence fiscale dommageable.»

Un récent rapport réalisé par la Fédération européenne des fonds d’investissement montre que les obstacles à la libre commercialisation des fonds en Europe ne s’amoindrissent pas, cela en dépit de l’objectif de Bruxelles de réaliser d’ici 2005 un marché unique en matière de services financiers. Le gouvernement luxembourgeois est-il engagé sur ce front?

Luc Frieden: «Le rapport FEFSI montre bien qu’il existe toujours de nombreux freins à la commercialisation des fonds d’investissement en Europe, notamment en matière fiscale, mais aussi sur le plan réglementaire et du marketing. Le Luxembourg continue d’œuvrer à différents niveaux en vue d’une disparition de ces barrières. Il s’agit d’une action à long terme qui ne sera couronnée de succès que si la Commission européenne prend à son tour des mesures à l’encontre des Etats membres concernés.»

(Propos recueillis par Marie-Laure Rolland / Luxemburger Wort – La Voix)