Octavie Modert désormais seule maître à bord du ministère de la Culture- Dans une interview avec le Wort, la secrétaire d’état passe en revue les différents dossiers dont elle a la charge
D’Wort: A peine installée dans le fauteuil de monsieur Biltgen, vous devez faire face à un premier dossier «chaud». Le licenciement de la coordinatrice adjointe de l’organisation «Luxembourg 2007» n’apparaît pas de très bonne augure à neuf mois du lancement de l’année européenne de la culture. Approuvezvous cette décision?
«Luxembourg 2007» est une asbl juridiquement indépendante du pouvoir politique, même s’il est vrai que le ministère y est représenté. Elle est autonome dans ses prises de décision. Je ne souhaite donc pas les commenter. Je peux simplement dire que je suis satisfaite du travail de l’asbl et que le projet avance bien.
D’Wort: Une partie de l’opinion publique ne comprend pas encore l’intérêt de l’initiative «Luxembourg 2007». Douze ans après l’organisation de la première capitale européenne de la culture, la scène culturelle a considérablement évolué. Qu’a-t-elle encore à prouver?
Nous n’avons pas forcément quelque chose à démontrer, mais plutôt à montrer. Je veux parler du dynamisme des acteurs culturels, et aussi des nouvelles infrastructures dont nous disposons. Luxembourg 2007 nous offre une plateforme remarquable pour valoriser le chemin parcouru depuis 1995. Par ailleurs, cela nous permet d’approfondir les contacts avec la Grande Région et de nous ouvrir jusqu’à la Roumanie.
D’Wort: Sur le papier, l’ambition transfrontalière est séduisante. Dans la pratique, elle ne paraît pas évidente à mettre en place…
Luxembourg est leader dans l’organisation de la capitale européenne de la culture. Il est donc normal qu’il y ait beaucoup plus de projets initiés chez nous. Il est vrai aussi que les pressions budgétaires sont plus fortes à l’étranger. Et la mise sur pied de projets vraiment transfrontaliers n’est effectivement pas toujours évidente à gérer. Sur ce point, la culture est peut être en retard par rapport à d’autres secteurs d’activités déjà plus habitués à travailler ensemble. Mais nous sommes quand même parvenus à mettre sur pied bon nombre de projets communs et le défi de ces partenariats devra être poursuivi au-delà de 2007.
D’Wort: Autre dossier «chaud» pour vous, l’ouverture du Mudam, le musée d’art moderne, prévue le ler juillet. La directrice du musée, Marie-Claude Beaud, vient de voir son mandat prolongé jusque fin 2008, ce qui apparaît comme un signe de confiance. Comment avancent les préparatifs?
Le public a déjà pu avoir une idée de la constitution des collections avec le Camp de base installé à la Banque de Luxembourg. Il n’y aura donc pas le même effet de surprise que pour la Philharmonie par exemple, même s’il y aura une programmation spécifique pour l’ouverture. Il appartient désormais à l’équipe du Mudam de susciter un intérêt de la population pour lui donner envie d’aller à la découverte de ce nouveau lieu. L’art contemporain est certes moins accessible que la musique par exemple, mais le succès du Casino Forum d’art contemporain montre que l’offre peut créer la demande.
D’Wort: La rigueur budgétaire risque-t-elle de restreindre les possibilités d’acquisilions d’oeuvres contemporaines par le Mudam?
La dotation budgétaire pour 2006 est fixée à 5,6 millions d’euros. Je note qu’elle est plus élevée que celle de 2005. A cela s’ajoutent les donations privées et les échanges d’oeuvres avec les autres institutions. Il n’y a donc pas de souci à se faire pour le fonctionnement du Mudam. Nous continuerons à assumer l’ouverture des nouvelles infrastructures, même si la progression des dépenses va se ralentir.
D’Wort: Autre institution dont l’ouverture se est attendue: le musée de la forteresse. La rénovation du bâtiment est achevée depuis environ deux ans. Pourquoi n’ouvre-t-il toujours pas ses portes au public?
