Les offres publiques d’achat, les actionnaires et la philanthropie

Den CSV-Fraktiounssekretär Frank Engel “zu Gast im Land” (17/03/2006)
Bien sûr, la transposition de la directive sur les OPA n’a absolument rien à voir avec l’OPA lancée par Mittal Steel sur notre chère ARCELOR. Bien sûr, les propositions d’amendements formulées par la Chambre de commerce et relayées par une presse ardemment désireuse de contribuer à la sauvegarde des meubles nationaux sont absolument objectives et aucunement teintées par le fait que le président actuel de cette chambre professionnelle tient un rôle majeur dans la société visée par Mittal Steel. Et bien sûr, toute tentative de modification du projet de loi déposé par le gouvernement ne vise que le but philanthropique louable de la protection des actionnaires, des petits notamment. Ou non ?

Il se trouve que nous vivons dans un Etat qui a choisi le système économique libéral. Un système qui accepte qu’il existe des sociétés anonymes, dont le capital est représenté par des actions. Qui les acquiert, pour autant que des droits de vote y sont attachés, acquiert du même coup de l’influence sur les affaires de la société émettrice des actions. Notre Constitution, à l’instar des Chartes fondamentales des autres démocraties libérales, consacre le principe de la liberté du commerce et de l’industrie. Une partie de cette liberté est précisément représentée par la possibilité d’émettre, de vendre et d’acheter des parts de sociétés commerciales, fussent-elles gigantesques. Cela vaut même si, pour des raisons plus ou moins compréhensibles, les sociétés commerciales dont question semblent équivaloir à une partie de notre identité nationale.

La Chambre de commerce, dans le paysage corporatiste luxembourgeois, a longtemps eu l’habitude d’émettre des positions libérales. Elle continuera sans doute de le faire, après la parenthèse protectionniste constituée par son avis sur le projet de loi de transposition de la directive OPA. Mais cette parenthèse en dit long sur l’inspiration véritable du grand patronat luxembourgeois. En effet, le libéralisme semble adapté à toute situation toisée par la Chambre de commerce – à l’exception de celle dans laquelle le joyau industriel du pays, dépourvu de très grand actionnaire institutionnel parce que ARCELOR le voulait ainsi, est visée par une OPA. Dans ces circonstances, l’on découvre la philanthropie au Kirchberg.

Cette philanthropie se manifeste à travers une volonté particulièrement affichée de protéger les actionnaires. Des actionnaires d’ARCELOR qui, soudain, ne sont plus des acteurs du capitalisme, des preneurs volontaires de risque, des apporteurs de fonds, mais deviennent une espèce menacée, nécessitant la main forte de l’Etat luxembourgeois pour leur fournir protection et secours. Etrange. Mais tant qu’on y est : si les actionnaires sont importants au point décrit par la Chambre de commerce, alors qu’on les laisse décider !

Les actionnaires de sociétés commerciales, cotées en bourse ou non, connaissent les règles du jeu auquel ils s’adonnent. A ce jeu, il est possible de gagner gros, de récupérer tout juste sa mise – ou alors, de perdre de manière fracassante. Ce n’est pas nouveau. Pourquoi les conseillers en investissement orienteraient-ils leurs clients vers des portefeuilles d’obligations dans la mesure où ceux-ci souhaitent un rendement garanti et la limitation maximale des risques ?

Décidément, Mittal Steel a bouleversé la donne luxembourgeoise. Au point où le principal rempart du capitalisme libéral, la Chambre de commerce, sous la houlette de son principal acteur industriel, se convertisse en protectionniste philanthrope. Sans arrière-pensée et de manière complètement désintéressée, s’entend. Alors, peut-être le temps serait-il venu où certains devraient revoir leur copie. Car dans le monde voulu jusque là par la Chambre de commerce, des OPA devraient être des phénomènes courants – et les actionnaires de n’importe quelle société anonyme des investisseurs responsables, capables de juger eux-mêmes les mérites d’une offre. Si ce n’est plus vrai, qu’on nous le dise.

Frank Engel