«Le CSV choisit ses sujets»

François Biltgen, le président du CSV, affirme que son parti ne se lance pas déjà dans la campagne électorale. Il dégage quatre thèmes pour un large débat public.

Entretien avec Jean Rhein du Quotidien

François Biltgen est le président du Parti chrétien-social depuis 2003. Selon l’usage de limiter l’exercice de la présidence à trois périodes de mandat (de deux ans), il conduira son parti, pour la dernière fois en tant que président, dans les prochaines élections législatives. À l’issue d’une coalition gouvernementale propice, estiment les adhérents. 

Vous avez indiqué quatre thèmes principaux pour la communication publique du Parti chrétien social d’ici à la fin de l’année : la langue luxembourgeoise, le changement climatique, l’Europe sociale et le statut de l’indépendant. S’agit-il des futurs thèmes de la campagne électorale? 

François Biltgen : Ce sont des sujets de réflexion qui dépassent le cadre purement électoral. Il y aura certainement des éléments que l’on retrouvera dans la future campagne et dans le programme électoral. Mais ces thèmes ont une dimension plus large. Ce sont des sujets qui concernent la cohésion sociale. 

En ce qui concerne l’identité nationale, par exemple, la question de la langue luxembourgeoise joue un rôle primordial. L’un des arguments qu’on nous a opposés est le caractère d’exclusion lié à la (non-)pratique de la langue. Il faut dès lors envisager des moyens innovants pour un meilleur accès à notre langue. Les cours de langue ne constituent qu’une goutte sur une pierre chaude. Il n’y a pas encore de dictionnaire de la langue luxembourgeoise. On y travaille assidûment au ministère de la Culture. Il y a une chaire qui a été installée à l’université du Luxembourg. Si nous affirmons que le luxembourgeois est un élément central de l’identité, en tant que parti, nous devons lui donner une place importante dans nos propres réflexions et dans les actions concrètes. 

Le sujet du changement climatique ne doit pas seulement être abordé par sa dimension alarmiste. Toutes les modalités de la vie devraient s’orienter davantage vers le développement durable. Il y a aussi des opportunités qui y sont liées, par exemple en matière de recherche scientifique (sur l’énergie solaire) et qui pourraient aussi aboutir à la création d’emplois. 

Le Luxembourg est un précurseur de l’Europe sociale, en créant des emplois, en disposant en moyenne des salaires les plus élevés, avec son droit du travail «rigide», comme dirait I’OCDE. Le principe que nous réfutons est celui du marché libre, de la libre concurrence, de l’abolition de toutes les règles, ce qui permettrait que tout aille mieux. Ce qui nous oblige, par contre, de rester imaginatifs et compétitifs et d’avancer, de façon consensuelle avec les partenaires sociaux. La réflexion porte donc sur la question, comment le modèle luxembourgeois doit s’adapter. 

Le dernier des thèmes que vous avez mentionnés, le statut de l’indépendant, est étonnamment concret, comme s’il pouvait donner lieu immédiatement à une adaptation législative!

Généralement, l’approche consiste à parler des classes moyennes. Nous changeons légèrement la perspective, en parlant de ceux qui créent une petite ou moyenne entreprise. Nous voulons mieux prendre en considération la personne de l’indépendant. Le gouvernement a pu réaliser quelques améliorations. Dans le cadre du statut unique, l’indépendant a désormais le droit de s’assurer personnellement contre le risque maladie. Les directives européennes nous ont fait prendre conscience que l’ancienne approche, selon laquelle il valait mieux de ne pas légiférer en ce qui concerne l’indépendant, est dépassée. Il s’agit également d’une question de cohésion sociale. 

Ces sujets stratégiques sont-ils sortis d’un think tank au CSV? 

Cette réflexion stratégique avec les quatre sujets a déjà été abordée longuement dans le comité national et la conclusion de ce débat interne était que nous ne devions pas seulement aborder les sujets courants, et il y en a suffisamment à propos desquels nous prenons nos positions également. En effet, le CSV veut devenir un think tank! 

Y a-t-il des sujets tabous que le CSV entend ne pas aborder dans une future coalition gouvernementale, en ce qui concerne l’interruption volontaire de grossesse, par exemple? 

En ce qui concerne l’avortement, nous estimons qu’il n’y a pas lieu de modifier la loi. Par contre, nous sommes conscients que les problèmes actuels doivent être discutés. Ainsi, la législation existante doit être exploitée à fond pour y remédier. 

Accorder un droit absolu à l’avortement créerait de nouveaux problèmes. Pour nous, le droit de l’enfant doit primer le droit à l’enfant. L’évolution scientifique et technique pourrait en effet conduire à l’enfant «à la carte»; ce sont des questions débattues avec véhémence, aux États-Unis, par exemple, et dans quelques pays européens. De manière générale, il n’y a pas de sujets tabous, pour nous. Mais nous ne sommes pas d’avis que face à des sujets graves et complexes, il suffit de suivre les solutions conformes à l’esprit du temps. 

