Luc Frieden: «La mise en oeuvre de ces politiques européennes en matière d’asile et d’immigration requiert une volonté politique forte des Etats membres.» (article publié le 27.07.2002 Le Figaro / Sur les remparts de Séville:
Luc Frieden:
«La mise en oeuvre de ces politiques européennes en matière d’asile et d’immigration requiert une volonté politique forte des Etats membres.»
(article publié le 27.07.2002 Le Figaro / Sur les remparts de Séville:
Le Conseil européen de Séville a mis à l’avant-plan de l’action européenne les questions relatives à l’immigration. Je me réjouis de constater que tous les Etats membres reconnaissent aujourd’hui que les questions relatives à l’immigration et à l’asile ne peuvent trouver des réponses purement nationales, au risque d’être inefficaces ou de délocaliser simplement les problèmes à l’intérieur de l’Europe. Mais le message fort du Conseil de Séville ne doit pas subir le même sort que celui exprimé voici trois ans par le Conseil de Tampere. Il faut que le Conseil des ministres de la Justice et des Affaires Intérieures adopte rapidement des règles relatives à chacun des volets décidés à Séville.
L’asile et l’immigration exigent des solutions européennes.
Il faut donc que les Etats membres de l’Union européenne s’abstiennent dans les mois à venir d’adopter des législations nationales sur l’asile ou l’immigration avant que ne soit approuvée une réglementation européenne en la matière. L’adoption d’un certain nombre de textes nationaux dans différents pays européens dans un passé récent au moment même où des discussions eurent lieu sur des directives européennes en la matière a rendu très difficile tout progrès en la matière.
Il faut un véritable équilibre entre les trois principaux volets d’une politique d’immigration commune: l’immigration légale, la politique d’asile et la lutte contre l’immigration clandestine.
L’immigration légale doit tenir compte de facteurs humains et économiques.
Il s’agit de maintenir le noyau familial pour les immigrants et de tenir compte des besoins des marchés de l’emploi des pays de l’Union européenne. Une attention particulière doit être accordée à l’intégration des immigrants légaux, notamment par des cours de langue et par leur association et leur participation aux activités de la société.
Les travaux du Conseil des ministres relatifs aux questions d’asile doivent aboutir dans les tous prochains mois.
L’objectif doit être une politique harmonisée. La logique minimaliste qui se retrouve actuellement dans certains textes en discussion conduira à l’échec des politiques d’asile en Europe. Aussi longtemps que dans certains pays les règles de procédure, les conditions pour bénéficier du statut de réfugié et les effets de certaines décisions diffèrent, personne ne doit s’étonner si une gestion responsable et commune des demandeurs d’asile devient illusoire. Le chacun pour soi qui domine aujourd’hui est inefficace et inacceptable. Il nous faut à moyen terme un système européen commun et unique en matière d’asile.
Une gestion coordonnée de l’immigration
Une gestion coordonnée de l’immigration exige un contrôle efficace aux frontières extérieures de l’Union pour arrêter l’immigration illégale et lutter contre la traite des êtres humains. Les frontières extérieures de l’Union ont remplacé nos frontières nationales. C’est dans un esprit de responsabilité solidaire et de répartition équilibrée des charges que les contrôles doivent dorénavant être effectués. La réalisation d’opérations conjointes aux frontières extérieures, la création d’un réseau d’officiers de liaison pour l’immigration et la mise en place immédiate d’une autorité composée des chefs des polices des frontières sont des mesures concrètes décidées à Séville qui témoignent de la volonté commune des Etats membres de mieux contrôler l’immigration illégale. Je souhaite qu’il y ait rapidement un accord sur des visas et passeports communs, sur des standards communs de contrôle et sur la mise en place d’une police européenne aux frontières, capable d’intervenir ponctuellement à des endroits frontaliers sensibles.
Approche commune en matière de rapatriement
Tant la politique d’asile que la lutte contre l’immigration illégale exigent une approche commune en matière de rapatriement de ceux qui ne sont pas autorisés à rester sur le territoire de l’Union. L’exécution des politiques d’éloignement requiert la coopération des pays d’origine et de transit de ces personnes. La conclusion d’accords de réadmission doit devenir une partie intégrante des accords économiques ou politiques que l’Union européenne conclut avec des pays tiers. Les pays d’origine ont une responsabilité vis-à-vis de leurs ressortissants et de l’Europe.
L’Union européenne doit mieux s’occuper des causes de l’émigration.
Il est impératif d’augmenter l’aide au développement en faveur des pays d’origine des immigrants, pour y améliorer le niveau de vie des citoyens. Seuls quatre pays de l’Union européenne (Danemark, Pays-Bas, Suède et Luxembourg) consacrent aujourd’hui plus de 0,7 % de leur Revenu National brut à l’aide au développement.
Dans un monde globalisé, l’Europe peut et doit rester ouverte à l’immigration. Cette immigration doit, pour autant que possible, être réglementée et contrôlée en conformité avec le droit international humanitaire et dans le respect des législations nationales. Le racisme et la xénophobie ne doivent avoir aucune chance. La tolérance et l’ouverture d’esprit à l’égard des cultures d’origine des immigrants devra aller de pair avec le respect par ces derniers des valeurs fondamentales et des principes qui caractérisent nos États européens.
La mise en oeuvre de ces politiques européennes en matière d’asile et d’immigration requiert une volonté politique forte des Etats membres. La Commission européenne, sous l’impulsion de son membre Antonio Vitorino, a accompli un travail remarquable en ces domaines depuis le sommet de Tampere. Il appartient désormais aux Etats membres de traduire en textes juridiques contraignants les conclusions des sommets de Tampere et de Séville. Il est vrai et regrettable que la règle de l’unanimité qui existe en ces matières au Conseil des ministres rend tout progrès difficile. Mais si l’Europe veut être crédible, il faut éviter qu’il n’y ait un fossé entre les déclarations des chefs d’Etat et de gouvernement et la réalité qui découlera des textes à adopter. Il faut une ambition européenne pour aboutir à des règles européennes harmonisées. Dans ces domaines, seule une réponse européenne apportera une véritable plus-value à nos citoyens.
(Luc Frieden est ministre de la Justice du Grand-Duché de Luxembourg et doyen du Conseil des ministres de la Justice et des Affaires Intérieures de l’Union européenne)