Profession d’avocat

portant transposition en droit luxembourgeois de la directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat et de la profession…
4790

CHAMBRE DES DEPUTES

Session ordinaire 2001-2002

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PROJET DE LOI

portant transposition en droit luxembourgeois de la directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat et de la profession d’avocat dans un Etat membre autre que celui où la qualification a été acquise et portant:

1. modification de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat;

2. modification de la loi du 31 mai 1999 régissant la domiciliation des sociétés

PROJET DE RAPPORT DE LA COMMISSION JURIDIQUE

La Commission se compose de : M. Laurent MOSAR, Président ; M. Patrick SANTER, Rapporteur ; Mme Simone BEISSEL, M. Xavier BETTEL, Mmes Agny DURDU, Lydie ERR, MM. Jacques-Yves HENCKES, Ady JUNG, Jean-Pierre KLEIN, Paul-Henri MEYERS, Mme Renée WAGENER, membres.

I. ANTECEDENTS

En date du 17 avril 2001, le Ministre de la Justice a déposé le projet de loi sous référence à la Chambre des Députés. Au projet de loi étaient joints un exposé des motifs, un commentaire des articles de la directive et du projet de loi ainsi que le texte de la directive.

Le Conseil d’Etat a rendu son avis le 27 novembre 2001.

Lors de la réunion du 16 janvier 2002, la Commission juridique a désigné M. Patrick SANTER comme Rapporteur et a analysé le projet de loi ainsi que l’avis du Conseil d’Etat. En date du 30 janvier 2002, elle a eu une entrevue avec une délégation du Conseil de l’Ordre du Barreau des Avocats de Luxembourg. Différentes propositions d’amendement ont été adoptées le 6 mars 2002.

Par dépêche du 14 mars 2002, le Président de la Chambre des Députés a transmis au Président du Conseil d’Etat différentes remarques et propositions d’amendements.

L’avis complémentaire du Conseil d’Etat est daté du 16 avril 2002.

Lors de ses réunions des 12 et 24 juin 2002, la Commission a analysé l’avis complémentaire du Conseil d’Etat. En date du 26 juin 2002, elle a adopté le présent rapport.

II. LE DROIT COMMUNAUTAIRE ET LES AVOCATS

A. Fondements

En vertu de l’article 7A du Traité instituant la Communauté européenne, le marché intérieur est un espace sans frontières intérieures. Conformément à l’article 3 point c) du même traité, l’abolition entre les Etats membres des obstacles à la libre circulation des personnes et des services constitue l’un des objectifs de la Communauté qui se traduit notamment, pour les ressortissants des Etats membres, dans la faculté d’exercer une profession, à titre indépendant ou salarié, dans un Etat membre autre que celui où ils ont acquis leur qualification professionnelle.

B. Evolution du droit applicable aux ressortissants communautaires exerçant la profession d’avocat dans un Etat membre autre que leur Etat d’origine

a. Situation juridique actuelle

Jusqu’ici les ressortissants communautaires ne peuvent se livrer à l’exercice de la profession d’avocat au Luxembourg que sous deux formes:

a-1. La libre prestation de services

Sont visés les actes professionnels occasionnels ou isolés posés par un avocat dans un Etat membre autre que celui où il a son établissement habituel.

Les avocats concernés doivent satisfaire aux conditions de la loi modifiée du 29 avril 1980 qui a transposé en droit national la directive 77/249/CEE du Conseil du 22 mars 1977 tendant à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats.

a-2. Le droit d’établissement

Les ressortissants communautaires peuvent aussi s’établir dans un Etat membre autre que celui dans lequel ils ont acquis leur qualification professionnelle d’avocat.

Ils doivent satisfaire aux conditions de la loi du 10 août 1991 qui transpose en droit luxembourgeois, pour la profession d’avocat, la directive 89/48/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 relative à un système général de reconnaissance de diplômes d’enseignement supérieur sanctionnant des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans.