J’ai dit lors de mon discours à l’occasion du dernier congrès, que nous sommes conservateurs en ce qui concerne nos valeurs, mais que le CSV n’est pas conservateur dans ses positions. C’est l’approche que nous avons adoptée également dans le débat à propos de l’euthanasie et qui nous a permis de faire de nouvelles propositions en cette matière. 

Le résultat lors des dernières élections législatives est le meilleur résultat historique du CSV. C’est difficile pour un président de parti de faire mieux! 

Personne ne gagne des élections en fonction des sondages. Mais déjà ceux-là ne sont pas si mauvais! Ils démontrent que les électeurs n’ont pas de problèmes majeurs avec le CSV. Et tous les sondages confirment une tendance positive qui n’est pas seulement liée à la personne de Jean-Claude Juncker. 

Marco Schank et vous-même avez déclaré qu’il s’agit encore de travailler, avant de vous lancer dans la campagne électorale. Avez-vous mauvaise conscience d’avoir réalisé trop peu dans l’actuel gouvernement? 

Il y a quelques points du programme gouvernemental qui ont bien évolué, mais qui n’ont pas encore trouvé d’aboutissement final. Il s’agit de dossiers majeurs. Je cite la réforme du droit de la nationalité, l’aménagement du territoire, la réforme scolaire. Dans ce contexte, je ne vois pas seulement nos ressorts, ceux du CSV, mais je considère le programme gouvernemental dans son ensemble. 

CARTE DE VISITE CSV

Date de création : 1914 (Parti de la droite), depuis 1945 : Chrëschtlech Sozial Vollekspartei 

Nombre de membres : 9 889. Sections locales: 121 

Sous-organisations : quatre comités de circonscription, ainsi que CSF (Femmes) – CSJ (Jeunesse) – CSV Senioren – CSG (Conseillers communaux) 

Mandats de députés (depuis 1968) : 1968 : 21/ 1974 : 18/ 1979 : 24/59; 1984: 25/64; 1989 : 22/60; 1994 : 21/60; 1999 : 19/60; 2004 : 24/6O. 

Paticipations gouvernementales (après 1968) : 1968-1974, 1979-1984, 1984-1989, 1989-1994, 1994-1999, 1999-2004, depuis 2004. 

Mandats européens : 1989 : 3; 1994 : 2; 1999 : 2; 2004 : 3.

Mandats municipaux : Le CSV est représenté dans tous les conseils communaux des 37 communes au suffrage proportionnel (150 sièges). 

Affiliation au Parlement européen : Parti populaire européen. 

Les présidents : Jacques Santer (1974-1982), Jean Spautz (1982-90), Jean-Claude Juncker (1990-95), Erna Hennicot-Schoepges (1995-2003), François Biltgen (depuis 2003).

TROIS MOTS CLE
 
INDEXATION 

«Nous respectons l’accord tripartite qui vient à échéance le 31 décembre 2009. Le 1er janvier 2010, la législation antérieure sera remise en vigueur. La loi prévoit le principe d’une indexation automatique générale des salaires. Nous maintenons notre appui à ce principe. Nous ne partageons pas prioritairement le point de vue du patronat de limiter l’indexation à une tranche maximale, car il s’agit de respecter aussi les fruits du travail. 

Mais la loi de 1984 prévoit aussi que l’indexation peut être reconsidérée par la voie du dialogue social s’il y avait des problèmes de compétitivité ou d’inflation exagérée. Actuellement il y a certes une certaine accalmie, mais on ne peut pas prévoir ce qui se passera en 2010.» 

EUTHANASIE 

«Le CSV s’est occupé de la question une nouvelle fois après le premier vote à la Chambre des députés. Nous en avons discuté longtemps, et de façon contradictoire, pendant de nombreuses réunions des nos instances et du groupe parlementaire, et nous avons réaffirmé notre attachement aux valeurs. Nous voulons donner une chance à la médecine palliative, pour assurer la lutte contre la douleur. Je constate qu’il peut y avoir des cas où la médecine palliative ne peut pas ou plus agir efficacement. Nous étions convaincus de ne pas devoir légiférer pour des situations d’exception. Nous prenons acte de la volonté des citoyens de créer une sécurité juridique. Pour régler ces cas exceptionnels, l’avis préalable d’une commission consultative devrait être requis.» 

LANGUE 

«Nous pensons que l’acquisition de la double nationalité fait partie d’un cheminement. Le texte de la loi est un large compromis et il est conforme à ce que le partenaire dans la coalition gouvernementale défend également, tant en ce qui concerne les délais que les niveaux de maîtrise de langue active et passive. Dans le cadre des amendements nous n’avons pas seulement parlé de la question de la langue luxembourgeoise, mais nous avons prévu la date butoir. Les spécialistes nous confirment que les niveaux requis ne constituent pas un obstacle. La législation concernant le congé linguistique, par exemple, favorisera l’intégration de tous les travailleurs, notamment l’apprentissage de la langue également par les frontaliers.» 

Source: Le Quotidien, Jean Rhein, 12 septembre 2008