L’ouverture a pris du retard car nous avons dû remettre entièrement à plat, il y a un an, le concept muséologique qui avait été proposé par l’expert étranger chargé du dossier. Il s’était concentré sur un concept de musée de la fortification. Or nous voulions et voulons toujours un musée de la forteresse. Il s’agit d’un concept beaucoup plus vaste qui ne se limite pas aux seuls aspects militaires. Cela inclut également la manière dont la forteresse a influencé l’évolution du pays. Nous venons de constituer un nouveau comité scientifique composé d’historiens luxembourgeois chargés d’élaborer le nouveau concept muséologique. Compte tenu de ces contretemps, l’ouverture ne pourra pas avoir lieu avant 2007.
D’Wort: La Philharmonie a démarré sa première saison sur les chapeaux de roue. Pourtant, là encore, certains ne voient pas d’un bon oeil la concurrence venue de l’extérieur. Comprenez-vous ces réactions?
Le succès spectaculaire de la Philharmonie, avec près de 80.000 spectateurs enregistrés fin janvier, résulte du choix de la direction de s’adresser au public le plus vaste. Un choix qui a permis la démocratisation de la musique, son accessibilité, dans un souci de qualité. C’est à mon avis ainsi que les institutions culturelles doivent fonctionner et je soutiens totalement l’option défendue par Matthias Naske. J’observe que les acteurs luxembourgeois en profitent également. Ils ont vu leur audience augmenter et la qualité de la salle leur permet de pousser plus avant encore leur professionnalisme. Je suis persuadée qu’un orchestre comme I’OPL n’a rien à craindre. C’est une remarquable formation musicale et l’arrivée d’Emmanuel Krivine ne pourra que conforter son objectif d’excellence.
D’Wort: La Rockhal a elle aussi ouvert ses portes l’année passée. Pour le coup, le choix de sa programmation semble beaucoup moins grand public que celui de la Philharmonie. C’est le rock pur et dur. N’est-ce pas trop restrictif? Comment y répond le public?
Bien sûr, on n’atteint pas les chiffres de fréquentation de la Philharmonie, mais il faut dire que le responsable, Olivier Toth, a eu très peu de temps pour reprendre en main l’organisation. A ma connaissance, la Rockhal enregistre quelque 35.000 visiteurs, et cela me semble déjà très bien pour un début. Il faut laisser le temps à cette salle de se faire connaître. Pour ce qui concerne la programmation, je précise que la salle peut être louée par d’autres organisateurs, comme tel a été le cas pour les concerts de Duran Duran ou de Simply Red par exemple. Il n’y a donc pas d’exclusive musicale.
D’Wort: Toutes ces nouvelles infrastructures peuvent faire souffrir les institutions en place. Le public n’est pas extensible à l’infini. Certains se plaignent d’un trop plein d’offre culturelle et d’un manque de coordination entre les différents acteurs. Comptez-vous intervenir pour y mettre bon ordre?
Je suis contre trop d’interventionnisme qui mènerait à une culture étatisée. L’État n’est pas là pour tout faire. J’estime crue le rôle du gouvernement est plutôt d’encourager les initiatives, et aussi d’aider à la professionnalisation des acteurs culturels. L’un de mes principaux mot d’ordre est la mise en réseau. J’ai l’impression que d’une manière générale, les institutions culturelles collaborent plutôt bien.
D’Wort: L’un des chantiers sur lesquels vous allez travailler dans les mois à venir est le projet de loi sur les infrastructures culturelles régionales. Dans quel sens ira ce projet de loi?
Le but est de fixer un cadre pour le fonctionnement et le financement des centres culturels régionaux. A ce stade, il est trop tôt pour en dire plus. Nous n’allons pas dicter l’organisation culturelle régionale. Mais il y a un besoin de clarification sur les infrastructures existantes et les besoins éventuels.
D’Wort: Pour finir cette interview, permettez moi de poser une question plus personnelle: on connaît mal vos goûts en matière culturelle. Quels sont les musiques que vous écoutez, les livres que vous lisez pendant vos vacances… ?
J’avoue que je n’aime pas parler de ma vie privée ni de mon palmarès culturel. Je sais que cela déçoit certains dans le milieu mais je dirais qu’on ne demande pas à un ministre des Affaires étrangères s’il a visité tous les pays du monde avant d’accepter sa charge, ou à un ministre des Travaux publics s’il sait construire des routes. Et là, cela ne choque personne!
Propos recueillis par Marie-Laure Rolland
Source: D’ Wort du 9 mars 2006