L’établissement au Grand-Duché, – puisqu’il s’agit bien en l’occurrence d’un établissement, et non plus d’une activité en prestation de services -, des avocats ressortissants communautaires ayant acquis leur qualification professionnelle dans un autre Etat membre est subordonné à la condition d’une épreuve d’aptitude. Cette épreuve consiste dans un contrôle concernant exclusivement les connaissances professionnelles du demandeur et a pour but d’apprécier l’aptitude du demandeur à exercer au Grand-Duché la profession d’avocat. Cette épreuve réussie, le candidat sera intégré dans la profession de l’Etat d’accueil, c’est-à-dire sur la liste I du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg ou de Diekirch.

b. La directive 98/5/CE du 16 février 1998

b-1. Objectifs de la directive

L’élaboration de la directive 98/5/CE (ci-après “directive”) ne s’est pas faite sans difficultés. Proposée par la Commission européenne le 21 décembre 1994, elle n’a finalement été adoptée par le Conseil et le Parlement européen que le 16 février 1998. Les discussions ont notamment porté sur la question de savoir s’il fallait ou non soumettre les avocats migrants à un test d’aptitude portant plus particulièrement sur le droit du pays d’accueil.

La directive entend permettre aux ressortissants communautaires, qui sont habilités à exercer dans leur Etat d’origine la profession d’avocat, à s’établir dans un autre Etat membre à l’effet d’y exercer leur activité professionnelle, d’abord sous le titre professionnel de l’Etat d’origine, ensuite en étant pleinement intégré au barreau de l’Etat d’accueil.

Finalement, il convient de remarquer que la directive n’a pas pour objet ou pour effet de modifier la législation luxembourgeoise qui veut qu’un avocat luxembourgeois n’a pas le droit d’être inscrit aux Barreaux de Luxembourg et de Diekirch à la fois.

b-2. Analyse de la légalité de la directive

1. Recours en annulation formé par le Grand-Duché

Par requête du 4 mai 1998, le Grand-Duché de Luxembourg a introduit un recours en annulation contre la directive. Le Grand-Duché a estimé que la suppression de toute obligation de formation préalable dans le droit de l’Etat membre d’accueil constitue, d’une part, une discrimination à rebours des avocats exerçant sous le titre professionnel de l’Etat membre d’accueil, et partant une violation du principe d’égalité, et, d’autre part, une atteinte à l’intérêt général, en particulier de protection des consommateurs.

2. Décision et raisonnement de la CJCE

Par arrêt du 7 novembre 2000 (affaire C-168/98), la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) a rejeté le recours en annulation et a conclu à la légalité de la directive. L’argumentation de la CJCE peut se résumer comme suit:

En premier lieu, la CJCE a rejeté le moyen tiré de la violation du principe de l’égalité sur base de l’argumentation suivante:

– les situations, d’une part, de l’avocat migrant exerçant sous son titre professionnel d’origine, et, d’autre part, de l’avocat exerçant sous le titre professionnel de l’Etat membre d’accueil, ne sont pas comparables;

– l’avocat migrant peut ainsi, à la différence de l’avocat intégré dans l’Etat membre d’accueil, se voir interdire certaines activités, ou se voir imposer certaines obligation;

– l’avocat migrant, qui entend exercer dans l’Etat membre d’accueil sous son titre professionnel d’origine, doit indiquer de manière claire et intelligible le titre professionnel de l’Etat membre d’accueil.

En deuxième lieu, la CJCE a rejeté le moyen tiré de la protection de l’intérêt des consommateurs en retenant que plusieurs dispositions de la directive énoncent des règles visant la protection des consommateurs et tendant à une bonne administration de la justice. Ces dispositions sont une information du consommateur, des limitations apportées à l’étendue ou aux modalités d’exercice de certaines activités de la profession, un cumul des règles professionnelles et déontologiques à observer, une obligation d’assurance ainsi qu’un régime disciplinaire associant les autorités compétentes de l’Etat membre d’origine et celles de l’Etat membre d’accueil. Enfin, la directive n’a pas supprimé l’obligation de connaissance du droit national applicable dans les dossiers traités par l’avocat en cause, mais elle a seulement dispensé celui-ci de la justification préalable de cette connaissance. Ainsi, la directive admet, le cas échéant, l’assimilation progressive de connaissances par la pratique, assimilation facilitée par l’

expérience acquise dans d’autres droits dans l’Etat membre d’accueil.

