La bioéthique: lançons le débat au Luxembourg!

Au début de l’année, la Chambre des Députés a refusé de transposer en droit national la directive 98/44/CE portant sur les brevets biologiques. Selon l’interprétation qui en a été faite par certains – dont notre groupe parlementaire – cette directive pourrait effectivement permettre de breveter des composantes du corps humain, ce qui est inacceptable d’un point de vue éthique.
Au début de l’année, la Chambre des Députés a refusé de transposer en droit national la directive 98/44/CE portant sur les brevets biologiques. Il s’agissait là d’une première: jamais avant, le parlement luxembourgeois n’a adopté une démarche pareille. Mais la Chambre avait de bonnes raisons pour refuser la transposition de cette directive particulière. Selon l’interprétation qui en a été faite par certains – dont notre groupe parlementaire – cette directive pourrait effectivement permettre de breveter des composantes du corps humain, ce qui est inacceptable d’un point de vue éthique.

Ce refus de transposition de la directive 98/44/CE était bien la première occasion à laquelle le parlement luxembourgeois a été confronté à toute cette thématique qu’il est convenu d’appeler la bioéthique. C’est un domaine touchant aux fondements de la vie: c’est en effet de vie, humaine, animale et végétale, que la biotechnologie s’occupe, et c’est par rapport à celle-ci que l’éthique doit déterminer le cadre de l’admissible, et définir l’inadmissible. Les grands sujets qui ont marqué le débat – et la législation, dans certains pays – sur la bioéthique sont la recherche sur les cellules-souche embryonnaires, le diagnostic préimplantatoire et le clônage thérapeutique.

Les questions fondamentales pourraient être formulées comme suit. Dans le cadre de la procréation médicalement assistée, des embryons dits “surnuméraires” sont produits: il s’agit d’embryons qui ne sont jamais implantés dans l’utérus d’une femme, et qui n’ont pas de perspective de développement et de vie au-delà du 14e jour après leur conception. Est-il acceptable, primo, d’utiliser ces embryons surnuméraires pour la recherche sur leurs cellules-souche, sachant qu’à l’occasion de l’extraction d’une telle cellule de l’embryon précoce, celui-ci est détruit, et sachant en même temps que, de toute manière, il n’aurait pas de perspective de vie dépassant les deux semaines? La recherche génétique sur des cellules-souche embryonnaires est extrêmement intéressante car, contrairement aux cellules-souche adultes, elles n’ont pas encore atteint un stade de développement qui leur aurait conféré une destination définitive, de manière à ce qu’elles peuvent devenir des cellules de peau aussi bien que de foie ou de cerveau,

en fonction de leur conditionnement. Les cellules-souche sont donc, génétiquement parlant, les plus prometteuses en tant qu’objet de la recherche – les cellules-souche adultes ayant par définition acquis leur destination et ne présentant apparemment, suivant la position scientifique majoritaire actuelle, pas les mêmes potentialités en termes de recherche que les cellules-souche embryonnaires.

Secundo, en cas d’implantation d’un embryon précoce dans l’utérus d’une femme, est-il acceptable que l’on effectue des tests génétiques sur l’embryon avant l’implantation afin de déterminer s’il présente ou s’il risque de présenter des défectuosités génétiques qui se répercuteront par des maladies génétiques graves? Que l’on informe les parents biologiques des résultats de ces tests et que l’on accepte qu’ils refusent l’implantation d’un embryon présentant de sérieux risques de telles défectuosités?

Tertio, dans la mesure où la recherche sur les cellules-souche “consomme” un nombre impressionnant de telles cellules, pourrait-il être concevable que l’on procède au clônage d’embryons par remplacement de noyaux de cellules à des fins thérapeutiques, c’est à dire à la seule fin de créer un nombre suffisant d’embryons pour la recherche médicale?

Voilà les grandes questions bioéthiques. Il va de soi que l’espace d’un article comme celui-ci n’est pas suffisant pour reproduire ne fût-ce qu’une petite fraction des raisonnements qui ont été et peuvent toujours être menés autour de ces questions. Mais affirmons quand-même ceci.

Les questions soulevées ci-dessus sont des questions graves car elles touchent à la perception que nous avons de la vie humaine, et au comportement que nous adoptons à l’égard de la valeur et de la singularité de la vie humaine. Cela étant, la science est par définition avide de progrès. Il n’est pas vraisemblable qu’elle s’arrête elle-même en plein chemin, inhibée soudainement par des scrupules d’ordre éthique. Enfin, pas toute la science en tout cas – et les expérimentations du docteur Antinori et d’autres énergumènes du clônage humain le prouvent à suffisance. Voilà pourquoi il est impératif que notre pays, à l’instar de beaucoup d’autres, se donne un arsenal législatif encadrant la biotechnologie et conférant ainsi une identité légale à la bioéthique.

La solution ne peut pas consister en le blocage du progrès médical. Des limites raisonnables à l’activité scientifique, établies par la voie législative et surveillées rigoureusement, auront certainement plus d’effet qu’une prohibition générale qui ne mènerait qu’à l’exode de la biotechnologie vers des territoires présentant moins de velléités éthiques – qu’il s’agisse de la Chine communiste, très avancée déjà dans le domaine de la biotechnologie – ou de quelque île pacifique en quête de nouvelles ressources. L’enjeu étant pécuniaire dans une très large mesure, et éthique de manière éclatante, notre préoccupation doit consister en la régulation efficace de la recherche génétique et de la biotechnologie, afin qu’elles soient pratiqueés avec prédilection dans notre hémisphère et qu’elles évoluent majoritairement au sein de sociétés humaines partageant les mêmes valeurs. L’exode de la biotechnologie pour cause soit d’insuffisance, soit d’excès de réglementation dans notre partie du monde s’avérerait vite dramati

que aussi bien pour la médecine et l’industrie pharmaceutique occidentales que pour le respect des valeurs humaines sur lesquelles repose notre vie en société. Le Luxembourg aussi devra trouver son juste milieu en cette matière cruciale pour l’évolution de l’éthique de la vie au 21e siècle.