Ce n’est qu’après que la CJCE ait vidé le recours en annulation que le projet de loi 4790 a été élaboré et déposé par le Ministre de la Justice.

b-3. Conséquences

1. Délai de transposition de la directive

La directive aurait dû être transposée au plus tard le 14 mars 2002. Pour n’avoir pas transposé la directive dans ce délai, la Commission européenne a intenté une procédure en manquement contre le Luxembourg le 18 mars 2002, donc à une époque où la Commission juridique avait presque terminé l’examen du présent projet de loi.

Ceci n’empêchera cependant pas la CJCE de condamner le Luxembourg de n’avoir pas transposé la directive en temps utile.

2. Effet direct de la directive

La directive est d’application directe depuis le 15 mars 2000. En d’autres termes, elle peut être invoquée par un avocat ayant acquis une qualification dans un autre Etat membre pour s’inscrire à l’un des barreaux du Luxembourg, nonobstant l’absence de mesure nationale de transposition.

C’est ce qu’a conclu la jurisprudence française à propos d’avocats européens désirant s’inscrire à un barreau en France. En application des dispositions de la directive, à l’époque pas encore transposée en France, la Cour d’appel de Pau (arrêt du 21 mai 2001, D.2001, IR, p.1847 et D.2002, p.121) et celle de Toulouse (arrêt du 5 juillet 2001, www.dalloz.fr/actualité du 3 décembre 2001), ont annulé des décisions des conseils de l’ordre de Bayonne et de Toulouse ayant refusé l’inscription à des avocats européens.

III. ANALYSE DU PROJET DE LOI

A. Objet du projet de loi

Le présent projet de loi comporte trois volets:

Le premier volet concerne la transposition en droit luxembourgeois des différentes dispositions de la directive et en conséquence l’adaptation de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocats (ci-après “loi du 10 août 1991). Les traits principaux de la directive concernent:

– l’exercice de la profession d’avocat sous le titre professionnel d’origine dans l’Etat membre d’accueil;

– l’intégration dans la profession de l’Etat membre d’accueil d’un avocat ayant exercé pendant un certain temps sous son titre professionnel d’origine;

– les modalités de l’exercice en groupe de la profession.

Le deuxième volet concerne le renforcement de la participation des représentants de la profession d’avocat au sein du Conseil disciplinaire et administratif.

Le troisième volet concerne une légère modification à la loi du 31 mai 1999 régissant la domiciliation des sociétés.

B. Le droit de l’avocat européen d’exercer sous le titre professionnel d’origine dans l’Etat membre d’accueil

a. Conditions

D’abord, l’avocat, qui voudra exercer sa profession dans un Etat membre autre que l’Etat d’origine, devra adresser au Bâtonnier d’un des ordres des avocats au Luxembourg une demande d’inscription au tableau de cet ordre des avocats. A cet effet, il fournira un certain nombre de pièces et renseignements permettant de vérifier que l’avocat rentre bien dans la catégorie des bénéficiaires de la directive. Le cas échéant, il devra en outre transmettre tous renseignements utiles relatifs au groupe auquel il appartient dans l’Etat membre d’origine.

Ensuite, l’avocat européen devra se soumettre à un entretien oral avec le Conseil de l’Ordre permettant de vérifier ses connaissances linguistiques. Ce point sera plus amplement développé dans le cadre du point IV.A. du présent rapport.

Enfin, l’inscription de l’avocat européen se fera sur une liste spécialement conçue pour eux, à savoir la liste IV. Le Conseil de l’Ordre en informera l’autorité compétente de l’Etat membre d’origine. Les éventuelles décisions de refus ou de retrait d’inscription devront être motivées et notifiées à l’avocat concerné par lettre recommandée avec accusé de réception.

b. Etendue de l’activité professionnelle

En principe, l’avocat européen exerçant sous son titre professionnel d’origine aura le droit de pratiquer les mêmes activités professionnelles que la personne exerçant sous le titre professionnel d’avocat luxembourgeois. Il pourra notamment donner des consultations juridiques dans le droit de son Etat membre d’origine, en droit communautaire, en droit international et même en droit luxembourgeois. Ce droit souffre de trois exceptions:

En premier lieu, les prestations de services au sens de la directive 77/249 CEE sont exclues des activités visées ci-dessous.

En deuxième lieu, l’avocat européen, tout comme l’avocat “luxembourgeois”, ne pourra pas exercer les activités réservées à certaines professions juridiques comme les notaires.

En dernier lieu, pour les actes et procédures soumis au ministère d’avocat à la Cour de concert, l’avocat européen devra agir de concert avec un avocat à la Cour qui se constitue et qui est responsable à l’égard de la juridiction. Quant à la postulation, l’avocat européen sera donc assimilé à un avocat de la liste II, c’est-à-dire un avocat n’ayant pas passé l’examen de fin de stage judiciaire. Il convient de noter que l’avocat européen devra respecter les règles de procédure applicables devant les juridictions luxembourgeoises

IV. ANALYSE DES AVIS DU CONSEIL D’ETAT ET TRAVAUX DE LA COMMISSION JURIDIQUE

Les avis du Conseil d’Etat et les débats de la Commission juridique ont porté essentiellement sur les trois points suivants:

A. Condition linguistique

L’article 3, paragraphe 2, du projet de loi initial soumettait l’inscription de l’avocat européen à la liste IV du tableau de l’Ordre des avocats à la maîtrise par cet avocat européen d’au moins les langues prévues à l’article 6 (1) d) de la loi du 10 août 1991. A cet effet, le projet de loi ajoutait un point d) à l’article 6 (1) précité comme quoi tout avocat voulant s’inscrire au tableau de l’Ordre des avocats devait “maîtriser la langue de la législation et les langues administratives et judiciaires au sens de la loi du 24 février 1984 sur le régime des langues”. Ainsi le projet de loi, dans sa version proposée par le Gouvernement, exigeait de tout avocat qui demande son inscription au tableau de l’Ordre des avocats sur quelque liste que ce soit, y compris sur la liste IV, la connaissance des langues française, allemande et luxembourgeoise (art.3, paragraphe 2 et art.14.III. du projet de loi initial).

Dans son avis du 27 novembre 2001, le Conseil d’Etat s’est formellement opposé à ces deux dispositions.

Le Conseil d’Etat est d’avis qu’à “l’égard des avocats européens, l’exigence linguistique risque …… d’être considérée comme revêtant le caractère d’une entrave à l’exercice de la liberté fondamentale d’établissement”. De plus, à supposer même que le droit communautaire permette de subordonner la liberté d’établissement des avocats européens à des connaissances linguistiques, la Haute Corporation a émis des “des doutes, quant à la proportionnalité de cette condition linguistique par rapport à l’objectif poursuivi….s’agissant non seulement des langues dont la maîtrise est requise, mais encore du niveau de connaissance requis”. Enfin, le Conseil d’Etat a également souligné le flou qui entoure la connaissance linguistique et s’est interrogé sur la signification de termes de maîtrise d’au moins les langues prévues à l’article 6 (1) d) de la loi du 10 août 1991.

Afin de tenir compte des objections du Conseil d’Etat, la Commission a adopté un amendement restreignant l’exigence linguistique à la seule connaissance active et passive de la langue de la législation qu’est le français.

(…) voir document word